Une évolution dans le secteur audiovisuel,
Depuis 2008, le grand groupe de presse argentin « Clarín » est impliqué dans un combat juridique avec le gouvernement. Un projet de loi anti concentration lancé en mars 2009, appuyée par la Présidente de la République Cristina Fernández de Kirchner, ampute les services audiovisuels du plus grand groupe de presse Argentin. Ce projet s’appuyait sur la déclaration de la coalition pour une radiodiffusion démocratique et a été présenté en août 2009. Promulguée le 10 octobre 2009, la loi n°26-522 Services de communication audiovisuelle (SCA) abroge et remplace la loi de radiodiffusion promulguée en 1980 par le général Videla, chef de la junte militaire au pouvoir durant la dictature.
Dans cette loi, l’audiovisuel est qualifié d’intérêt public et non de service public. En effet, les concessions aux entreprises privées sont librement accordées et non louées ou vendues. C’est à dire que la loi reconnaît que les radiofréquences sont des biens publics pouvant être accordés pour des concessions de dix ans renouvelables suite à des appels d’offres. Tout comme en France, l’utilisation des fréquences radioélectriques constitue un mode d’occupation privatif du domaine public et celle ci est gratuite dès lors qu’elle constitue un intérêt public.
Ensuite, la loi distingue entre médias associatifs, auxquels un tiers de l’espace audiovisuel est réservé, médias à but lucratif et médias du service public. Cette tri-distinction limite la constitution d’oligopoles et l’article 161 permet le démantèlement quasi-monopolistique que détient Clarin à l’heure actuelle. Comme en France, l’Argentine se dote d’un pluralisme externe pour éviter une concentration de l’audiovisuel.
Par ailleurs, elle impose des seuils de diffusion minimaux de 70 % de production nationale, 30 % de musique nationale et 50 % de musique produite par des indépendants. Et la publicité est également régulée. Le texte affiche aussi une volonté d’universalisation de l’accès aux services de communication audiovisuelle (chapitre VII et surtout l’article 77), permise par la diminution du coût de celui-ci et l’obligation pour « les prestataires de services de radiodiffusion » de disposer d’un « abonnement social ». C’est à dire que leurs fournisseurs d’accès doivent proposer un service d’abonnement abordable.
Enfin, la loi créée une Autorité fédérale des services de communication audiovisuelle chargée de l’application de la loi, remplaçant le Comité fédéral antérieur dans lequel l’armée avait une influence importante. Cette nouvelle autorité administrative, au même titre que l’ARCEP en France, est chargée d’attribuer les fréquences. De plus elle a pour mission l’arrêt de la télévision analogique. Cette autorité homologue à la nôtre est chargée d’attribuer les fréquences, veiller à une bonne concurrence et mettre en place pluralisme externe au sein du territoire.
Clarín dans le colimateur du gouvernement : un combat titanesque
Clarín a été fondé en 1945 et possède aujourd’hui une dizaine de stations radio, 4 chaînes de télévision hertziennes, 240 chaînes de TV par câble et plusieurs fournisseurs d’accès internet. C’est également un quotidien édité à 400 000 exemplaires. La nouvelle loi interdit d’avoir plus de 35% des parts d’audiences du marché et il est interdit de disposer de plus de 24 licences de diffusion. Cette loi anti-concentration a donc pour ligne de mire le plus grand groupe médias indépendant.
Depuis 5 ans, le combat judiciaire de Clarín n’a pas cessé. Tout d’abord le groupe a obtenu une mesure provisoire (medida cautelar) en 2009, entrainant la suspension des articles les plus fondamentaux ; notamment les transferts de licences et la concentration audiovisuelle. Puis en décembre 2012, le juge de première instance a avalisé la constitutionnalité des articles contestés.
En avril 2013, dans une nouvelle décision, la Cour d’appel en matière civile et commerciale a donné droit à Clarín en faisant valoir que la loi était constitutionnelle en ce qui concernait les limites fixées à la concentration de licences mais inconstitutionnelle en ce qui concerne le câble. Cette décision penchait alors dans le sens de la concentration comme condition nécessaire à favoriser l’indépendance des entreprises de presse à l’égard du gouvernement.
Une validation suprême
Dans un arrêt du 29 octobre 2013, la Cour suprême argentine, a estimé à une majorité de 6/7 que la loi était constitutionnelle. En effet, les juges ont estimé qu’« une loi qui fixe des limites générales a priori est légitime, car elle favorise la liberté d’expression en empêchant la concentration du marché ».
Un premier bilan des effets de la loi réalisé par une source proche du gouvernement démontre son efficacité : « 210 radios communautaires se sont créées et voient leur fonctionnement autorisé ; 167 radios ont été lancées dans les écoles primaires et secondaires, 36 licences de télévision ont été concédées aux états provinciaux, 34 radios et une chaine de télévision des peuples autochtones ont été ouvertes, et 53 radios FM ont été attribuées à des universités. »
Par ailleurs, l’autorité fédérale créée par la loi a rétorqué à travers son dirigeant Martin Sabbatella qu’il était important d’aller « vers un paysage audiovisuel bien plus pluraliste, démocratique et libre, dans lequel aucun propriétaire n’imposera des conditions et des thèmes au reste des médias ». Ainsi, lundi 17 février 2014, M. Sabbatella, par ailleurs allié politique de la présidente Cristina Fernandez, a approuvé un plan de restructuration proposé par Clarín. Selon le magazine Challenges, Clarin conservera « les joyaux du groupe ». En effet, ce qu’ils ont proposé vise à diviser le groupe en six parties indépendantes, c’est à dire à scinder ses activités entre diverses sociétés afin de ne pas subir un démantèlement forcé. La compagnie devra trouver des acheteurs potentiels et les soumettre sous 180 jours à l’approbation du gouvernement.
L’ambition de démocratiser l’espace audiovisuel argentin est soutenue par une grande majorité. Tant par les syndicats de travailleurs, qu’au niveau international. En effet, Reporters Sans Frontières déclare que « cette loi était nécessaire et courageuse compte tenu des moyens de pression de groupes de presse peu partageurs ».
Une grande avancée pour un des plus grands pays d’Amérique latine.
- ANONYME, « Corte Suprema declara constitucional Ley de Medios en Argentina », publié le 29 octobre 2013 sur Telesurtv, consulté le 24 février 2014
Consultable sur à http://www.telesurtv.net/articulos/2013/10/29/argentina-declara-constitucional-ley-de-medios-531.html
- SOLARI (N.), « Argentine : une loi exemplaire sur l’audiovisuel », publié le 19 novembre 2013, consulté le 24 février 2014,
Consultable sur http://www.acrimed.org/article4198.html
- ANONYME, « L’Argentine laisse le groupe Clarin se réorganiser » Publié le 17 février 2014 sur Reuters, consulté le 23 février 2014
Consultable sur àhttp://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL6N0LM3IT20140217
- ANONYME, « Clarin break-up plan passed under Argentine media law », Publié le 18 février 2014 sur BBC, consulté le 23 février 2014,
Consultable sur à http://www.bbc.co.uk/news/world-latin-america-26235794