Le 12 octobre dernier, une découverte surprenante faisait son apparition pour la communauté des passionnés de la célèbre saga « Star Wars » de George Lucas. En effet, un collectionneur américain a acheté sur le site commerçant Ebay, un Laserdisc vieux de 20 ans contenant 30 minutes de scènes de tournage inédites et making of du Retour du Jedi (épisode VI de Star Wars, sorti en 1983). Tout en restaurant les images et désireux de partager sa trouvaille au public, l’homme a pris l’initiative, fin octobre, de créer une page Facebook intitulée « Return of the Jedi long lost EditDroid Laserdisc Discovered », sur laquelle il publie régulièrement, sans en avoir informé au préalable le détenteur des droits, des vidéos extraites du support, invoquant la notion de « Fair use », exception spécifique au copyright aux États-Unis, prévue par le §107 du titre 17 de l’United States Code.
La stratégie de défense arguant le Fair use peut-elle permettre à cet homme d’éviter le risque d’une démarche contentieuse pour cause de violation du copyright détenu par Walt Disney pictures propriétaire de LucasFilm, racheté en 2012 ? Et qu’en serait-il en matière de droit d’auteur en France ?
Le copyright : Disney détenteur des droits exclusifs de représentation de l’oeuvre
Historiquement, l’approche du droit d’auteur dans les pays de Common-law se différencie de celle adoptée par ceux de droit civil. Ainsi, aux États-Unis (E.U.), la protection des œuvres par le copyright est marquée par un aspect économique fort qui se traduit par l’attribution de droits patrimoniaux exclusifs à l’auteur ou l’ayant-droit. Cependant, malgré la tentative d’harmonisation au niveau international du droit d’auteur par la Convention de Berne en 1971, l’Etat américain n’a jamais accepté de ratifier, dans le titre 17 du Code des États-Unis consacré à l’US Copyright Law, la disposition octroyant un droit moral à l’auteur de l’œuvre.
Conformément au §101 et suivants du titre 17 de ce code, sont identifiées comme des œuvres, les œuvres audiovisuelles et cinématographiques. Dès lors que celles-ci sont achevées et fixées sur un support, le propriétaire du copyright, au titre du §106, détient les droits exclusifs de faire et d’autoriser, la reproduction, la distribution et la représentation publique de l’œuvre cinématographique. Pour le droit d’auteur, aux E.U., les œuvres audiovisuelles sont considérées comme des « works made for hire » (œuvres réalisées dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrages ou de service) pour lesquelles l’auteur est le producteur de l’œuvre. Ainsi, à la différence du droit d’auteur français, du fait de l’absence de droit moral, lorsque l’auteur, personne morale ou personne physique, décide de transmettre ou céder ses droits sur l’œuvre et sous condition du respect de la procédure légale (§204 et 205), le cessionnaire acquiert la propriété de l’ensemble des prérogatives exclusives de celui-ci (§203). L’ auteur est alors, pour l’avenir, dénué d’un quelconque pouvoir de revendication sur son œuvre.
Dans le cas d’espèce, LucasFilm était propriétaire du copyright sur l’ensemble des épisodes de Star Wars comprenant l’épisode VI du « Retour du Jedi », jusqu’à son rachat en 2012 par la société de production Walt Disney pictures. Depuis lors, cette dernière est donc légalement titulaire du copyright, et de facto, des droits exclusifs sur l’intégralité des œuvres cinématographiques. Ainsi, le Laser Disc contenant les scènes inédites, initialement destiné à la promotion d’un nouveau système « Editdroid » que souhaitait commercialiser LucasFilm en 1984, disque égaré, retrouvé dans un tas de vieux CD puis vendu sur Ebay, est marqué par le copyright de Disney. La société est alors normalement en droit de s’opposer à toute représentation publique, sans son autorisation, du making of restauré par le collectionneur américain. Par conséquent, publier ces séquences vidéos sur Facebook constituerait une violation du copyright de Disney qui pourrait entraîner la saisine du juge civil (§502).
Face au copyright de Disney, une seule exception serait susceptible d’écarter une éventuelle sanction du juge en faveur de Disney : le Fair use invoqué par le défendeur.
Le « Faire use » : une exception aux droits exclusifs de Disney ?
