Si vous souhaitez découvrir les bonnes adresses ainsi que les événements incontournables de la capitale française, le blog de « The Parisienne » est pour vous. Mais cela risque de ne pas durer. En effet, la blogueuse, connue sous ce pseudo depuis près de cinq ans, a été assignée en contrefaçon par la société éditrice du quotidien de presse nationale « Le Parisien ». Il lui est reproché l’utilisation du signe « The Parisienne » en tant que nom de blog et nom de domaine ; et ce, en opposition avec la marque « La Parisienne » déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en 2003, en tant que déclinaison féminin du journal.
Quelques mois auparavant et après une tentative de prise de contact infructueuse avec le journal, la blogueuse avait préféré ignorer la première mise en demeure. Mais en mai dernier, il lui a été demandé l’abandon de son URL, le transfert en pleine propriété de l’URL à la SAS Le Parisien Libéré, ainsi que 20 000 euros de dommages et intérêts.
Une affaire antérieure et similaire : la jurisprudence Figaro
Cette affaire ressemble sensiblement à une autre affaire datant de 2012 : l’affaire « Madame Figaro ». Le célèbre magazine accusait de contrefaçon une institutrice qui avait créé un blog nommé « La classe de Madame Figaro », son nom de famille, où elle postait des vidéos et des conseils éducatifs à l’intention de ses élèves. Un mail, une mise en demeure puis une assignation en contrefaçon avaient eu raison de l’institutrice, qui avait finit par renommer le nom de son blog « Les chantiers de l’apprentissage ». Mais c’était sans compter l’emballement et le soutien des internautes, qui ont poussé le journal à faire marche arrière. Par la suite, l’éditrice du journal a envoyé un mail à l’institutrice l’informant qu’elle pouvait redonner son nom à son blog.
Une assignation semblant légitime
Dans notre affaire, il apparaît tout d’abord légitime que le quotidien entreprenne une action visant à défendre ses droits et son monopole sur sa marque.
En effet, une marque est une dénomination ou un signe graphique ou sonore servant à distinguer des produits ou services de ceux d’une marque concurrente. Il est nécessaire de la protéger, pour éviter que d’autres s’octroient le bénéfice des efforts effectués pour la faire connaître. Pour ce faire, il suffit de la déposer auprès de l’INPI, ce qui engendrera un monopole d’exploitation sur le territoire français pour dix ans, renouvelable indéfiniment. Toute personne qui utiliserait ou imiterait la marque pourra donc être poursuivie en justice. C’est en l’espèce les arguments invoqués par le service juridique du journal.
L’assignation précise que « la création par Madame Nathalie Z. de « theparisienne.fr » et son usage pour notamment le titre d’une publication diffusée sur le Web, consacre la contrefaçon de la marque antérieure LA PARISIENNE ». Puis il est fait mention que « le nom de domaine THE PARISIENNE reprend tout d’abord l’élément distinctif dominant de la marque antérieure LA PARISIENNE, à savoir le terme « PARISIENNE ».
Le Parisien demande donc « de faire interdiction à Madame Z., directement ou indirectement, du signe « THE PARISIENNE », pour désigner le titre d’une publication sur tout support, seuls ou en association avec tout autre terme, signe, groupe de mots ou extension ».
Cependant, ce sont les dérives de la protection de la propriété intellectuelle qui sont sujettes à polémiques dans cette affaire. En effet, l’information, relatée dans les médias, apparaît pour certains journalistes ou blogueurs comme une tentative d’intimidation de la part d’un grand groupe de presse face à une blogueuse ayant un URL et un nom de domaine vaguement semblable. Cette similitude pourrait être contrée par le fait que le mot « parisienne » est un terme courant dans le langage français mais il est admis qu’un terme courant puisse être protégé par la propriété intellectuelle.
Néanmoins, les réactions sur Internet sont extrêmement vives ; certains spécialistes en droit des médias n’hésitant pas à démontrer qu’en cas de procès, le journal n’aurait aucune chance de l’emporter. De même, les internautes ont choisi le camp de l’auteure du blog.
