Mein Kampf, le pamphlet antisémite d’Adolf Hitler, rédigé entre 1924 et 1925 pendant sa détention à la prison de Landsberg, consécutive à son putsch manqué de la Brasserie, figure près de 89 ans plus tard parmi les meilleurs ventes de livres sur internet. En janvier 2013, la version électronique du livre a été mise en vente à moins d’un euros sur le site d’Amazon aux Etats-Unis et en Angleterre. Un an plus tard, il fait partie des 20 livres les plus vendus de la section Politique et Philosophie d’Amazon. Sur Itunes, le site d’investigation spécialisé dans les recherches sur le Net, Vocativ nous révèle que la situation est la même.
Pourquoi ce livre a-t-il aujourd’hui un tel succès ? Peut-on parler de banalisation de l’horreur ou est-ce juste une curiosité ?
Toutes ces questions mérite d’être posées, à l’aube de l’entrée du manifeste nazi dans le domaine public.
Succès d’un livre pas comme les autres
Les versions classiques, imprimées de Mein Kampf, sont soumises en France à une législation relativement contraignante. Les lois sur la propriété littéraire et artistique protégeant Mein Kampf sont venues limiter la diffusion et la propagation de ce livre. Bien que cela puisse être moralement contestable, cet ouvrage n’en reste pas moins une oeuvre de l’esprit donnant naturellement prise au droit d’auteur. La première chambre du tribunal de commerce de la Seine l’a, en effet, reconnu le 18 juin 1934, à l’occasion d’une action en contrefaçon engagée par l’éditeur munichois à l’encontre de l’éditeur français qui avait publié en France et en français le dudit livre, sans autorisation. Les juges français ont estimé que «cette oeuvre représentait un effort de création» donnant ainsi raison à l’éditeur d’Hitler.
Après la chute du IIIème Reich, les droits d’auteur ont été dévolus au Land de Bavière qui s’oppose, aujourd’hui, à sa réédition. A l’inverse, aux Etats-Unis, le 1er amendement de la Constitution protège une totale liberté d’expression. Mein Kampf est ainsi publié par l’éditeur Houghton-Mifflin. Pour ce qui est de l’Iran, la Turquie, l’Inde, l’Indonésie et la Russie, Mein Kampf n’est pas interdit. Depuis le 11 septembre 2001, tout comme le protocole des sages de Sion (faux fabriqué par la police tsariste au début du XXème siècle, outil de propagande antisémite. La Charte du Hamas y fait par exemple référence dans son article 32 : «Quand ils auront digéré la région conquise, ils aspireront à d’autres conquêtes. leur plan est contenu dans le Protocole des Sages de Sion»), le livre fondateur du régime nazi est devenu un best-seller dans ces pays, pour ne citer qu’eux. On observe, en effet, une mouvance de la théorie du complot sioniste selon laquelle Israël et plus généralement le peuple Juifs est à l’origine de tout les malheurs du monde… En Turquie, Mein Kampf s’est vendu lors de sa sortie à 80 000 exemplaires. Les ventes ont également connu une très forte augmentation après la deuxième Intifada en Israël (le livre y est accessible et traduit en hébreu depuis 1995), en Egypte, au Liban, dans les territoires palestiniens, en Inde et en Indonésie notamment.
En ce qui concerne la France, la société Nouvelles Editions Latines dispose des droits de traduction et de publication de l’ouvrage. En 1979, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) avait intenté une action en justice contre l’éditeur français, afin de déterminer le statut du texte fondateur de l’idéologie nazie et d’en interdire la vente. Or, par un arrêt du 11 juillet 1979, la Cour d’appel de Paris a décidé d’autoriser la vente du livre, compte-tenu de son intérêt historique et documentaire. Elle a cependant assorti cette autorisation de l’insertion en tête d’ouvrage, d’un texte de huit pages mettent en garde le lecteur, rappelant par quels aspects le manifeste tombe sous le coup de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 3 juillet 1972 suivit des méfaits du régime nazi. Pour ce qui est de la vente en librairie, celle-ci aussi est encadrée. Le livre ne doit pas se trouver en vitrine et ne peut être rangé qu’au sein du rayon «Histoire». Il n’est pas évident pour une librairie de vendre Mein Kampf. En juin dernier, un libraire de Berck-sur-Mer a d’ailleurs du le retirer de ses rayons après de vives critiques.
Malgré cette régulation contraignante, il n’est, de nos jour, pas difficile de se procurer l’ ouvrage politique d’Adolf Hitler. Disponible sur Amazon et Itunes pour une somme dérisoire, on le trouve également gratuitement à télécharger en format PDF. Le site américain Vocativ dans un article sur la résurgence du manifeste national-socialiste, révèle que celui-ci serait en tête des ventes sur la librairie en ligne d’Amazon mais aussi sur Itunes, la plus importante plateforme de téléchargement.
Le site Vocativ fait le rapprochement de ce succès numérique avec celui du livre érotique Fifty Shades of Grey. N’assumant pas de lire en public un livre érotique, les lecteurs s’étaient massivement tournés vers l’édition numérique. Il en serait de même pour Mein Kampf. Cette analyse est certainement vrai, mais elle reste cependant un peu simpliste.
