En mai 2013, la Toile toute entière s’enflammait face à la présence d’une vidéo de décapitation publiée sur Facebook.
Le réseau social a tout d’abord refusé de la retirer sous prétexte qu’il ne s’agissait pas d’un « contenu incitant à la haine ou à la violence, menaçant, à caractère pornographique ou contenant de la nudité ou de la violence gratuite » tels qu’ils sont prohibés au sein de la Déclaration des droits et des responsabilités de Facebook. En effet, Facebook considère qu’une vidéo, bien que contenant des images choquantes, voire traumatisantes, peut être légitimement publiée si elle contribue à condamner ou à dénoncer des comportements.
Cependant, face aux pressions et aux dénonciations des internautes, le réseau social s’est vu dans l’obligation morale de retirer cette vidéo après un énième signalement de celle-ci.
Coup de théâtre : le 22 octobre 2013, la vidéo réapparaît.
La BBC, informée par un internaute de la résurgence de la vidéo, contacte Facebook afin de lui demander des explications suite à ce retournement de situation. La rédaction de la chaîne d’information relatera par la suite son entretien avec les dirigeants du réseau social en expliquant que : « Les équipes américaines ont confirmé qu’elles considéraient que les utilisateurs devaient avoir la liberté de regarder et de condamner ces vidéos ».
Suite à de nombreuses condamnations de cette décision, telle que le tweet de David Cameron qualifiant l’attitude de Facebook d’ « irresponsable », le réseau social consent à munir cette vidéo d’un message d’avertissement quant à la violence des images du contenu.
Finalement, face au scandale que cette décision a pu susciter, le réseau social se résigne à supprimer la vidéo en l’accompagnant d’un communiqué précisant : « Sur la base de critères améliorés, nous avons réexaminé les signalements récents de contenu violent et nous avons conclu que ce contenu faisait l’apologie de la violence de manière inappropriée et irresponsable. Pour cette raison, nous l’avons retiré ».
Cependant, même si la vidéo n’est plus visible aujourd’hui, l’attitude du réseau social peut nous pousser à nous interroger sur certains points.
Une liberté d’expression nuancée quant au contenu des publications
Au sein de son article 1er, la page relative aux principes de Facebook indique : « Chacun devrait pouvoir être libre de partager les informations qu’il souhaite, sous la forme de son choix, avec qui il le souhaite – une autre personne, une entreprise ou un service – tant qu’ils acceptent tous deux cette connexion. ».
Le symbole de la position de cet article est fort : le principe énoncé en priorité est la liberté d’expression. On pourrait donc penser qu’elle s’avère totale et sans limite sur le réseau social.
Il serait également possible de le penser face à l’attitude de Facebook et à son refus de retirer cette vidéo de décapitation. Ainsi, tout internaute détenant un compte, pourrait publier des photographies, vidéos, dans le but d’exprimer une opinion, de lancer un débat ou une discussion.
C’est ce que Facebook a voulu nous faire comprendre en faisant preuve d’ une telle tolérance.
Cependant, cela serait plausible et justifié si le réseau social agissait de même avec toutes les formes de contenu. Or, il n’en n’est rien.
En effet, de nombreux utilisateurs ont dénoncé le fait que Facebook censure automatiquement des publications contenant des photographies de poitrines féminines ou d’une quelconque nudité. On peut alors s’interroger sur la neutralité des choix effectués par celui-ci. En effet, à ce niveau-là, la censure est quasi systématique. Or, visionner une vidéo de décapitation n’est-il pas plus traumatisant que d’apercevoir un morceau de poitrine ou de nu, qui plus est, s’il s’avère artistique ?
Ce n’est pas l’avis de Facebook, qui, en 2011 a tout simplement exclu temporairement un de ses utilisateurs pour avoir publié la photographie de l’œuvre de Courbet : « L’origine du Monde » représentant un sexe féminin. Celui-ci a par la suite rétabli le compte de l’utilisateur lésé en expliquant qu’il s’agissait d’une erreur compte tenu du caractère artistique de la publication.