A chacune de ses nouvelles publications de scènes inédites sur sa page Facebook, le passionné invoque l’exception dite de « Fair use » (usage loyal ou raisonnable) prévue par le §107 permettant de se dégager de l’obligation de demande d’autorisation au propriétaire du copyright.
Le texte prévoit expressément qu’il existe un usage loyal d’une œuvre protégée qui ne constitue pas une violation du droit d’auteur. Il s’agit d’un usage réalisé « à des fins telles que la critique, le commentaire, l’information journalistique, l’enseignement, les études universitaires ou la recherche ». Le législateur précise ensuite comment déterminer si l’utilisation de l’œuvre constitue un fair use mais ne dresse pas, comme c’est le cas en droit français, de liste claire de ces exceptions. Sont ainsi indiqués quatre éléments que le juge doit considérer, à savoir, l’objectif et la nature de l’usage, la nature de l’œuvre protégée, la quantité et l’importance de la partie utilisée en rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée ainsi que les conséquences de cet usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’œuvre protégée.
L’appréciation de ces éléments, effectuée par les juges américains est spécifique et diffère selon les cas d’espèce1. De ce fait, il est difficile de déterminer à l’avance si l’usage constitue un « fair use ». Pour les utilisateurs, quelques pistes sont, par exemple, disponibles sur le site «Fairusetube » s’agissant d’apprécier si la vidéo que l’on publie sur Youtube peut être identifiée ou non comme un usage raisonnable.
En se référant aux faits relatés dans la presse en ligne, la publication des scènes inédites par le collectionneur n’est pas réalisée dans un but lucratif. Celui-ci déclarait dans une interview accordé au journal Le Monde « qu’il s’agit d’une démarche de fan, non commerciale ». Il justifiait également cette mise à disposition au public dans un but d’éducation et invoquait la valeur historique du contenu du laserdisc, notions entrant dans le champ de l’article 107. Difficile dans ce cas de juger seul de la valeur éducative de l’œuvre de George Lucas.
Ensuite, concernant la nature de l’œuvre protégée, en l’espèce, il s’agit de scènes de l’épisode VI « Le Retour du Jedi », partie intégrante de la célèbre et créative saga Star Wars ayant rencontré un immense succès auprès du public, et dont les recettes pour ce film se sont élevées à plus de 572 millions de dollars. Or, pour les juges, il semblerait que plus l’œuvre est créative et dispose d’un potentiel financier élevé, mieux elle sera protégée et moins le fair use pourra être invoqué.
De plus, à propos de la quantité et l’importance de la partie de l’œuvre utilisée, il s’agissait jusqu’au 8 novembre dernier, de vidéos d’une durée d’environ deux minutes. A partir de cette date, les 30 minutes de scènes ont été publiées en intégralité sur la page Facebook consacrée au laserdisc. Or, pour les juges, plus la durée utilisée est importante, moins l’exception de fair use peut être envisagée.
Enfin, s’agissant de la conséquence de ces publications sur le marché potentiel, on peut considérer qu’au vu des intérêts économiques induits par le film et de la volonté de Disney de réaliser des suites de la saga, celles-ci sont susceptibles de causer des préjudices financiers à la société. On pourrait imaginer que de telles scènes jamais vues par le public auraient pu être utilisées dans les prochaines œuvres cinématographiques. Pourtant, actuellement, ces publications sont un bon moyen de créer un « buzz » permettant de préparer l’arrivée du futur épisode annoncé pour 2015.
En d’autres termes, il s’agit de rester pragmatique et comprendre que l’exception au copyright dans cette affaire n’a que peu de chances d’être acceptée par le juge si la société Disney ( « poids lourd » du paysage américain de la production) décidait de mener une action contre ce fan pour violation de son droit d’auteur. Pour le moment, cette dernière n’a pas encore réagi. Aucune demande de retrait de contenus n’aurait été adressée à Facebook, ni aucune saisine de juridiction n’est connue à ce jour. Mais qu’en serait-il en droit français ?
