L’empire du milieu qui dès 2000 s’était juré de contenir l’impérialisme occidental hors de ses frontières au risque d’altérer et de pervertir la santé mentale de sa belle jeunesse par ses maudits instruments de divertissement pendant quatorze ans, vient de faire preuve d’un heureux assouplissement dans son idéologie, déjà bien ternie, en autorisant sous conditions le 7 janvier 2014 la présence des consoles des jeux vidéos dans ses artères économiques et foyers.
Une considération subliminale des consoles et des jeux
Quand en juin 2000 le ministère de la culture chinois, accompagné de six autres ministères décidèrent d’interdire toute introduction des consoles de jeux vidéos en République populaire de Chine, la raison était, en tout état de cause, idéologique et tout portait à croire que les gouvernants étaient décidés à renforcer cette autarcie culturelle si singulière sur leur population.
En mettant de côté le jugement sur le critère abusif de cette interdiction qui s’inscrit évidemment dans le classique autoritarisme de la Chine, l’on peut déjà aisément en expliquer les raisons. L’année 2000 était de facto une année charnière en matière de progrès technique des consoles, d’évolution du marché et d’imagination dans le contenu des jeux, l’équipe de Sun Jiazheng, alors ministre de la culture, qui n’avait jamais vu d’un très bon œil ce qu’il considérait comme une dérive cultuelle, conception fortement partagée soit dit en passant aussi en occident par les personnes peu familiarisées avec ces technologies, avait eu l’occasion d’apprécier l’ascension de la décadence non pas véritablement pour la violence des contenus mais notamment pour la peur du message sous-jacent et peut-être aussi pour leur incitation aux initiatives personnelles, à prendre individuellement des décisions, quoique virtuelles, une conception évidemment peu compatible avec la république populaire. En clair, si les jeux vidéos ont pour principe basique d’incarner un personnage virtuel que l’on commande, au Japon, qui était encore l’étendard des consoles de jeux avec un marché mondial dominé par Sega, Sony, et Nintendo, nombre de développeurs avaient déjà affirmé que c’était une forme d’évasion virtuelle appréciable voire nécessaire pour quitter, ne serait-ce que pour quelques minutes, la monotonie et l’oppression qu’un individu ressent quotidiennement surtout dans une mégalopole, japonaise ou non. La prolifération du succès des jeux vidéos de rôle (RPG) à la fin des années 90, caractérisés par l’évolution en compétence et en personnalité d’un ou d’une équipe de personnages virtuels dans un environnement graphique alléchant et généralement ouvert, au sens où l’on est libre de ses déplacements, principalement développés sur la Playstation, en était d’ailleurs un exemple probant.
Le joueur chinois aspirant autant à la liberté que n’importe qui, pour les gouvernants il n’était peut-être pas besoin d’aller chercher plus loin pour motiver leur décision.
Le règne des clones et des dérivés
Seulement voilà, comme généralement, toute interdiction est vouée un jour ou l’autre à transgression, et que la Chine s’était aussi contentée de l’effet d’annonce pour renforcer sa force symbolique sans se donner les moyens de contrôler plus strictement un marché sur lequel elle avait peu d’emprise, ce dernier a sans surprise considérablement explosé, avoisinant les 100 millions de dollars l’année suivant l’interdit proclamé par le ministère de la culture. On voyait alors pulluler, et ce depuis le début des années 80 que ce soit près des côtes du Fujian ou dans l’arrière pays dans la province du Sichuan, en sus de quelques rares versions officielles des consoles de jeux principalement en provenance du japon, des versions détournées communément appelées des clones en informatiques, telles que la polystation, la super Joy voyager, ou encore la Supercom Famiclone. Si l’on peut tenter de situer juridiquement le clone en droit français, il s’agit d’une copie bien évidemment non autorisée d’un software ou d’un hardware ou les deux, vraisemblablement qualifiable de contrefaçon au sens de l’article L 332-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle. Les consoles étant principalement d’origine japonaise, ces copies non autorisées connues sous le nom de Nintendo Entertainment System Hardware Clone relevaient également de contrefaçon au sens du droit des marques japonaises dont la société Nintendo a pâti, une loi qui ne diffère pas dans sa globalité du système que l’on connaît en France, le Japon s’étant rattaché à la Convention de Paris sur la protection de la propriété intellectuelle de 1883.
