Dans le cadre du projet national pour l’éducation artistique et culturelle le mois dernier, la Ministre de la Culture Aurélie Filippetti a lancé la première édition de « l’Automne Numérique ». Ce projet original s’est construit autour de trois évènements qui se sont tenus du 23 octobre au 7 novembre. Ceux-ci avaient pour but selon Mme Filippetti de «faire découvrir de manière concrète les enjeux croisés du numérique et de l’éducation artistique et culturelle». Ces évènements permettent de revenir sur certains enjeux importants, abordés plus tôt dans l’année par le rapport Lescure. Cet Automne Numérique est donc l’expression du choix fait par le Ministère de la Culture de sensibiliser l’opinion sur les problématiques liées au numérique par la forme ludique.
Mashup pour aborder la délicate question des œuvres transformatives.
Les mashups ou ‘l’assemblage au moyens d’outils numériques, d’éléments visuels ou sonores provenant de différentes sources’ sont une forme de création musicale et/ou audiovisuelle. Ce type de création, facilité par les outils numériques, est extrêmement populaire sur internet. Sans parler des désormais incontournables remix, l’existence de sites tel Vimeo démontre l’engouement pour cet « Art nouveau » qui produit ce que l’on nomme des ‘œuvres transformatives’. Sous condition d’originalité, ces œuvres peuvent donc bénéficier de la protection du droit d’auteur. Et conformément au droit d’auteur français cela implique que chaque œuvre originaire utilisée ait fait l’objet d’une demande d’autorisation pour cette utilisation au détenteur des droits…
Tâche complexe donc. En inadéquation avec l’extrême rapidité et simplicité de création, mais surtout de publication de ce type de création. D’une part la multiplicité des œuvres utilisées peut rendre la recherche du détenteur des droits bien fastidieuse, ou s’avérer tout simplement infructueuse. Et d’autre part, avouons-le, la pratique est telle que c’est une démarche souvent ‘oubliée’ par les créateurs.
Si bien que cette forme de création est perçue négativement. Soit en considérant qu’il s’agit d’une forme de contrefaçon difficile à enrayer, soit d’une forme de création précaire, laissant des œuvres nouvelles vulnérables à une action en contrefaçon, puisque dénuées de protection juridique. La question du statut juridique à adopter pour ces remix et mashhup est une interrogation à laquelle avait tenté de répondre le rapport Lescure dans ses propositions numéro 68 et 69 qui envisagaient « une extension de l’exception de citation, en ajoutant une finalité « créative ou transformative», dans un cadre non commercial ».
La SACEM avait d’ailleurs réagi à la proposition en exprimant son inquiétude concernant la création d’une nouvelle exception et l’atteinte portée au droit moral. Sensible à cette question, Mme Filippetti avait alors saisi durant l’été le CSPLA afin qu’il se prononce sur cette question. [Le rapport du conseil sur ce point n’est pour l’heure pas encore publié.]
C’est donc en tenant compte de ces débats de fond qu’il faut porter un regard sur le mashup du 23 octobre réalisé par les étudiants de l’Ecole Nationale de la Création Industrielle en partenariat avec les communautés de l’open source et de l’économie collaborative : Open Knowledge Foundation, Creative Commons, Wikimédia France, OuiShare, La Cantine/Silicon Sentier.
Tout l’intérêt de cet atelier est qu’il se situe dans une vision positive de cette forme de création. Outre nous démontrer la (bonne ?) volonté de tenir compte de la réalité de cette pratique, plutôt que de lutter contre ce phénomène le rendez- vous le valorise, et ce, en faisant la part belle à la licence libre. Le but mélanger idées créatives et pratiques numériques pour donner une autre vie aux œuvres du patrimoine.
Et pour ce faire, cinq groupes d’étudiants, qui, en assemblant et revisitant des d’œuvres du domaine public, ou placées sous licence libre, ont largement su relever le défi. Certains ont ainsi pu créer une application mélangeant différentes œuvres pour se répondre au cœur d’une « battle » culturelle, une autre équipe les a mixées en fonction d’un mot-clé pour ensuite les partager sur les réseaux sociaux. D’autres ont encore inventé le « mashup exquis ». Et un groupe a pu réaliser le projet original de détourner la fameuse imprimante 3D en machine à tatouer.
Une rencontre réussie pour démontrer l’univers des possibles offerts par le numérique en matière culturelle.