Une mobilisation des internautes entraînant un « bad buzz »
En effet, suite à la réception de son assignation, la blogueuse a appelé à la mobilisation de ses lecteurs en expliquant la situation sur son blog. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Et c’est ici que l’on constate l’influence de la communauté Internet, et d’un effet pervers qui peut se retourner contre l’initiateur de l’action, le « bad buzz ». C’est ce qu’on appelle aussi aujourd’hui l’effet Streisand, du nom d’une actrice et chanteuse américaine, ayant demandé le respect de sa vie privée et la suppression d’une photographie de sa maison. Relayée dans les médias, sa demande a eu l’effet inverse. Le nom de Streisand sert désormais à désigner l’effet pervers selon lequel toute tentative de censure accélère au contraire la diffusion du contenu que l’on souhaite cacher. Cela entraîne une publicité plus négative pour le censeur que s’il n’y avait pas eu de censure.
La blogueuse, en expliquant la situation sur son blog et en créant le mot-clé « jesuisparisienne » sur Twitter, a été relayée par d’autres blogueurs et de nombreux médias ; le tweet ayant été repris plus de 7000 fois en un seul jour, selon le site d’analyses Topsy. De nombreux internautes lui ont témoigné leur soutien par des commentaires, tandis que d’autres lui ont proposé une aide juridique.
Suite à l’engouement médiatique, Jean Hornain, directeur général du Parisien, a fait savoir dans un journal concurrent que « nous sommes toujours ouverts à la discussion. Nous espérons résoudre la question et éteindre la polémique. Nos conseils sont en contact actuellement ». Il est donc possible d’envisager un éventuel recul de la part du journal.
Vers une solution amiable du litige
Finalement, il semble que l’affaire soit en bonne voie pour se régler à l’amiable. En effet, la blogueuse qui tenait informés ses lecteurs via sa page Facebook, a annoncé le 17 septembre dernier qu’une rencontre avait eu lieu et qu’elle pensait être « en bon chemin ».
Ainsi, il semble qu’Internet devienne, pour certains, un tribunal populaire, moins couteux et plus efficace pour les « parties faibles ». De plus, à une certaine époque, les médias telles que la télévision, la radio et la presse, avaient le monopole sur toute l’information. Aujourd’hui, les blogueurs et les utilisateurs des réseaux sociaux peuvent diffuser des informations qui auraient pu ne pas être relayées, et ainsi générer une mobilisation souvent contre ceux qui détenaient ce monopole.
Sources :
– BERGUIG M., « La Parisienne » vs. « The Parisienne » : illustration d’un litige entre une marque et un nom de domaine », journaldunet.com, mis en ligne le 28 aout 2014, consulté le 15 octobre 2014, <http://www.journaldunet.com/ebusiness/expert/58294/la-parisienne–vs—the-parisienne—-illustration-d-un-litige-entre-une-marque-et-un-nom-de-domaine.shtml>
– PIQUARD A., « Le Parisien vs. The Parisienne : Notre démarche était amiable au départ », lemonde.fr, mis en ligne le 26 aout 2014, consulté le 13 octobre 2014, <http://medias.blog.lemonde.fr/2014/08/26/le-parisien-vs-the-parisienne-notre-demarche-etait-amiable-au-depart>
– POMA P., « The Parisienne vs Le Parisien et autres histoires de ” harcèlement de marque ” », rue89.nouvelobs.com, mis en ligne le 28 aout 2014, consulté le 20 octobre 2014, <http://rue89.nouvelobs.com/2014/08/28/the-parisienne-vs-parisien-autres-histoires-harcelement-marque-254415>
– The Parisienne (ZAOUATI N.), « Le Parisien assigne The Parisienne pour contrefaçon », theparisienne.fr, mis en ligne le 25 aout 2014, mis à jour le 27 aout 2014, le 7 septembre 2014 et le 17 septembre 2014, consulté le 13 octobre 2014, <http://www.theparisienne.fr/2014/08/le-parisien-attaque-the-parisienne>