Cependant, malgré cette correction, ne peut-on pas s’interroger sur la légitimité et l’efficacité de la censure systématique de la nudité par Facebook ?
Un article de presse a relayé l’information selon laquelle un site Internet avait souhaité tester l’automatisme de cette censure. Pour cela, une femme a été photographiée dans son bain. La photo a par la suite été censurée. Or, aucune poitrine n’était visible sur la photographie. Facebook a en fait confondu la poitrine de la jeune femme avec…ses coudes.
Cette liberté d’expression peut donc ici s’avérer très variable et nuancée selon le type de contenu.
Aussi, un organisme en a récemment fait l’expérience mais le problème posé par cette énième censure de Facebook se trouve dans l’objet et le but de la publication litigieuse.
En effet, le mois d’octobre est considéré par les associations de lutte contre le cancer du sein comme le mois « d’octobre rose », moment pendant lequel la campagne est accentuée et la sensibilisation au cœur de celle-ci. Des photographies montrant légitimement des poitrines de femmes ayant été atteintes, ou actuellement atteintes, du cancer du sein, ont donc été publiées via les réseaux sociaux. La réaction de Facebook a étrangement été beaucoup plus rapide que celle tant attendue lors de la publication de la vidéo de décapitation : les photos ont été censurées pour cause d’atteinte à sa Déclaration des droits et responsabilités.
Or, face à une telle réaction il est possible de se questionner sur les motivations de Facebook. En effet, le réseau social avait justifié le maintien en ligne de la vidéo de décapitation dans un but de dénonciation et de condamnation de ces faits par les internautes, mais n’en n’est-il pas de même pour une campagne luttant contre la maladie de notre Siècle ? L’attitude de Facebook s’avère ici incompréhensible.
Des « choix éditoriaux » dénoncés
Le journaliste Mathew Ingram dénonce à travers de telles pratiques l’existence d’un véritable « choix éditorial ». Il est en effet possible de le penser car Facebook choisi de laisser en ligne certains contenus affichant des faits parfois illégaux (consommation de drogue, infractions au code de la route), face à d’autres contenus n’ayant légalement aucune raison d’être retirés.
Ces choix peuvent notamment s’expliquer par le fait que les principes de Facebook, dont la liberté d’expression, sont inspirés de la Constitution Américaine et plus particulièrement de son article 1er qui énonce l’existence d’une liberté d’expression absolue.
En effet, en France, la liberté d’expression a pour fondement l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en date de 1789. Cependant, elle n’est pas absolue et connaît des limites afin de garantir le respect de chacun. Ainsi, la Loi relative à la liberté de la presse en date du 29 juillet 1881 et le Code Pénal répriment des délits tels que l’incitation à la haine raciale, à la violence ou à la discrimination des personnes en raison de leur sexe, orientation sexuelle, ou religion.
Cependant, la conception de la liberté d’expression Outre-Atlantique s’avère beaucoup plus libérale. Certains utilisateurs de Facebook l’ont bien compris et n’hésitent plus à tenir des propos racistes, antisémites ou xénophobes. La liberté d’expression s’avère donc totale concernant ce genre de publication, contrairement aux publications de photographies de corps dénudés, ou d’œuvres.
Cette vision américaine de la liberté d’expression se globalise donc en faisant oublier à chaque citoyen que les conceptions changent en fonction de leur localisation.
Ainsi, la neutralité de Facebook ne s’avère pas totale puisque le réseau est lui-même influencé par la vision que se fait son créateur, de la liberté d’expression.
Facebook face au droit à l’information
Suite à la publication de cette vidéo de décapitation, le réseau social a argué du fait que les internautes publiaient ce genre de contenu dans le but de condamner ce genre de pratique. Cependant Facebook s’avère beaucoup plus censeur face à la publication d’images relatant des faits d’actualité qu’il juge choquantes ou ne respectant pas ses standards.