Quant au droit d’auteur, une chose est certaine, les étudiants concernés y auront été sensibilisés. A l’heure de la crise de légitimité que le droit d’auteur traverse, cette rencontre est une occasion d’entrevoir l’évolution envisagée par nos politiques. Et il ne peut qu’être constaté, ne serait-ce que par la façon dont le projet a été mené, que le choix est fait d’axer la réflexion sur la problématique du droit d’auteur autour du développement de l’offre légale par le biais des licences libres.
Valorisation de l’ouverture des données publiques : Hackathon Dataculture
Pour le second événement c’est l’open data qui est mis à l’honneur par l’organisation d’un concours. Est choisi pour l’occasion un format issu des cultures numériques pour sensibiliser le public à l’open data en matière culturelle: l’hackathon ou marathon du hacking. C’est à dire la manipulation de système dans le but de regrouper des données dans un temps limité.
Le rendez-vous a réuni 60 participants au sein de Simplon.co. répartis en 11 groupes pour 52h de travail afin de créer « les services culturels de demain ». Ces nouveaux services se sont construits sur la base de plus d’une centaine de données libérées par un ensemble d’administrations culturelles publiques en plus de celles déjà présentes sur data.gouv.
Toujours de manière festive et créative, l’évènement s’inscrit dans la valorisation du mouvement de libération des données que détiennent les services de l’État et les collectivités territoriales. C’est ce que l’on appelle l’open data.
Si la liberté d’accès aux données publiques est posée depuis 1978 dans un but de transparence, et d’accès aux droits, depuis la modification de cette loi en 2005, s’y ajoute un droit de réutilisation des ces données. Ce droit répond à la préocupation de stimuler l’ innovation économique et sociale, en permettant à tous de se saisir des ces informations.
La libération et la réutilisation de ces informations a pourtant suscité de nombreux débats. La crainte que cette mise à disposition des données publiques ne favorise une sorte de « pillage », à des fins commerciales, par des entreprises étrangères a très vite été formulée. Des inquiétudes se sont fait entendre sur le risque que cela représenterait pour la vie privée. L’open data engendre la délicate question de la différenciation entre données publiques et données personnelles, et, plus globalement, de la définition même des «données». On peut redouter également que ces informations ne servent à produire des services intrusifs ou discriminants. Ou bien encore,que l’ouverture de ces données ne conduise à terme, à la disparition des services publics, concurrencés par des entreprises privées, qui elles ne seront pas soumises à la transparence qu’implique l’open data.
Mais cet hackathon, dans la lignée des publications du guide dataculture et de la feuille de route de l’open data , s’incrit résolument dans une vision positive du phénomène. Porteur d’innovation et outil de démocratie ,l”open data permettrait de générer un dynamisme économique en offrant aux entreprises la possibilité de s’approprier ces données pour proposer de nouveaux services plus ciblés et plus efficaces. Sentiment que l’on retrouve dans l’organisation de ce concours. Et en effet Créativité et Innovation sont bien les maîtres mots de cet hackathon des 25-26 et 27 octobre.
Dans cette seconde étape de l’Automne Numérique, l’open data est clairement perçu comme un vecteur de transmission culturelle. Onze projets innovants ont émergé de ce concours consacré à la culture et l’éducation numérique. Pour ne citer que les lauréats, le projet a ainsi vu naître un dispositif ludo-pédagogique, qui propose de suivre et d’échanger des données avec Lucien, un journaliste reporter-photographe imaginaire, témoin de la Guerre de 14-18. Grâce au compte Twitter du personnage, et à l’aide d’une frise et d’une carte interactive, les utilisateurs peuvent avoir accès aux fonds numérisés de la Première Guerre mondiale et ajouter leurs propres documents. Intitulé « La Der des Ders », le projet a décroché le grand prix. L’équipe « Planet’Art » via un site internet et la télévision a élaboré un programme permettant d’initier les enfants à l’art. Par l’intermédiaire d’écrans les enfants voyagent à travers des planètes peuplées d’œuvres d’art, qu’il s’agit de reconnaître. Enfin l’équipe « Connexe » s’est vu décerner le prix spécial jury, pour son projet de moteur de recherche de données numériques culturelles. Celui -ci permet aux utilisateurs de créer des liens sémantiques et intelligents entre les données et d’archiver les recherches dans une bibliothèque de données personnelles.
