Alors que le débat sur l’établissement d’un droit à l’oubli numérique fait rage depuis un certain temps, le 11 février dernier s’est déroulé le « Safe Internet Day » (journée mondiale pour un internet plus sûr). Deux députés de la majorité, Richard Ferrand et Gwenegan Bui, en ont profité pour poser une question écrite, publiée au journal officiel à cette date, à la ministre de l’économie numérique Fleur Pellerin. Une question sur l’éventuelle mise en œuvre d’un droit à l’effacement des empreintes numériques personnelles sur internet pour les mineurs.
La volonté d’instaurer une « loi gomme » à l’américaine
Par cette question écrite, les parlementaires veulent attirer l’attention de la ministre de l’économie numérique sur le texte de loi adopté par l’Etat de Californie en matière de droit à l’oubli pour les mineurs. En effet, il s’agirait pour eux d’avoir la possibilité d’effacer les erreurs de jeunesse sur Internet, des erreurs pouvant nuire aux personnes concernées, notamment en matière professionnelle.
Le 24 septembre 2013 a été promulguée par le gouverneur californien Jerry Brown la « loi gomme » (« erase law ») qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015. Elle permettra aux mineurs, et uniquement à eux, de demander à n’importe quel site de supprimer ses données personnelles, données qui devront être bien sûr personnelles mais surtout identifiables. C’est sur ce terme que cette loi peut être vue comme imparfaite : des messages postés anonymement ne pourront être effacés ; de même que des contenus postés par des tiers.
Cette loi américaine qui, de manière objective, peut être considérée comme une avancée vers l’instauration d’un véritable droit à l’oubli numérique, ne répondra pas, selon nous, aux attentes de ceux désirant un droit à l’effacement.
La pratique d’un droit à l’oubli que l’on pourrait qualifier de personnel existe déjà sur des sites comme Youtube. En effet, la possibilité est donnée à l’utilisateur de supprimer des contenus qu’il aurait posté quelques années plus tôt, ce qui revient donc à supprimer le contenu de son compte. Le véritable problème est celui des contenus postés par les tiers. Dans ce cas là, nous ne somme plus dans le champ d’un droit à l’oubli numérique mais plus dans celui du droit à l’image.
Le droit à l’oubli numérique : un sujet récurrent
A la vue de cette question posée par ces députés, nous avons du mal à comprendre l’intérêt de prendre pour exemple une loi américaine ; l’emploi du terme « américaine » est d’ailleurs inexact puisque ce texte relève uniquement de l’Etat de Californie. N’aurait il pas fallu regarder juste le bout de son nez et s’apercevoir qu’il existait une loi appelée « loi informatique et libertés » du 6 janvier 1978 ? Une loi établissant dans son article 38 la possibilité pour toute personne physique de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données la concernant fassent l’objet d’un traitement ».
La question écrite des parlementaires Ferrand et Bui n’est pas la première relative au droit à l’oubli des mineurs puisqu’elle fait suite à celle du député Baert, question adressée à la garde des sceaux le 27 novembre 2012.
Dans sa réponse, Christine Taubira affirmait que « la France participe activement aux discussions relatives au projet de règlement général sur la protection des données présenté par la Commission européenne le 25 janvier 2012 ».
Il est en effet précisé dans ce texte, en son article 17 intitulé « Droit à l’oubli numérique et à l’effacement » que la personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’effacement de données, en particulier en ce qui concerne des données à caractère personnel que la personne concernée « avaient rendues disponibles lorsqu’elle était enfant ».
Il faudra cependant patienter pour que ce texte voit le jour ; repoussé sans cesse, il sera normalement approuvé en 2015 par la Commission. Élections européennes obligent …
Le droit à l’oubli numérique concernant les mineurs est un sujet qui intéresse puisque déjà en 2012, le défenseur des droits Dominique Baudis avait voulu sensibiliser les autorités à ce sujet. Il avait rendu un rapport au président de la République intitulé « Enfants et écrans : grandir dans le monde numérique » et s’inquiétait déjà de ces problématiques relatives aux données personnelles. Ce rapport recommandait d’intégrer le droit au déréférencement au règlement européen. Un droit faisant l’objet d’un travail approfondi par la CNIL.
Face à cela, une question peut se poser : Le sujet n’est il pas pris à l’envers ? Depuis quelques mois s’est déclenchée une politique de l’information sur les problématiques du Big Data et des données personnelles sur Internet. Nous pouvons sans risque dire que, dorénavant, la majorité des internautes sont avertis sur ces questions. Mais encore une fois, nous somme face à un problème de majorité. Les adolescents usant à tout va des réseaux sociaux ne se posent pas la question de savoir quel impact aura une photo postée par leurs soins quelques années plus tard.
Ne serait il pas intéressant de mettre en place des campagnes de sensibilisation ? Au lieu d’amorcer directement la machine judiciaire tant qu’ils sont encore mineurs (loi gomme de l’État de Californie). Nous en avons eu l’exemple avec le « Do not track me » de Mozilla (« ne me piste pas »). Cette application permet de notifier aux sites web que l’on ne souhaite pas que notre navigation soit pistée.
Avant l’action, il y a l’information. Et c’est, selon nous, le rôle de différentes institutions, qu’elles soient familiales ou étatiques, d’éduquer les plus jeunes aux multiples risques d’Internet.
SOURCES
BERNE (X), « Des députés intéressés par un “droit à l’oubli“ pour les mineurs », pcinpact.com, publié le 11.02.2014, consulté le 11.02.2014.
Disponible sur : http://www.pcinpact.com/news/85848-des-deputes-interesses-par-droit-a-l-oubli-pour-mineurs.htm
LETTERON (R), « L’oubli des erreurs de jeunesse sur Internet : vers “une loi gomme” ? », jolpress.com, publié le 13.02.2014, consulté le 15.02.2014
Disponible sur : http://www.jolpress.com/empreinte-numerique-internet-mineurs-droit-oubli-824430.html
BERNE (X), « Le Défenseur des droits milite pour “un internet plus sûr pour les enfants” », pcinpact.com, posté le 20.11.2012, consulté le 11.02.2014
Disponible sur :http://www.pcinpact.com/news/75426-le-defenseur-droits-milite-pour-internet-plus-sur-pour-enfants.htm
NOISETTE (T), « “Loi gomme” : un droit au regret numérique pour les adolescents californiens », zdnet.fr, publié le 25.09.2013, consulté le 11.02.2014.
Disponible sur : http://www.zdnet.fr/actualites/loi-gomme-un-droit-au-regret-numerique-pour-les-adolescents-californiens-39794316.htm
ANONYME, « Question écrite n°49646 de M. Gwenegan Bui », questions.assemblee-nationale.fr, publié le 11.02.2014, consulté le 11.02.2014
Disponible sur : http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-49646QE.htm