Au cours des mois de mai et juin 2013, le pouvoir législatif français, par la voix de certains parlementaires, a voulu exprimer son inquiétude sur l’évolution majeure depuis une dizaine d’années des retransmissions d’événements sportifs à la télévision et des conditions de ces dernières. Une proposition de loi a donc été présentée par une poignée de député. Par la suite, la ministre de la culture et de la communication s’est vu été interroger à ce sujet par le sénateur Yannick Vaugrenard. Des débats ayant eu pour intérêt de s’interroger sur le devenir du décret du 22 décembre 2004.
La remise en cause du décret du 22 décembre 2004
Par la directive européenne dite « Télévision sans frontière » du 3 octobre 1989 modifiée relative à l’exercice d’activités de la radiodiffusion télévisuelle, chaque État membre peut, s’il le souhaite, mettre en place une liste d’événements considérés comme d’importance majeure, permettant au plus grand nombre de téléspectateurs de pouvoir y accéder.
La France s’est dotée d’une liste par le décret n° 2004-1392 du 22 décembre 2004 relatif à la liberté de communication en application de la directive modifiée de 1989.
La liste d’événements d’importance majeure est établie selon quatre critères bien spécifique : l’événement doit fédérer un public plus large que celui qui est traditionnellement concerné, il doit participer de l’identité culturelle nationale, il doit impliquer l’équipe nationale dans le cadre d’une manifestation et enfin, l’événement doit fait traditionnellement l’objet d’une large audience télévisée.
En mai dernier, quelques députés ont déposé une proposition de loi concernant les « conditions de retransmissions des événements sportifs à la télévision ». Il est fait état par ces parlementaires de la concentration existante des manifestations sportives dans le paysage audiovisuel français. En effet, ils estiment que 98% des retransmissions sportives sont la propriété des chaînes à péage telles que Canal + ou BeIN sport, et que d’année en année, ce phénomène de privatisation tend à s’accroître.
Depuis des années, le téléspectateur a eu pour habitude de pouvoir accéder à un panel assez large de retransmissions sportives sur des chaînes gratuites en clair. Or, depuis un certain temps, le marché d’achat de ces retransmissions est devenu de plus en plus exigeant du fait de la prolifération des chaînes de télévision mais aussi de la dépendance des différents sports (clubs – fédérations – ligues) à ces sommes d’argent astronomiques leur permettant de se développer. Cet argument ne s’applique qu’aux sports que l’on pourrait qualifier de « sports grand public » ; le prix d’acquisition d’un bouquet de retransmission pour la Ligue 1 de football n’est évidemment le même que celui du championnat de France de handball.
Toujours est il que le téléspectateur s’est vu supprimé certaines retransmissions sportives, historiquement sur des chaînes gratuites. On pense directement à la Formule 1, propriété de TF1 mais qui, faute de n’avoir pu acheter les droits de retransmissions pour la prochaine période, est tombé entre les mains de Canal +. C’est aussi le cas pour la Coupe d’Europe de football n’étant plus diffusée sur TF1 (exception faite à la finale au mois de mai).
Selon le décret du 22 décembre 2004 , vingt et un événements doivent impérativement être mis à la disposition du plus grand nombre de personnes. Le problème que pose cette liste est celui de la diversité des sports : seulement huit sports sont représentés si l’on fait exception aux jeux olympiques ; alors que le domaine sportif est très vaste.
Pour essayer de remédier à cette contagion, ces députés ont avancé quelques propositions pour modifier le décret du 22 décembre 2004 :
Premièrement, que toutes les compétitions sportives se déroulant sur le sol français soient accessibles au plus grand nombre de téléspectateurs. Les députés essaient d’éviter que certains matches du championnat d’Europe de 2016 qui se déroulera en France ne soient accessibles que sur certaines chaînes payantes.
Deuxièmement, que soit rendu obligatoire la retransmission de l’ensemble des « rencontres sportives à caractère national ou international, où interviennent des équipes ou des athlètes français ».
Troisièmement, que la contribution sur la cession des droits de diffusion de manifestations ou de compétitions sportives soit augmentée à 10 % en cas de non-respect des deux précédentes propositions, le taux actuellement en vigueur étant de 5 %.
La réponse à cette problématique ne s’arrête cependant pas une proposition de loi. En effet, pour comprendre le sujet, il est opportun d’expliquer que si le décret du 22 décembre 2004 existe, c’est en faveur du respect d’un droit fondamental en droit de la communication audiovisuelle : le droit à l’information du public.
Le non-respect du droit du public à l’information
Le droit à l’information du public peut être considéré comme une véritable dérogation au droit exclusif du propriétaire des droits de retransmissions, permettant de répondre à l’exigence d’information du public. En effet, c’est en considération du nécessaire pluralisme des quotidiens d’information politique et générale dont il fait un objectif de valeur constitutionnelle, que le Conseil constitutionnel consacre le droit du public à l’information.
