Le droit à l’oubli numérique est un droit complexe qui peut faire l’objet de certaines dérives c’est pourquoi, après Rome et Berlin, le comité consultatif de Google sur « le droit à l’oubli » a déposé ses bagages à Paris le 25 septembre 2014. Les discussions du comité composé notamment de Sylvie Kauffman (directrice de la rédaction du journal Le Monde), José-Luis Pintar (ancien directeur de l’agence espagnole de protection de données) et David C. Drummond (directeur des affaires juridiques de Google) ont pour objectif de trouver un équilibre entre le droit des personnes à l’oubli numérique ainsi que le droit à l’information du public et de préciser les principes directifs qui permettraient au moteur de recherche de se prononcer chaque demande de suppression.
Les réunions de ce Comité sont une conséquence directe de la décision Google Spain de la Cour de Justice Européenne rendue le 13 mai 2014 qui reconnait la possibilité pour un internaute d’obtenir la suppression des résultats de recherches qui incluent leur nom en s’adressant directement à l’exploitant. A préciser que cette suppression ne vaut que pour les moteurs de recherches européens.
Néanmoins, par soucis du respect au droit à l’information du public, la mise en œuvre de ce droit à l’oubli qu’il faut qualifier juridiquement de droit au déréférencement est soumise à certains critères.
- Des informations personnelles obsolètes, non pertinentes et inappropriées
Selon la Cour, les demandes des internautes ne peuvent concerner que des informations personnelles d’une certaine nature. Elles doivent être obsolètes, non pertinentes ou inappropriées et avoir un caractère préjudiciable pour l’internaute. Ces critères jugés trop flous par la firme américaine font actuellement l’objet de discussions par le Comité consultatif qui tente de préciser ce contenu. Néanmoins, ce qui est certain ce que les données visées pour le déréférencement sont uniquement celles qui découlent des recherches effectuées à partir du nom de l’internaute. Par conséquent les informations qui découlent d’autres critères de recherches seront exclues du bénéfice du droit à l’oubli. Cela soulève une interrogation sur l’efficacité de la mesure car il est possible que certaines personnes accèdent tout de même à l’information par d’autres biais, le thème de l’article, l’adresse IP, le numéro d’immatriculation, le numéro de téléphone.
L’internaute qui souhaite que la suppression des résultats de recherches liés à son nom doit rentrer directement en contact avec Google via un formulaire depuis le 29 mai 2014. En effet dans la lignée de la législation Européenne, Google n’a pas eu d’autres choix que de mettre à disposition des internautes un formulaire de demande de suppression de résultats de recherche. L’exploitant s’engage à supprimer les résultats de recherches qui incluent leurs noms des internautes lorsque : « le droit à la protection de la vie privée prévaut sur l’intérêt de présenter ces résultats de recherches ». La mesure rencontre un franc succès, Google revendique avoir reçu plus de 146 000 demandes en Europe dont plus de 29 000 en France soit 20 % des demandes.
En principe, suite à la demande introduite par l’internaute lorsque les formalités de bases sont accomplies (indiquer son nom, son adresse mail, sa motivation, l’adresse URL de la page que l’on souhaite déréférencer, la pièce jointe de sa carte d’identité). Google s’il estime la demande bien fondée est dans l’obligation procéder au déréférencement du lien. Dans cette hypothèse, le lien vers les pages qui mentionnent les informations personnelles de l’internaute est supprimé. Cette suppression n’en est pas réellement une, car les pages ne sont pas désindexées c’est-à-dire effectivement effacé d’internet. L’information demeure, mais elle est plus difficile d’accès car elle n’apparaît plus liée au nom de l’internaute dans la liste de résultats du moteur de recherche.
Le principe établit, il convient de s’intéresser à la pratique. Il semblerait que ce soit une toute autre histoire car la firme américaine ferait de la résistance. Selon une étude menée par l’Agence Réputation VIP, et portant sur plus de 15 000 demandes de suppression de pages dans 30 pays européens. L’exploitant refuserait la majorité des demandes de suppression au motif que les informations ne relèvent pas de la vie privée mais de la vie professionnelle de l’internaute, ou que l’internaute est à l’origine du contenu dont il demande la suppression. Ce qui nous amène à un dernier critère. La suppression du lien s’applique exclusivement à des pages web publiées par des tiers. Néanmoins, l’internaute qui souhaite contester le refus de Google de faire droit à sa demande peut adresser par courrier ou mail une plainte à la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou saisir le juge judiciaire.
- L’ exclusion des données dotées d’un intérêt public
Dans la continuité de la législation européenne. Le moteur de recherche Google rappelle à l’internaute avant que celui-ci ne remplisse son formulaire qu’il : « cherchera à déterminer si ces informations présentent un intérêt pour le public ». Dans ce cas précis il est susceptible de refuser la suppression du lien concernant l’internaute et conserver ces informations dans les résultats de recherche.
Il faut donc porter une attention particulière au droit à l’information du public. Dès lors qu’il existe des raisons particulières qui justifient un intérêt prépondérant du public à avoir accès à ces informations alors l’exploitant peut refuser de faire droit à la demande de suppression. Quel type d’information est doté d’un intérêt public ? Celles qui concernent une escroquerie financière, une condamnation pénale, une négligence financière, la conduite publique adoptée par un fonctionnaire. En somme celles qui ont intérêt pour la société. Le droit à l’oubli existe certes, mais pas en faveur de tous. Il y a une différence de traitement entre les personnes ordinaires et les personnalités publiques (politique, fonctionnaire) ou celles dont les actes nécessitent que le public en soit informé (criminel, pédophile).
