L’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 tel que modifié par la loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, permet désormais au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de donner son agrément pour une modification des modalités de financement d’une chaîne. C’est dans ce contexte que les chaînes LCI (groupe TF1), Planète+ (groupe canal+) et Paris première (groupe M6) ont saisi le CSA d’une demande de passage de la TNT payante à la TNT gratuite.
Le refus par le CSA de passage en TNT gratuite
Le CSA s’est prononcé sur cette question le 29 juillet dernier et a refusé le passage en TNT gratuite des trois chaînes qui en avait fait la demande. Il a décidé que les conditions n’étaient pas réunies pour autoriser le passage en gratuit des demandeurs mais que cependant un réexamen des trois candidatures pourrait être envisageable à l’avenir.
Une décision en accord avec les objectifs de la loi du 15 novembre 2013
Pour rendre sa décision le CSA a mené un examen approfondi de la situation. L’autorité de régulation, en plus de prendre en compte les contraintes classiques telles que l’impératif fondamental de pluralisme ou encore la promotion de la qualité et de la diversité des programmes, a du se baser sur d’autres critères issus de la loi du 15 novembre dont un des objectif est une meilleur prise en compte par le CSA des équilibres économiques de l’audiovisuel dans l’exercice de ses missions. C’est ainsi que le CSA s’est fondé sur la conjoncture du marché publicitaire, la situation financière des chaînes existantes de la TNT gratuite et sur l’offre et la demande de consommation de télévision.
Le critère économique a bien été décisif puisque c’est au nom de l’équilibre économique actuel de la TNT que le CSA a refusé cette autorisation de passage du payant au gratuit. Il invoque en effet, une baisse significative des recettes publicitaires des services de télévision, baisse qui dure depuis plusieurs années et qui n’est pas prêt de s’arrêter. Cela signifie que l’arrivée de trois nouvelles chaînes gratuites n’aurait pas pu être financée par une croissance des recettes publicitaires étant donné que l’on constate une contraction du marché publicitaire entre 3 et 5% par an. Il faut aussi comprendre derrière cela que l’arrivée de trois nouvelles chaînes sur la TNT risquait d’entraîner un déséquilibre économique des chaînes existantes en limitant leur accès aux recettes publicitaires. En effet, la publicité est la principale source de financement des chaînes privées, et plus il y a de chaînes plus la part des recettes attribuées à chaque chaîne diminue. On parle de baisse de la part du gâteau publicitaire.
Le CSA a aussi pris en compte la situation concurrentielle des 25 chaînes existant sur la TNT et a ainsi annoncé que plusieurs de ces chaînes avait un équilibre financier fragile notamment lorsqu’elles n’étaient pas adossées à un grand groupe. Il a par exemple justifié le refus du passage en gratuit de planète + par le fait qu’il existe déjà une chaîne documentaire sur la TNT qui ne diffuse que depuis 2012. Le CSA a donc préféré laisser l’occasion aux chaînes déjà existante de devenir réellement viables.
Une décision contestable au regard de l’exigence de pluralisme
Cependant dans sa décision le CSA ne fait que très peu référence aux exigences de pluralisme censées pourtant être au cœur des réflexions en matière de télévision en France. L’autorité a estimé que le paysage audiovisuel français était assez riche et diversifié. Ce qui peut être contesté étant donné qu’il n’y a qu’une seule chaîne documentaire et que l’entrée de Planète+ aurait pu permettre une meilleure diversité d’offre. De plus I télé et BFM TV sont les seules chaînes d’information en continu et en accès gratuit, l’apparition d’une troisième chaîne du type aurait pu permettre de nuancer les points de vue et opinions exprimés sur les deux autres. D’autant plus que LCI créée il y a 20 ans a été la pionnière du genre et que les téléspectateurs qui souhaitent simplement être informés des dernières nouvelles préfèreront se diriger vers les chaînes gratuites. En ce qui concerne Paris première, son président a annoncé que contrairement à ce que disait le CSA il ne voyait aucune analogie entre les programmes de la chaînes NRJ 12 et ceux proposés par Paris Première. L’opportunité de diversifier l’offre a donc été sacrifiée par le CSA ce qui est tout de même compréhensible au regard des enjeux économiques précités. Cette décision du CSA montre encore une fois l’indépendance de l’autorité de régulation nationale et met en lumière le pouvoir dont elle dispose.
Un pouvoir supplémentaire accordé au CSA
En effet, c’est un véritable pouvoir que confère la loi du 15 novembre au CSA en lui permettant de décider du passage du payant au gratuit. Désormais, l’autorité peut ainsi en quelque sorte décider de la survie ou non d’un chaîne de télévision. Les chaînes demandent en général de passer au gratuit lorsqu’elles ont du mal à survivre en raison de la concurrence des chaînes gratuites. C’est le cas notamment pour LCI qui face à deux chaînes d’information en continu a du mal à continuer à exister. En refusant le passage au gratuit de cette chaîne le CSA peut contribuer à la précipitation de l’arrêt de la chaîne. « L’arrêt de LCI après décembre 2014 est probable » a d’ailleurs annoncé le président de LCI suite à la décision du Conseil. En décidant de pérenniser I télé et BFM TV le CSA choisit de sacrifier LCI. La volonté du Conseil d’étendre ses pouvoirs étant connue, certains le voient déjà comme faisant plus de règlementation que de régulation. Ce pouvoir supplémentaire vient confirmer ce sentiment puisqu’il pourra permettre à l’autorité de choisir les chaînes qu’elle souhaite voir composer le paysage audiovisuel français. De plus c’est le pouvoir de régulation économique qui est renforcé par la loi de 2013 car auparavant le CSA étant dans l’obligation d’attribuer les fréquences lorsqu’elles étaient disponibles sans pouvoir tenir compte des circonstances économiques et concurrentielles. Désormais il a le choix et doit apprécier ces critères, il a donc avec cette décision usé de son nouveau pouvoir de dire non.