Le problème étant que ce droit fondamental n’est pas toujours respecté que ce soit en France, mais aussi dans d’autres pays européens dotés d’une liste d’événements d’importance majeure. En effet, dans une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne en date du 18 juillet 2013, la cour a débouté les demandes respectives de la FIFA (Fédération internationale de football association) et de l’UEFA (Union des associations européennes de football). Ces deux associations contestaient la décision de la Commission Européenne ayant validé les listes d’événements d’importance majeure du Royaume-Uni et de la Belgique qui comportaient la retransmission du Championnat d’Europe et de la Coupe du Monde.
Pour la CJUE, ces restrictions se justifiaient « par l’objectif visant à protéger le droit à l’information du public et à assurer un large accès du public aux retransmissions télévisées de ces événements ».
En tout état de cause, il est donc opportun de montrer que l’Union Européenne met un point d’honneur à faire respecter le droit à l’information du public. Mais jusqu’à quel point ?
En effet, la Commission Européenne a eu pour rôle en 2004 de valider la liste qui lui était soumise. Cette liste répondait elle à un souci d’information du public ? En tout état de cause, et si l’on en fait une première lecture, cette liste avait pour intérêt de rendre accessible au plus grand nombre la retransmission de manifestation sportive à la télévision. Mais si l’on se penche plus précisément sur le texte, sa clarté et sa précision n’est plus la même ; il n’est question, pour certains événements, que de phase finale (entendu comme la diffusion de la demi-finale et finale uniquement). La Coupe du Monde ou encore le Championnat d’Europe de tel ou tel sport n’est-il pas en lui même un événement d’importance majeure ? Pas pour les rédacteurs du décret en tout cas.
Et que dire du championnat d’Europe de football organisé en France en 2016 ? BeIN sports ayant acquis la majorité des droits de retransmission, vingt-neuf rencontres ne seront visibles que par les abonnés de cette chaîne. Cette compétition sportive qui est l’une des plus importantes au monde et de surcroît organisée en France, ne pourra être accessible par l’ensemble des téléspectateurs.
Suite à la proposition de loi déposée par quelques députés, une question a été posée à ministre de la culture et de la communication par le sénateur Yannick Vaugrenard. Celui ci reprend les arguments de la proposition de loi des parlementaires en ce fondant sur des chiffres mettant en exergue « la raréfaction du sport gratuit à la télévision exclut de fait les téléspectateurs aux moyens financiers réduits ». Ce qui laisse présager une fracture sociale entre les téléspectateurs ; une fracture sociale déjà existante selon nous.
Encore une fois, l’obsolescence du décret de 2004 est posée par le sénateur : « il est aujourd’hui insuffisant et ses termes demeurent trop imprécis ».
Dans sa réponse au sénateur Vaugrenard, Aurélie Filippetti est consciente du caractère désuet du décret du 22 décembre 2004 au regard notamment de « l’accroissement de la concurrence sur le marché de la télévision payante ». En outre, elle exprime le souhait d’une plus grande diversité des sports retransmis à la télévision et l’accès au plus grand nombre de téléspectateurs à ces événements sportifs, et cela en respect du droit du public à l’information.
Pour ce faire, la ministre de la culture et de la communication s’est engagé à mettre en place d’ici la fin d’année 2013, une concertation sur « l’équilibre de la diffusion du sport entre les chaînes gratuites et payantes » avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel mais aussi tous les diffuseurs et organisateurs d’événements sportifs.
Une chose est sûre, le décret du 22 décembre 2004 sera modifié dans les semaines à venir. Est ce que cette modification changera les choses ? Nous n’en sommes pas certain.
Sources :
-ANONYME, « Diffusion de rencontres sportives à la télévision : ouverture d’une consultation avant fin 2013 », jurist4medias.fr, publié le 14.10.2013, consulté le 15.10.2013
Disponible sur : http://www.jurist4medias.fr/2013/10/14/diffusion-des-rencontres-sportives-a-la-television-ouverture-dune-consultation-avant-fin-2013/
-SÉNAT, « Diffusion des rencontres sportives sur les chaînes à péage », senat.fr, publié le 16.10.2013, consulté le 18.10.2013
Disponible sur : http://www.senat.fr/questions/base/2013/qSEQ13060493S.html
-ASSEMBLÉE NATIONALE, « Question n°1032 de M. Guénhaël HUET », assemblee-nationale.fr, publié le 15.05.2013, consulté le 15.10.2013
Disponible sur : http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1032.asp
–ANONYME, « Retransmission télévisée : la Coupe du Monde et la Coupe d’Europe considérées comme des événements d’importance majeure par le CJUE », jurist4medias.fr, publié le 30.07.2013, consulté le 15.10.2013