Bien que la Cour ait conscience qu’en principe le droit à l’oubli numérique ne doit pas empiéter sur le droit à l’information du public. Dans la pratique, certains évènements portent à croire que cet équilibre n’est pas respecté et posent la question des dérives que peut entraîner la mise en œuvre de ce droit à l’oubli.
- Des éditeurs de presse européens démunis ?
Le 2 juillet 2014, Marc Rees le rédacteur en chef de Next Inpact, site spécialisé dans l’actualité high-tech est averti du déréférencement d’un de ses articles par une notification de Google. L’article daté 2009 concerne le licenciement économique de trois de ses employés dont les noms étaient cités. Google dans sa décision, n’indique pas le nom du plaignant ni sa motivation mais seulement que le lien a fait l’objet d’un déréférencement au nom du droit à l’oubli.
Bien que le gérant de l’entreprise ait publié la décision de se séparer de ces personnes, cette décision avait également pour but de mettre en avant leurs profils afin de leur assurer un retour dans le monde professionnel grâce à leur réseau. En somme selon le rédacteur en chef il ne s’agissait pas d’une information qui aurait pu causer préjudice à ces personnes. La possibilité pour l’internaute de s’adresser directement à l’exploitant sans avoir à prévenir le site source pose un sérieux problème. Celui de l’omnipotence de Google dans la procédure de mise en œuvre du droit à l’oubli. Le rédacteur en chef regrette que la personne souhaitant le déréférencement ne l’ai pas contacté directement afin d’expliquer ses motivations et a décidé de se tourner vers la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés pour plus d’ informations. Pour preuve que les règles applicables à ce droit sont assez flous. Le licenciement est une information lié à la vie professionnelle et non la vie privée. L’on peut donc se demander pourquoi Google a accepté de procéder au déréférencement de cet article.
En Angleterre, les éditeurs de presse en ligne tels le « Guardian », le « Daily Mail » ou encore le site de la BBC s’insurgent contre le « right to be forgotten » et dénoncent le fait qu’ils n’ont aucune possibilité de faire appel de la décision de déréférencement de leurs articles.
- Un effet pervers, l’effet Streisand
Enfin, il ne faut pas minimiser le fait que le déréférencement de lien internet a parfois un effet pervers. Celui d’attirer encore plus la curiosité, il s’agit d’un phénomène connu sous le nom de « l’effet Streisand ». En 2003, cette personne célèbre avait voulu faire disparaître une photo aérienne de sa propriété du coup des dizaines de milliers d’internautes ont voulu visionner cette image. Dans la même lignée certains éditeurs de presse dès lors qu’ils font l’objet d’un déréférencement publient un article sur l’incident. Par conséquent ils réenclenchent de l’intérêt, la suppression du lien par Google se traduit alors par l’effet inverse de celui attendu. De plus à ce jour, les informations peuvent être retrouvées sur le moteur de recherche américain.
Le droit à l’oubli est un droit délicat, il suscite également des critiques qui soulèvent des questions.
La première porte sur l’existence même du Comité consultatif du droit à l’oubli : « une société privée n’a pas vocation à édicter des recommandations sur l’application d’une décision de justice. » selon Reporters sans Frontières et la Quadrature du Net. La seconde porte sur l’omnipotence de la firme américaine quant à la mise en œuvre du droit. En retenant au titre de la directive 95/46/CE (relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données) que le moteur de recherche est responsable du traitement des données personnelles. La Cour investi l’exploitant Google du pouvoir d’apprécier la validité de chaque demande de suppression en fonction de l’équilibre entre le droit à la vie privé et du droit du public à l’information dont il est le seul juge. Laisser à un opérateur privé l’entière appréciation d’un droit qui met en cause des libertés fondamentales est-il judicieux ? N’y a-t-il pas un risque que cet opérateur se substitue aux autorités garantes de ces libertés ? Ces questions ont été posées à Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargé du Numérique qui estime qu’il s’agit d’un débat complexe qui doit faire l’objet d’une concertation numérique afin de recueillir la parole des citoyens français. Il s’agit donc d’une affaire à suivre.
Sources:
MANEVAL Th., « Quelles règles pour le droit à l’oubli », franceculture.fr mis en ligne le 26 septembre 2014, consulté le 18 octobre 2014, <http://www.franceculture.fr/2014-09-26-quelles-regles-pour-le-droit-a-l-oubli-sur-internet>
CHAVEROU Er., « La reconnaissance d’un droit à l’oubli numérique » franceculture.fr, mis en ligne le 13 mai 2014, consulté le 18 octobre 2014, <http://www.franceculture.fr/2014-05-13-la-reconnaissance-d-un-droit-a-l-oubli-numerique>
ANTHEAUME Al.,« L’interview numérique: Axelle Lemaire évoque le droit à l’oubli numérique et Netflix », lemonde.fr, mis en ligne le 26 septembre 2014, consulté le 30 octobre 2014, <http://www.lemonde.fr/actualite-medias/video/2014/09/26/l-interview-numerique-episode-1-axelle-le-maire_4495136_3236.html>