Une décision lourde de conséquence
Et c’est une décision lourde de conséquence surtout pour la chaîne LCI pionnière du genre qui avait annoncé en septembre la suppression de 148 postes. C’est d’ailleurs pour cela que le groupe TF1 a saisi le Conseil d’Etat d’une demande de suspension de la décision par laquelle le CSA a refusé d’accorder à LCI l’agrément lui permettant de passer d’une diffusion payante à une diffusion gratuite. En outre, le groupe demandait au juge d’ordonner à l’autorité de lui délivrer un agrément provisoire. Par une décision du 24 octobre 2014 le juge des référés n’a pas donné suite à cette demande au motif que la chaîne n’était pas dans une situation d’urgence qui justifierait la suspension de la décision du CSA, et que les difficultés financières de la chaînes étaient anciennes et n’empêchaient pas celle-ci d’attendre la décision définitive du Conseil d’Etat. Car en effet, parallèlement à la demande de suspension c’est une demande d’annulation de la décision du CSA qui a été faite au Conseil d’Etat, et sur laquelle le Conseil d’Etat se prononcera dans les premiers mois de l’année 2015. C’est donc au début de l’année prochaine que les juges se pencheront sur la légalité de l’acte sachant que le refus de suspension ne préjuge absolument pas de l’appréciation que portera le Conseil sur cette légalité. Suite à cette décision et à la pression exercée par les syndicats et les personnels, TF1 a décidé d’attendre cette décision avant de sur prononcer sur le sort de la chaîne. LCI ne cessera donc pas d’émettre après le 31 décembre 2014, date à laquelle les contrats de distribution en cours prennent fin, comme cela avait été annoncé par la direction de TF1. Par conséquent, reste à savoir avec quelles ressources la chaîne va continuer d’exister entre le 1er Janvier 2015 et la décision du Conseil d’Etat. Le groupe en profitera peut-être pour étudier les offres de rachat ou de rapprochement qui lui ont été proposés notamment par les actionnaires du monde. Quoi qu’il en soit la décision de TF1 de suspendre son plan de licenciement est un « ouf » de soulagement pour les employés qui accueillent volontiers ce sursis de six mois.
Des réactions mitigées dans le milieu
Le refus du CSA du passage en TNT gratuite des trois chaînes a entrainé des réactions mitigées dans le milieu. Le président de Canal+, pourtant concerné par ce refus, s’est dit en accord avec la décision du CSA. Il a annoncé que la demande faite pour Planète+ était plus une réponse faites aux demandes effectués par TF1 et M6 qu’une réelle envie de passage du payant au gratuit. Selon lui la multiplication de l’offre sur la TNT gratuite affecte les chaînes payantes qui risqueraient d’avoir de moins en moins de téléspectateurs, ceux-ci ayant déjà un large choix en gratuit. Il est vrai que par sa décision le CSA a tout de même évité le cercle vicieux selon lequel la baisse d’audience et des redevances poussent les chaînes payantes a passer au gratuit. Trop d’offres en gratuit aggraverait ce cercle. D’autre part, l’association des chaînes indépendantes (ACI) regroupant plusieurs chaînes gratuite s’est dit satisfaite du choix du CSA, et pense que l’entrée de trois nouvelles chaînes aurait déstabilisé le marché. En réalité, les insatisfaits sont surtout ceux touchés par le refus du CSA. Le président de TF1 a déclaré être triste et en colère suite à cette décision et estime que cette décision les empêche de faire leur métier. Dernière chance pour les mécontents, attendre début 2015 la décision de Conseil d’Etat. Affaire à suivre.
Sources :
ANONYME., « Le patron de TF1 toujours de fermer LCI à la fin de l’année », lefigaro.fr, mis en ligne le 29 juillet 2014, consulté le 20 octobre 2014, <http://www.lefigaro.fr/medias/2014/07/29/20004-20140729ARTFIG00222-la-csa-refuse-le-passage-a-la-tnt-gratuite-de-lci-paris-premiere-et-planete.php>
DELCAMBRE A., « Pas de passage en gratuit pour LCI, Paris Première et Planète+ », lemonde.fr, mis en ligne le 29 juillet 2014, consulté le 15 octobre, < http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2014/07/29/pas-de-passage-en-gratuit-pour-lci_4464279_3236.html>
Décision n°2014-359 du 29 juillet 2014, < http://www.csa.fr/Espace-juridique/Decisions-du-CSA/Decision-n-2014-359-du-29-juillet-2014-relative-a-la-demande-d-agrement-de-la-modification-des-modalites-de-financement-du-service-de-television-hertzienne-terrestre-Planete>