Depuis le 7 octobre 2014, l’émission Alcootest est diffusée sur la chaine publique France 4 et présentée par Olivier Delacroix. Le concept de cette émission a suscité de vives réactions. Avant même sa diffusion, l’émission faisait parler d’elle et indignait. Celle-ci a pour but de démontrer les effets néfastes de l’alcool. Afin d’évaluer ces derniers, 60 jeunes de moins de 30 ans se sont portés volontaires. Chacun des participants a fait l’objet de tests médicaux dans le but de déterminer leur aptitude à participer à ce programme. Des jeunes sont exhibés en train de s’enivrer lors de soirées ou de tests organisés par la chaine. L’émission est réalisée sous le contrôle d’un psychiatre et alcoologue Philippe Batel avançant l’aspect pédagogique de celle-ci. À première vue ce concept est imaginé pour apprendre et faire réagir le public sur les effets de l’alcool. Le programme comporte 5 émissions abordant à chaque fois un thème différent : l’alcool et l’agressivité, l’alcool et la créativité, l’alcool et la mémoire, les effets de l’alcool sur notre vision de la beauté…etc. Comme le dit la voix de l’émission « maintenant vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas ». Bien que le présentateur ou la voix off répète régulièrement que ces tests sont réalisés dans le cadre d’un programme télévisé et qu’il ne faut en aucun cas les reproduire chez soi, l’émission a tout de même créé la polémique et a fait réagir l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) qui a saisi le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) ainsi que France Télévisions. En Mai dernier, Jean-Marc Morandini avait été le premier a donné l’information et a réagi sur son blog à cette émission.
La saisine du CSA par l’ANPAA
L’ANPAA a saisi le CSA et France Télévisions afin d’empêcher l’enregistrement et la diffusion d’ « Alcootest ». Pour l’association, bien que France 4 avance le fait de mener des expérimentations, la chaine ne respecte pas pour autant la règlementation sur l’alcool à la télévision. Selon le directeur de l’ANPAA, Bernard Favet, les 60 volontaires “Ne sont pas des rats de laboratoire ». De manière générale, les expérimentations permettent d’avancer, de progresser. Mais est-il nécessaire de mettre en scène des jeunes alcoolisés à la télévision ? Même si la production les encadre, cet état d’alcoolisation pourrait avoir des répercussions sur leur santé.
La loi Evin spécifie que la publicité pour l’alcool est interdite par la voie de la télévision. L’émission, ne faisant pas de publicité pour l’alcool, respecterait donc cette loi.
Le 7 septembre 2014, Thomas Hugues interrogeait sur le plateau de « Médias le Magazine » le président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, Olivier SCHRAMECK. Celui-ci affirmait que « décrire un phénomène de notre société n’a rien, en soi, de répréhensible aux yeux du CSA ». Ainsi, l’émission ne ferait pas de publicité pour l’alcool mais exposerait aux yeux du public des situations de tous les jours et le confronterait à la réalité.
La polémique autour de l’émission
Il parait important de rappeler le refus qu’avait émis le CSA quant à la création d’une chaine dédiée au vin, EDONYS TV. Le CSA avait refusé que l’émission soit diffusée car elle promouvait le vin lors de dégustation notamment. Le concept de l’émission « Alcootest » serait totalement différent, celui-ci n’encouragerait pas la consommation d’alcool mais voudrait au contraire la limiter pour les jeunes.
Dans les deux cas on voit les protagonistes consommer de l’alcool, cependant les mots tests et expérimentations utilisés dans le programme « Alcootest » semblent permettre de mieux faire passer le concept auprès du CSA.
Finalement, cette émission est-elle vraiment dissuasive ? Ne produit-elle pas l’effet inverse de celui escompté ? Ne fait-elle pas rire les jeunes face à leur écran ? Cette émission ne leur rappelle-t-elle pas leurs propres soirées ? Certes il arrive que des personnes lors de soirées soient fortement alcoolisées, mais faut-il en faire un cas généralisé ? Les médias n’exposent-ils pas les cas les plus extrêmes et les plus exceptionnels comme des éléments du quotidien ?
Chez les 18-30 ans, s’alcooliser est quelque chose de d’ancrer, de pratiquement normal. L’exemple du « jeu » NEKNOMINATION appuie cet argument. Des jeunes se filment en train de s’enivrer et postent leurs vidéos sur les réseaux sociaux.
Boire de l’alcool en excès est un phénomène courant, presque banal mais cependant dangereux. Une émission comme « Alcootest » peut-elle réellement stopper ou bien même ralentir ce phénomène ? On peut aller jusqu’à se demander si cette émission nous apprend véritablement quelque chose sur les effets de l’alcool. Aujourd’hui pratiquement tout le monde est renseigné, soit par l’information, soit par expérience personnelle.
Ce phénomène est de plus en plus pris en compte. Certes la prévention est quelque chose d’important, d’indispensable, mais celle-ci ne doit-elle pas respecter des codes, un certain format, un encadrement ?
Une émission au cœur des débats au même moment que la loi santé
Alors que cette émission fait débat, la loi santé a été présentée le 15 octobre 2014. L’actuelle ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Marisole Touraine, avait le 23 septembre 2013 exposé la stratégie nationale de santé. Cette loi semble être la solution du gouvernement aux problèmes actuels de santé. Elle comporte un volet concernant l’alcool. En effet elle prévoit de sanctionner l’incitation à la consommation d’alcool de manière excessive et précise que « les sanctions prévues contre le bizutage seront étendues à l’incitation de consommer de l’alcool de manière excessive ». Elle envisage également que la vente portant sur des objets faisant publicité de l’alcool à des mineurs sera interdite. Elle prévoit également qu’une peine de 1 an de prison et 15 000 euros d’amende seront mis en place en cas d’incitation à l’enivrement extrême d’un mineur. Cette loi sera examinée au parlement en 2015.
Cette loi sera-t-elle réellement efficace ? Une peine de prison et une amende de 15 000 euros sont-elles vraiment la solution ? Il est nécessaire de combattre l’effet du « Binge drinking », mais cela doit-il se faire aux moyens d’émissions de télévision ? Cela a-t-il un véritable impact sur les jeunes ? Ce mode de prévention est-il assez crédible aux yeux des gens ?
Sources :
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DEGUEN F. ; « Daniel Bailly : “On risque l’effet contraire !” », leparisien.fr, mis en ligne le 6 septembre 2014, consulté le 20 octobre 2014, < http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/on-risque-l-effet-contraire-06-09-2014-4113359.php >
« Garantir un accès aux soins équitable – La loi de santé », gouvernement.fr, mis en ligne le 23 octobre 2014, consulté le 25 octobre 2014, < http://www.gouvernement.fr/action/la-loi-de-sante >
BRY H. ; « 60 cobayes dans “Alcootest”. », leparisien.fr, mis en ligne le 6 septembre 2014, consulté le 20 octobre 2014, < http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/60-cobayes-dans-alcootest-06-09-2014-4113345.php >
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