« Transmettre à l’ère du numérique »
Cette première édition de l’Automne Numérique s’est achevée le 7 novembre par une journée conférence sur des thèmes étroitement liés aux ateliers. Des sujets tels que «La culture à l’âge numérique», «Les net-artistes en réseau», «les nouveaux environnements de création», ou bien encore «Le web sémantique dans le secteur culturel», ont rythmés la journée .Au programme également, deux tables rondes intitulées : «Appropriation, détournements, mashup : les nouvelles pratiques artistiques à l’heure du numérique» et «L’éducation artistique et culturelle à l’heure du numérique». Des débats très intéressants, au cœur de l’actualité que l’on peut retrouver sur la chaîne Dailymotion du Ministère de la Culture et de la Communication.
Pour ce dernier rendez-vous Mme la Ministre a prononcé un discours rompant définitivement avec la logique de répression jusque là privilégiée en matière de numérique. Son allocution exprime la volonté du Ministère de s’inscrire dans une politique d’ouverture, et exhorte à « sortir des incantations et des peurs » et à passer à « l’An II de la Révolution numérique ».
Afin de répondre à cette ambition, douze mesures concrètes , liées au projet d’éducation artistique et culturelle porté par ce Ministère ont été annoncées. Celles-ci portent principalement sur trois domaines : les licences libres, l’open data et le domaine public.
Partant du constat que la production sous licence libre par les etablissements culturels français reste aujourd’hui minoritaire, le but est d’en encourager le developpement. Pour cela la Ministre propose de valoriser la plateforme culture.fr avec des ressources culturelles numérique mises à disposition sous licence Creative Commons . Dans la même optique est envisagé de privilégier la mise à disposition de ressources numériques sous licence libre pour des projets portés par des établissements publics ou des structures subventionnées. Et pour sensibiliser les acteurs culturels à cet outil, la ministre a annoncé l’élaboration d’un partenariat pilote avec Creative Commons France.
Concernant l’open data Mme Filippetti nous fait savoir que le ministère entend « donner sa pleine mesure à la politique gouvernementale en faveur de l’ouverture des données publiques » et favoriser « une économie numérique des données ». L’objectif annoncé est donc de poursuivre la mise en œuvre de la feuille de route mentionnée plus haut, et d’utiliser l’open data « comme levier de stratégie numérique » avec des projets de contrats Etats-Régions.
Autre point important pour l’avenir de l’open data qui ne doit pas être négligé : la question des redevances de réutilisations des données. Les décisions en la matière auront une influence directe sur le visage de «l’instrument» open data. Pour se déterminer sur la question le Ministère de la Culture et de la Communication organise actuellement un audit. A suivre.
Enfin, à propos du domaine public, après que le rapport Lescure ait recommandé d’en renforcer le statut, la Ministre nous informe de son intention de clarifier la notion dans son projet de loi sur la Création. Et afin d’optimiser ce domaine public, il sera mis en place un calculateur du domaine public français en partenariat avec l’Open Knowledge Foundation France.
Vaste programme donc, qui fait une place de choix à la création, avec de nouveaux temps forts comme la « R e-création », prévue pour 2014 ,ou le « Sillicon Valois », et qui nous promet de nombreuses évolutions.
Pour reprendre les mots de Mme la Ministre, espérons en effet que cet automne numérique ne fut que «les prémices d’un beau printemps de la création ».
Sources:
CHAMPEAU (G.), « Les remixes et les mashups intéressent le Ministère de la Culture », numérama.com, mis en ligne le 11.07.2013 consulté le 8.11.2013
CASSINI (S.), « La lente marche des données publiques vers l’open data »,lemonde.fr, mis en ligne le 13.10.2013 consulté le 8.11.2013
L.(J.), « Aurélie Filippetti propose un automne numérique », numérama.com, mis en ligne le 8.10.2013 consulté le 9.11.2013
http://www.numerama.com/magazine/27187-aurelie-filippetti-propose-un-automne-numerique.html
L.(J.), « Le domaine public consacré dans une proposition de loi » , numérama.com, mis en ligne le 9.11.2013 consulté le 15.11.2013
http://www.numerama.com/magazine/27201-le-domaine-public-consacre-dans-une-proposition-de-loi.html
RAULINE (N.), « Numérique, le Ministère de la Culture ouvre plusieurs fronts », lesechos.fr, mis en ligne le 7.11.2013 consulté le 15.11.2013
Ministère de la Culture et de la Communiction « Automne numérique », Cblog.ciluture.fr,mis en ligne le 5.11.2013 consulté le 12.11.2013
http://cblog.culture.fr/projet/2013/11/05/lautomne-numerique