La France doit-elle avoir peur de ce succès ? En effet, le climat sur la question de l’antisémitisme est actuellement très sensible. Depuis la fin du mois de décembre, un vif débat s’est installé après les attaques proférées contre Patrick Cohen par Dieudonné, ainsi que sur le phénomène de la «quenelle». La maison d’édition, Les Nouvelles Editions Latines, affirme que les ventes en France de Mein Kampf n’ont pas augmenté. Bien que les chiffres restent confidentielles, on estime qu’il s’écoule entre 200 et 500 exemplaires chaque année, 2013 n’ayant pas fait exception à la règle. Reste à savoir si l’affaire Dieudonné va faire grimper les ventes…
S’agissant de la vente de l’ebook sur internet, il est, en France, impossible de trouver une traduction du texte intégral en français, que ce soit sur Amazon ou sur Itunes. Il est cependant très simple de le trouver gratuitement sur le net.
L’enjeu pour l’avenir serait de pouvoir sensibiliser la société sur un sujet que le droit n’appréhende pas, c’est-à-dire face à la diffusion de texte proférant la haine sur Internet, sans aucune restriction.
Bientôt dans le domaine public : l’appréhension de la diffusion de la haine
Le texte de Mein Kampf fut l’outil central de la propagande nazie, publié à 14 millions d’exemplaires jusqu’en 1945. Le manifeste n’a pas cessé, ensuite, d’être diffusé et les quelques interdictions dont il a fait l’objet n’ont fait que renforcer l’envie de transgression et la publication d’éditions pirates.
Le 1er janvier 2016, le texte fondateur du projet d’Hitler tombera dans le domaine public. En effet, les droits d’auteur d’oeuvres littéraires sont limités à 70 ans après la mort de leur auteur. Passée cette période, les oeuvres tombent dans le domaine public seulement pour ce qui est des droits patrimoniaux, les droits moraux étant, rappelons-le, imprescriptible. Après une longue durée et après le décès de leur auteur, les oeuvres sont considérées comme «fluides». Elles peuvent circuler plus librement pour permettre un meilleur accès à la connaissance ainsi qu’au partage des idées. Seulement, il est difficile de transposer ce principe à un texte qui fut un outil de destruction.
A la sortie de la guerre, les Alliés ont confié en 1946 les biens personnels d’Hitler, dont les droits d’auteur de Mein Kampf, à l’Etat de Bavière où le livre a été écrit, Munich ayant aussi été le dernier domicile officiel de l’auteur. En 2016, le droit de la propriété intellectuelle ne permettra plus au Land de Bavière de contrôler la publication sous l’angle du droit d’auteur.
Il existe de réels risques de banalisation de la haine. Cependant, faire interdire la publication de Mein Kampf ne ferait que sacraliser ce livre qui est, de plus, facile de se procurer par des voies détournées. Comme le propose le Conseil central des juifs d’Allemagne, la solution serait certainement d’anticiper la libre publication du livre en renforçant les mise en garde dans un but pédagogique voire même d’annoter l’ouvrage afin de montrer le danger et les conséquences tragiques de ce livre. C’est ainsi ce qu’a prévu le Land de Bavière en confiant cette tâche à l’Institut d’histoire contemporaine de Munich : «Notre but est d’accompagner chacune des 800 pages originelles de commentaires et d’explications permettant au lecteur de comprendre dans quel contexte ce livre a été écrit. Ce texte, délirant et abscons, ne doit plus être perçu comme un tabou, mais comme un objet historique. En le rendant public, sa légende noire va s’effondrer» affirme Magnus Brechtken, directeur adjoint de l’institut.
SOURCES :
CHRISTLAEN (S.), «Mein Kampf dans le domaine public : assisterons-nous à une banalisation de l’horreur ?», Les Echos, mis en ligne le 8 janvier 2014, consulté le 20 janvier 2014, http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/societe/droit/221188174/mein-kampf-domaine-public-assisterons-a-banalisation-horreu
THIOLAY (B.), «Quand Mein Kampf tombera dans le domaine public», L’Express, mis en ligne le 8 janvier 2013, consulté le 22 janvier 2014, http://www.lexpress.fr/actualite/societe/quand-mein-kampf-tombera-dans-le-domaine-public_1206701.html
GUYARD (B.), «Mein Kampf, le livre d’Hitler, bat des records sur le net», Le Figaro, mis en ligne le 10 janvier 2014, consulté le 20 janvier 2014, http://www.lefigaro.fr/livres/2014/01/10/03005-20140110ARTFIG00449–mein-kampf-le-livre-d-hitler-bat-des-records-sur-le-net.php
LORENZO (S.), «Le climat social a-t-il des effets sur les ventes de Mein Kampf en France ? Aux Etats-Unis, il devient un best-seller», Le Huffington Post, mis en ligne le 10 janvier 2014, consulté le 20 janvier 2014, http://www.huffingtonpost.fr/2014/01/09/ebook-mein-kampf-best-seller-etats-unis_n_4568294.html?utm_hp_ref=france
COEN (P.), «Domaine public du droit d’auteur – Le cas Mein Kampf en question», Gazette du Palais, publié le 10 décembre 2011, n°344, p.9, consulté le 22 janvier 2014
COEN (P.), «Le droit d’auteur face à a mémoire – Mein Kampf dans le domaine public dès 2016», Gazette du Palais, publié le 12 décembre 2009, n°346, p.10, consulté le 22 janvier 2014