Le droit d’auteur français : une conclusion similaire à celle du copyright
Le droit d’auteur français reconnaît, dans le cadre d’une œuvre cinématographique dite « de collaboration », la qualité d’auteur aux personnes physiques (et non pas au producteur comme aux E.U) qui ont contribué à la création de celle-ci (article L. 113-7 CPI). Ainsi, chacun de ces auteurs disposent de droits patrimoniaux et de droits moraux sur ses contributions dès lors que l’œuvre est achevée. En cas de cession de ces droits, seuls les droits patrimoniaux sont cédés, le droit moral étant perpétuel, imprescriptible et inaliénable. En droit d’auteur, Disney serait donc détenteur de droits patrimoniaux similaires à ceux prévu par le US Copyright Law, et pourrait alors s’opposer à toute représentation de l’œuvre cinématographique sans son autorisation. En l’espèce, Disney serait en droit de saisir le juge pour violation de ses droits patrimoniaux, de même qu’il aurait intérêt à demander à Facebook en qualité d’hébergeur de retirer le contenu, si l’éditeur (le fan de Star Wars) ne l’accepte pas, conformément aux règles pénales de responsabilité en cascade.
Assimilables au Fair use américain, en France, les exceptions aux droit patrimoniaux sont codifiées à l’article L.122-5 du CPI et s’appliquent dès lors que l’œuvre a été divulguée. L’auteur ne peut alors s’opposer à certains modes de représentation de l’œuvre à condition que soient précisés le nom de celui-ci, la source et que « les analyses et courtes citations soient justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ».
En considérant les faits de l’espèce et le raisonnement similaire à celui suivi pour le Faire Use, il est parallèlement peu probable que les juges français puissent considérer que les publications du fan de Star Wars constituent une exception valable au droit patrimonial de la société Disney.
De plus, en droit d’auteur français, l’affaire pourrait, contrairement aux E.U., s’étendre sur un autre terrain, soit celui de l’atteinte au droit moral. Par exemple, s’agissant de l’atteinte au droit de divulgation, elle aurait pu être fondée sur le fait, en l’espèce, que les scènes et making of inédits n’avaient été présenté qu’une seule fois à un public restreint pour la promotion du système Editdroid, et non pas au grand public. Le fait de rendre accessibles au public ces scènes contreviendrait donc au droit de divulgation, les auteurs n’ayant pas souhaité les révéler, celles-ci n’étant pas été intégrées à l’œuvre achevée.
Les auteurs pourraient également faire valoir leur droit de repentir et de retrait, ou encore le droit à l’intégrité de l’œuvre auprès du responsable des publications vidéos sur Facebook.
En définitive, qu’il s’agisse du copyright ou du droit d’auteur, il semble que l’amateur de Star Wars au centre de cette affaire ne soit pas dans une très bonne position juridiquement parlant. Dans l’attente d’une éventuelle réaction de la part de Walt Disney pictures, vous avez toujours la possibilité de profiter et d’apprécier, en connaisseurs ou en curieux, ces images inédites avant qu’il ne soit trop tard…
1 KERVEN S., « Comparaison du fair use américain et des exceptions légales françaises qui permettent d’utiliser une œuvre sans l’autorisation de l’auteur », u-paris10.fr, publié le 17 mars 2009, disponible sur < http://m2bde.u-paris10.fr/content/comparaison-du-fair-use-am%C3%A9ricain-et-des-exceptions-l%C3%A9gales-fran%C3%A7aises-qui-permettent-d%E2%80%99util >
Sources :
ALWAN M., « Star Wars: des scènes inédites retrouvées », lefigaro.fr, mis en ligne le 29 octobre 2013, consulté le 30 octobre 2013, disponible sur <http://www.lefigaro.fr/cinema/2013/10/29/03002-20131029ARTFIG00607-star-wars-des-scenes-inedites-retrouvees.php>
ANONYME., « SABRE LASERDISC – Trente minutes inédites du tournage du « Retour du Jedi » retrouvées sur eBay », lemonde.fr, mis en ligne le 28 octobre 2013, consulté le 30 octobre 2013, disponible sur <http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2013/10/28/sabre-laserdisc-trente-minutes-inedites-du-tournage-du-retour-du-jedi-retrouvees-sur-ebay/>
BOURDEAU T., « Des inédits de Star Wars diffusés sur Facebook », rfi.fr, mis en ligne le 29 octobre 2013, consulté le 30 octobre 2013, disponible sur <http://www.rfi.fr/technologies/20131029-star-wars-editdroid-george-lucas-videos-inedits-jedi>