Toutefois, il est à noter qu’à partir de 2003, une partie des brevets déposés par Nintendo arrivait à expiration et était donc de nouveau disponible. Ainsi, les clones du support matériel de la Famicom, première console du constructeur Nintendo, ne constituaient plus une violation au sens du droit des brevet, qui au Japon ont une durée de 20 ans, durée qui n’est pas uniformisé autant que le copyright anglo-saxon, d’ailleurs de plus en plus utilisé pour protéger les logiciels car peuvent avoir une durée de protection beaucoup plus longue, jusqu’à 95 ans.
Pourtant Il existait une alternative légale que constituait par exemple la iQue Player. Basée sur le principe du Plug and Play, cette procédure consiste simplement à brancher un périphérique à un ordinateur dont le système d’exploitation reconnaît sans difficulté la compatibilité et permet alors de jouer directement, un principe également applicable sur un poste de télévision. Avec le lancement de la iQue Player, pendant chinois de la Nintendo 64 et produit de la Joint Venture iQue crée par Nintendo et le développeur chinois Wei Yen, les joueurs n’avaient alors entre les mains qu’une manette qui faisait office de console avec une carte mémoire intégrée de 64Mb pouvant stocker plusieurs jeux vidéos sortis sur la Nintendo 64. Compte tenu du faible pouvoir d’achat d’un joueur chinois moyen par rapport à celui des japonais, ce système constituait une alternative appréciable pour eux et l’iQue a ainsi pu développer des offres plus ciblées en terme de prix au fil des générations de consoles de Nintendo, seul éditeur à avoir pu intégrer le marché local.
Entre d’un côté cette offre légale qui constituait alors le seul compromis accepté par la Chine, mais dérisoire comparé à l’offre internationale, et un marché de la contrefaçon très intense, la place des consoles de jeux de Sony et Microsoft, ne s’est jamais véritablement dégagée.
Des tentatives infructueuses d’intégration par les développeurs de consoles
D’après Lisa Hanson de l’agence Niko Partners, leader spécialisé dans le conseil et la veille commerciale sur le marché des jeux vidéos, ce n’est d’ailleurs pas tant le bannissement officiel des consoles de jeux vidéos qui empêchait leurs constructeurs d’intégrer le marché Chinois, mais surtout l’importance du piratage qui y règne encore aujourd’hui. Un constat dont l’ampleur est telle « qu’aucune mesure gouvernementale ne pourrait atteindre un tel degré de frilosité » des acteurs du marché. Jusqu’à maintenant, il n’y avait que la province de Hong-Kong qui bénéficiait d’une exception où les consoles de jeux officielles étaient légalement disponibles et ce en raison du statut particulier de Région Administrative Spéciale depuis sa rétrocession à la Chine en 1997 qui lui octroie lex lata un système politique, juridique et fiscal à part, mais se caractérise surtout par une économie très tournée vers l’extérieure avec une législation beaucoup plus souple qu’en Chine continentale, traduisant sans ambiguïté la formule de Deng Xiaoping : « un pays, deux systèmes ».