C’est ainsi que Facebook a été amené à plusieurs reprises à censurer des photographies d’actualité lorsqu’il était jugé qu’elles contenaient des éléments violents ou de nudité.
Le journal l’Express a notamment fait les frais de la politique de Facebook en publiant, via le réseau social, une photographie de l’artiste chinois Ai Weiwei. Cette photographie expose l’artiste nu entouré de quatre jeunes femmes dans le plus simple appareil, elle représente le pouvoir entouré des quatre classes sociales chinoises. Ce cliché a d’ailleurs valu à l’artiste d’être la cible du gouvernement chinois. Cependant, malgré le fait que cela soit l’illustration d’une information internationale, elle n’a pas résisté à la politique du réseau social.
Le journal Le Monde en a également fait l’expérience suite à la publication d’une photographie d’un tibétain s’immolant par le feu, dans le but d’illustrer le fait qu’une énième immolation avait eu lieu.
Aussi, lors des attentats de Boston en avril 2013, Facebook avait supprimé des photographies jugées choquantes, mais avait récolté les foudres des internautes qui voyaient à travers ces publications des éléments d’informations et de potentiels témoignages.
Il est donc possible de se questionner sur le fait de savoir si visionner une photographie d’actualité, certes choquante, suivie d’explications journalistiques, n’est-il pas moins traumatisant que celui de visionner une vidéo de décapitation n’étant accompagnée d’aucune explication ?
Suite aux nombreuses réactions déclenchées par la vidéo de décapitation, Facebook a précisé que « tout partage de vidéos violentes «dans le but de satisfaire des plaisirs sadiques» sera lui censuré ». Mais face à de telles tergiversations, il serait nécessaire que le premier réseau social mondial réexamine ses seuils de tolérance quant à une éventuelle censure et fasse preuve d’une plus grande expertise face à la publication de contenus afin que la censure tant dénoncée ne s’avère plus systématique.
Aussi, il est possible d’envisager que de telles censures soient sanctionnées par les internautes eux-mêmes qui se dirigeront de leur plein gré vers des réseaux sociaux plus scrupuleux et à la fois plus libéraux s’agissant événements d’information ou de publications artistiques.
Il est compréhensible que la limite entre censure et protection du public, soit difficile à déterminer, cependant, les besoins des sociétés démocratiques actuelles restent les mêmes : un accès global à l’information et des atteintes proportionnées et justifiées à la liberté d’expression.
SOURCES :
ANONYME, « Facebook outragé par une photo censure la lutte contre le cancer du sein », L’Express, mis en ligne le 4 octobre 2012, consulté le 2 novembre 2013, disponible sur : http://m.lexpress.fr/facebook-outrage-par-une-photo-censure-la-lutte-contre-le-cancer-du-sein_1170281.html
HAMON (F.), « Comment Twitter et Facebook américanisent la liberté d’expression française », Le Monde, publié le 19 octobre 2012, consulté le 5 novembre 2013, disponible sur : http://rezonances.blog.lemonde.fr/2012/10/19/comment-twitter-et-facebook-americanisent-la-liberte-dexpression-francaise/
RONFAUT (L.), WOITIER (C.), « Facebook consent à retirer une vidéo de décapitation », Le Figaro, publié le 23 octobre 2013, consulté le 2 novembre 2013, disponible sur : http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/10/22/01007-20131022ARTFIG00405-une-video-de-decapitation-sur-facebook-cree-la-polemique.php
SZADKOWSKI (M.), « Pourquoi Facebook a hésité à retirer une vidéo de décapitation », Le Monde, publié le 26 octobre 2013, consulté le 30 octobre 2013, disponible sur : http://rezonances.blog.lemonde.fr/2013/10/26/facebook-video-decapitation-liberte-d-expression/