Avis de tempête sur la planète Youtube ! Après la décision contestée de Google d’insérer une gestion des commentaires en partie basée sur Google +, Youtube est de nouveau fortement contesté par les « youtubers ». En effet, la célèbre plate-forme a décidé de renforcer sa politique en matière de droit d’auteur et de monétisation.
Content ID, un outil au cœur de la protection du droit d’auteur
La protection du droit d’auteur sur Youtube est notamment basée sur l’outil baptisé « Content ID ». Cet outil est une gigantesque base de données, permettant à Youtube de comparer les vidéos postées aux contenus protégés par le droit d’auteur qui y sont référencés. Si une correspondance est identifiée, l’ayant droit dispose de trois possibilités : d’une part, il peut monétiser la vidéo, en insérant une publicité permettant d’obtenir des revenus. D’autre part, il a la possibilité de bloquer la vidéo, afin qu’elle n’apparaisse plus. Enfin, il pourra utiliser la fonction de suivi afin que le nombre de vues apparaisse dans ses statistiques : c’est le schéma « monetize/block/track ». Depuis le 10 décembre 2013, Content ID est plus sensible, et permet de trouver beaucoup plus aisément des correspondances. Le champ d’application de cet outil a notamment été étendu aux chaînes liées aux MCN (« Multi-Channel Networks »). Ces réseaux multi-chaînes sont des « entités » s’affiliant à plusieurs chaînes Youtube et dont la fonction est de proposer « une assistance dans des domaines divers tels que le produit, la programmation, le financement, la promotion croisée, la gestion des partenaires ou des droits numériques, la monétisation, les ventes et/ou le développement de l’audience ». Les accords de « youtubers » avec ces MCN permettaient la monétisation des vidéos dans l’hypothèse où la vidéo incorporait du contenu protégé.
La monétisation des contenus
Youtube applique des conditions de monétisation strictes : une seule personne, l’ayant droit, peut bénéficier de la monétisation. Celui-ci doit pouvoir fournir à Youtube les documents qui prouvent qu’il bénéficie effectivement de la qualité d’ayant droit. La monétisation de vidéos est cependant possible si celle-ci ont été créées grâce à des contenus appartenant à une tierce partie. Dans cette hypothèse, la personne souhaitant monétiser une vidéo doit s’acquitter « des droits pour utiliser et monétiser ». Le support Youtube précise également que « généralement, une autorisation écrite expresse est rédigée par le titulaire des droits », et dresse une liste d’hypothèses. Ainsi, un compositeur postant une vidéo basée sur ses propres créations pourra parfaitement être monétisée. En revanche, la plate-forme exclut de la monétisation les vidéos créées à partir de contenus dont les droits sont détenus par une tierce personne, en accord avec les dispositions en vigueur. Par exemple, certains membres de la communauté Youtube se sont spécialisés dans les « covers » : ils interprètent les musiques de leurs artistes favoris ; peu d’entre eux disposent des droits permettant la monétisation de leurs vidéos. La solution la plus judicieuse semble donc de créer un contenu entièrement original. Une autre solution pourrait être, par exemple, d’utiliser des musiques libres de droits : il existe en effet des sites spécialisés dans les musiques libres de droits. Certaines licences permettent une exploitation commerciale. Cependant, certaines licences excluent toute utilisation commerciale. Il est utile de préciser que Youtube a également mis en ligne un catalogue de musique qui peuvent être utilisées pour créer des vidéos. Ces initiatives tendent à se développer, notamment grâce à une sensibilisation du public aux problématiques du « libre ».
Des membres actifs de la communauté, même s’ils sont rares, peuvent bénéficier de revenus publicitaires grâce au mécanisme de la monétisation, comme Cyprien, Norman, ou encore Hugo tout seul. Cependant, d’autres « youtubers », certes moins connus du grand public mais grandement appréciés des joueurs de jeux vidéo, sont particulièrement concernés par cette nouvelle politique. En effet, ceux-ci postent des vidéos pouvant être basées sur une session de jeux vidéo. Ces membres expriment ainsi leurs avis sur des jeux vidéo ou partagent leurs expérience. Ces vidéos, dont certaines sont d’une grande qualité, sont parfois d’une durée conséquente. Celles-ci utilisent nécessairement les moteurs de jeu et les musiques. Or, ces membres ne disposent généralement pas des droits sur ces contenus, même si certains postent des vidéos à la demande de sociétés. Youtube verse alors les gains aux ayants droits. Le support indique en effet que l’utilisation « de l’interface utilisateur d’un jeu vidéo ou d’un logiciel doit être limitée ». La monétisation est toutefois possible, si « le commentaire détaillé correspondant ne concerne que l’action montrée, et fournit des instructions ou possède un caractère pédagogique ». Mais la plate-forme précise également que les vidéos utilisant un jeu vidéo « pendant une période prolongée » ne peuvent pas être monétisées, à l’exception des vidéos dont les créateurs détiennent les droits. Les membres de la communauté Youtube ont invoqué le « fair use », et même l’exception de citation prévue à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Mais pour Youtube, la seule solution est de pouvoir fournir une autorisation expresse provenant des ayants droits. Certaines vidéos proposant des évaluations de jeux vidéo dépassent en effet des durées qui peuvent paraître contraires au « fair use ».