Cette exception n’avait pas aidé à éviter le piratage. Il est intéressant à ce propos, d’évoquer à quel point cela a constitué un handicap lors de la sortie de la Playstation 2 en 2004 en Chine par Sony Computer Entertainment, qui a été un véritable fiasco. Suite en partie à une mauvaise stratégie de la part de Sony qui avait déjà sorti la console deux ans auparavant au Japon et aux Etat-Unis, celle-ci avait donc largement eu le temps de faire son chemin sur le marché gris chinois eu égard aux raisons susmentionnées. Kunikate Ando, alors président de Sony, pourtant fermement décidé à percer le marché de la Chine continentale, sous estimait l’importance du trafic, considérant le piratage comme étant de toute façon un des caractères déplorables mais en aucun cas un élément déterminant du marché asiatique en général, et que leur étude de marché outre la vente déjà satisfaisante de métadonnées internes en Chine tendaient à faire croire que le stock de consoles à vendre aurait bien été écoulé par la forte demande potentielle. Ce délai de deux ans s’expliquait non pas par les hésitations de Sony mais par les atermoiements du ministère de la culture chinois qui fin 2003 souhaitait toujours appliquer l’interdiction. Sony tenta tout de même habilement de jouer sur les termes pour ne pas tomber sous l’empire du décret en présentant la console comme un « système de divertissement par ordinateur. » A force de pourparlers, le lancement de la PS2 a fini par être autorisé en Chine continentale, le gouvernement exigeait cependant de soumettre les jeux à un contrôle a priori en vue de les censurer ou non, eu égard au contenu etc… La console a fini par sortir avec un maigre catalogue de dix titres en Chine continentale et environ 300 pour Hong Kong et Taïwan peu après. Bref le contexte n’était absolument plus favorable et Sony en a alors fait les frais, avec un très faible écoulement de ses stocks. Comme un homme averti en vaut deux, voire trois, Microsoft, Sony et Nintendo ont su faire preuve de plus de tempérance à l’occasion du lancement des consoles de septième génération (Xbox 360,PS3, Wii) sans dépasser les frontières de Hong Kong, mais lorgnaient avec frustration le trésor maudit du marché de l’arrière pays.
Entre un gouvernement autoritaire dont on ne saisissait plus très bien les motifs et un marché national déjà comblé par les copies illégales, dont les nouvelles générations de consoles malgré leur multifonctions et un renforcement plus stricte des mesures techniques de protection, les investisseurs ont compris que la Chine continentale est un territoire sur lequel il faut rester plus que prudent.
Un marché PC colossal stimulé par la politique intérieure
La levée de l’interdit des consoles de jeux en Chine n’est du reste pas sans lien avec le lancement récent des consoles de 8ème génération. Mais si l’on peut déceler une évolution des mentalités, ou tout du moins, une ouverture économique, Cai Wu, l’actuel ministre de la culture chinois a toutefois précisé l’annonce du gouvernement en expliquant des conditions, pas encore fixées, mais les consoles devraient apparemment être produites au sein de la nouvelle zone franche de Shanghai et celles ci, comme les différents titres, « seront surveillés de près ». L’ensemble des acteurs a donc pris le parti de l’observation, d’ici à ce que le ministère de la culture change encore d’avis, peu probable cela dit.
La Chine, généralement terre d’avenir pour qui veut investir, est en outre une cible singulière pour les constructeurs et éditeurs de jeux sur consoles car dorénavant difficile à satisfaire. A défaut d’avoir pu jouer à des consoles de jeux pendant 14 ans, les joueurs chinois se sont massivement reportés vers les jeux en ligne free-to-play sur PC estimés à eux seul à plus de 93% du marché national, ainsi que sur les tablettes et smartphones, à tel point que le marché a augmenté de 38 % lors de l’année 2012 et est devenu le troisième plus important au monde, estimé à 14 milliards de dollars selon l’agence Reuters. C’est d’ailleurs l’élément le plus frustrant, parce que cette interdiction de 2000 a très vite entériné les pratiques des joueurs dans un sens qui n’est pas aisé à modifier, Les trois géants du marché vont notamment devoir revoir leur modèle économique compte tenu du pouvoir d’achat des joueurs chinois qui est sans commune mesure avec celui des européens, japonais ou américains. Il serait en effet impensable pour le joueur chinois moyen de dépenser 500 $ pour l’achat d’une console puis 70$ par jeux . Pourtant, ce ne sont pas les jeux en provenance d’Europe ou d’Amérique du Nord mais bien des titres développés par des sociétés locales qui couvre 60 % de l’offre, le gouvernement avait lui même investi 1,8 milliard d’euros en 2005 dans le développement des jeux de rôle en ligne massivement multijoueur (MMORPG) qui retracent pour la plupart des traits de l’Histoire de la Chine et ses mythes. C’est un marché très lucratif en ce sens que ces jeux se présentent comme gratuit de prime abord puis des millions de joueurs vont devoir recourir au contenu payant, d’un faible montant à l’unité, au moment où l’on désire par exemple accéder au niveau supérieur, acheter des équipements ou des items virtuels…
A cela, il faut rappeler que la levée de l’interdit ne veut pas dire que les gouvernants sont moins regardant s’agissant du contenu des jeux sur PC. Ainsi plusieurs titres ont été censurés notamment le très populaire World of Warcraft où il était exigé de la part du développeur Blizzard de retirer certains éléments graphiques susceptibles de heurter la sensibilité du public, voire du parti, que sont les traces de sang, la chair à vif ou les têtes coupées, exigences auxquelles le studio s’est conformé là encore en raison du marché potentiel. D’autres ont carrément été bannis du territoire comme le récent Battlefield 4 dont l’un des contenus téléchargeables baptisé « China Rising » qui présente un scénario de renversement du pouvoir chinois actuel par une armée rebelle constitue une « invasion culturelle » intolérable pour les têtes dirigeantes. A ce propos, précisons que le gouvernement chinois avait eu en 2011 la facétie de lancer un jeu en ligne dénommé Glorious Mission Online développé de concert avec l’armée chinoise, un jeu de tir à la première personne (FPS :First-person shooter) où l’on incarne un combattant qui a pour mission de défendre les îles Diaoyutai des japonais, annexées puis rebaptisée Senkoku par le Japon en 1895, et dont la Chine revendique la possession depuis 1971, un outil qui sert à la fois habilement de propagande en vantant les vertus du patriotisme et de moyen d’intimidation face au Japon.
Bien que la Chine n’est pas le seul pays interdisant la commercialisation voire la possession de certains jeux vidéos, il n’en reste pas moins que la spécificité de son marché en fait un des plus difficile à intégrer. Au travers d’une censure légèrement hypocrite corroborée par la contrefaçon omniprésente, on peut en arriver à un paradoxe assez unique qui veut que souvent, quand un jeune joueur entend vaguement : « Éteins ta console, c’est l’heure de manger » en Chine il comprend déjà plus: Allume ton PC, c’est le parti qui te l’a demandé ! »
SOURCES :
ASHCRAFT B., « Why ares consoles banned in China ? », kotaku.com, mis en ligne le 15 juillet 2010, consulté le 20 janvier 2014, disponible sur : <http://kotaku.com/5587577/why-are-consoles-banned-in-china>
APPERLEY Th., « China lifts console ban…», theconversation.com, mis en ligne le 20 janvier 2014, consulté le 23 janvier 2014, disponible sur : <http://theconversation.com/china-lifts-console-ban-but-protected-gamers-hard-to-woo-21889>
HOTTOT K., « Les consoles de jeux ont enfin droit de citer en Chine », pcinpact.com, mis en ligne le 07 janvier 2014, consulté le 10 janvier 2014, disponible sur : <http://www.pcinpact.com/news/85255-les-consoles-jeux-ont-enfin-droit-cite-en-chine.htm>
SARRAZIN V., « La Chine, marché à part du jeux vidéo » inaglobal.fr, mis en ligne le 16 janvier 2013, mis à jour le 14 février 2013 et consulté le 11 janvier 2014, disponible sur : <http://www.inaglobal.fr/jeu-video/article/la-chine-marche-part-du-jeu-video>