L’inquiétude de la communauté
Cette nouvelle politique a provoqué une véritable levée de boucliers « virtuels ». Les membres utilisant la monétisation ont fait part de leur inquiétude. Des captures d’écran de boîtes de courrier électronique ont été postées, montrant de très nombreux messages envoyés par Youtube afin de procéder à des vérifications et demandes de régularisation, ou simplement informer l’utilisateur qu’il ne peut plus bénéficier de la monétisation. En attente des vérifications, Youtube a semble-t-il désactivé la monétisation des vidéos concernées. Certains membres de la communauté ont même posté des vidéos critiquant cette nouvelle politique sur Youtube. Le 14 décembre, une de ces vidéos avait déjà atteint le seuil des trois cent mille vues, et était classée dans la catégorie « Vidéos populaires sur Youtube – France », sur la page d’accueil de la plate-forme.
Au-delà de la réaction des membres de la communauté Youtube, certains éditeurs de jeux vidéo tentent de bénéficier de cette inquiétude en prenant position pour les créateurs de vidéos. Ceux-ci ont notamment utilisé Twitter en demandant aux membres de la communauté de contester les demandes de régularisation afin qu’ils puissent les valider et ainsi permettre aux vidéos de rester visibles sur la plate-forme. Il est par ailleurs intéressant de noter que Nintendo avait récemment annoncé un partenariat avec Youtube, afin que les vidéos utilisant du contenu appartenant à Nintendo puissent être monétisées au profit de la célèbre firme japonaise et donc « au détriment » des personnes ayant posté ces vidéos. Une fois de plus, cette position avait été fortement contestée.
Certes, Youtube souhaite appliquer une politique plus respectueuse du droit d’auteur et tente de stabiliser ses relations avec les ayants droits. Cependant, il apparaît que ces politiques de protection sont de moins en moins appréciées par la communauté Youtube. La célèbre plate-forme ne semble pas disposée à revenir au système précédent. Au contraire, elle a annoncé vouloir soumettre les vidéos candidates à la monétisation à un examen préalable de conformité. Cette mesure sera mise en œuvre en janvier 2014.
Cette nouvelle politique pourrait favoriser l’essor d’autres plates-formes vidéos, comme Dailymotion. Cependant, il semblerait que les conditions générales d’autres plates-formes de vidéos précisent également que seuls les ayants droits peuvent bénéficier de la monétisation de leurs vidéos.
Le support Youtube donne quelques exemples de contenus pouvant faire l’objet d’une monétisation : « Vous avez filmé votre chat et votre vidéo ne contient pas de musique de fond ». Il ne reste plus qu’à espérer que Youtube ne devienne pas une plate-forme spécialisée dans les vidéos de chat, de surcroît sans musique de fond.
SOURCES
- ANONYME, « Quel type de contenu puis-je monétiser ? », www.youtube.fr, date de mise en ligne inconnue, consulté le 17 décembre 2013, disponible sur : <https://support.google.com/youtube/answer/2490020?hl=fr>
- DUSSAPT (C.), « Droits d’auteur sur les vidéos : Youtube change radicalement son fusil d’épaule », www.challenges.fr, mis en ligne le 12 décembre 2013, consulté le 13 décembre 2013, disponible sur : <http://www.challenges.fr/high-tech/20131212.CHA8372/droits-d-auteur-sur-les-videos-youtube-change-radicalement-son-fusil-d-epaule.html>
- DUVAUCHELLE (A.), « Youtube : le droit d’auteur au doigt mouillé », www.zdnet.fr, mis en ligne le 13 décembre 2013, consulté le 14 décembre 2013, disponible sur : <http://www.zdnet.fr/actualites/youtube-le-droit-d-auteur-au-doigt-mouille-39796322.htm>
- FAUCONNIER (F.), « Les youtubers de jeux vidéo ne toucheront plus de revenus pub », www.journaldunet.fr, mis en ligne le 12 décembre 2013, consulté le 13 décembre 2013, disponible sur : <http://www.journaldunet.com/media/publishers/youtubers-revenus-droits-1213.shtml>
- HUSSON (E.), « Comment Youtube s’est mis à dos les stars de sa communauté », www.challenges.fr, mis en ligne le 13 décembre 2013, consulté le 13 décembre 2013, disponible sur : <http://www.challenges.fr/high-tech/20131213.CHA8397/comment-youtube-google-s-est-mis-a-dos-les-stars-de-sa-communaute-norman-cyprien-remi-gaillard-mister-v-kriss.html>
- WOITIER (C.), « Droits d’auteur : Youtube change les règles du jeu », www.lefigaro.fr, mis en ligne le 12 décembre 2013, mis à jour le 13 décembre 2013, consulté le 13 décembre 2013, disponible sur : <http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/12/12/01007-20131212ARTFIG00498-droit-d-auteur-youtube-change-les-regles-du-jeu.php>