Le 6 octobre dernier, la mission du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), conduite par Madame Valérie Laure Benabou, professeure de droit privé, a remis son rapport sur les œuvres transformatives. Celui-ci avait été commandé en juillet 2013 par Aurélie Filippetti, alors Ministre de la culture, afin d’approfondir les pistes qui avaient été émises par le rapport Lescure de mai 2013 sur le sujet.
Les œuvres transformatives peuvent être définies comme des réalisations empruntant des éléments d’oeuvres antérieures. Si ce type de transformation a toujours existé, il est aujourd’hui, avec l’aide du numérique, de plus en plus fréquent. En effet, le web fournit de multiples possibilités de réutilisation et de diffusion des œuvres : les mash-up, ou « assemblage, au moyen d’outils numérique, d’éléments visuels ou sonores provenant de différentes sources », remix et autres détournements ne cessent de s’accroitre sur la toile. Le rapport s’est ainsi particulièrement penché sur le sort de ces œuvres dans l’environnement numérique.
Dans l’état du droit français actuel, si un artiste emprunte un élément constitutif de l’originalité d’une œuvre protégée par le droit d’auteur pour réaliser sa propre création, il doit préalablement obtenir l’autorisation de l’auteur de l’oeuvre originale première. De par la multiplicité des œuvres pouvant être utilisées dans une création transformative, obtenir cette autorisation peut devenir très compliqué. C’est pour cette raison que la plupart des artistes-transformateurs choisissent plutôt de rester dans l’illégalité et prennent le risque d’une poursuite en justice pour contrefaçon. D’autre part, ils peuvent également se heurter à une suppression automatique de leur œuvre en raison de l’existence de certains systèmes de détection par empreinte numérique. Il est par conséquent nécessaire de clarifier le statut de ces œuvres au sein du droit d’auteur et sécuriser davantage ces pratiques transformatives.
Après la remise du rapport Lescure, un débat avait alors été lancé sur la question de savoir s’il fallait ou non rajouter une exception spécifique pour les œuvres transformatives à la liste prévue par l’article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle (CPI). La SACEM s’était clairement positionnée contre, craignant que des internautes puissent « s’approprier des créations préexistantes dans des conditions injustifiées, de les transformer, avant de les remettre en circulation et les exploiter », tandis que la Quadrature du net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, souhaitait la consécration d’un droit au remix. C’est donc dans ce contexte qu’a été rédigé le rapport du CSPLA.
L’éviction d’une nouvelle exception spécifique aux œuvres transformatives
Aux Etats-Unis, une dérogation au monopole du droit d’auteur pour ce type d’oeuvres a été reconnue dans la législation. Il s’agit du « fair use » ou « usage loyal » qui permet à un créateur d’oeuvre transformative de se dispenser de l’autorisation du ou des auteurs des œuvres utilisées. Néanmoins, au regard des facteurs d’incertitude entourant sa mise en œuvre aux Etats-Unis, le présent rapport considère qu’il n’est pas opportun de transposer cette exception dans notre législation nationale. Cela introduirait en effet des perturbations majeures aux équilibres mis en place par le CPI actuel, sans garantie d’une amélioration convaincante du sort des auteurs des créations transformatives.
De même, au Canada, une exception relative au « contenu non commercial généré par les utilisateurs » a été introduite en novembre 2012. Cette exception canadienne autorise la libre circulation d’une œuvre pour créer une autre œuvre sous réserve de respecter quatre conditions : une obligation de moyen de citer la source, une utilisation à des fins non commerciales et qui ne produise pas d’effet négatif, pécuniaire ou autre sur l’exploitation de l’oeuvre première et enfin une présomption raisonnable de non-contrefaçon de l’oeuvre reprise. Le rapport Lescure proposait de reprendre une telle exception en France mais le présent rapport du CSPLA considère que certains éléments de cette disposition font douter de la possibilité de sa mise en œuvre. La diffusion sur internet suppose en effet l’intervention de multiples intermédiaires, ayant le plus souvent un but lucratif, ce qui ne permettrait pas selon lui de garantir la non commercialité de l’œuvre transformative. Le caractère gratuit de l’œuvre transformative poserait également problème dans la mesure où il serait susceptible de concurrencer l’attractivité de l’œuvre première. Ainsi, une telle transposition en droit européen n’apparait pas souhaitable et risquerait plutôt de créer un déséquilibre entre les différents acteurs de la chaine de valeur, avec une concentration de la valeur de l’exploitation au profit des plateformes intermédiaires (préconisation n°10).
Le rejet de l’intégration d’une finalité « créative ou transformative » à l’exception de citation
Le rapport Lescure proposait encore d’élargir l’exception de courte citation déjà existante à l’article L 122-5 du CPI, à la possibilité de l’utiliser à des fins « créatives ou transformatives », sous réserve que l’usage réalisé soit non commercial. Le rapport de la mission du CSPLA rejette également cette extension, au motif que cela entrerait en contrariété avec la dimension essentiellement informationnelle de la citation et que l’exigence du test en trois étapes risquerait de poser des difficultés (préconisation n°9).
Néanmoins, tout en respectant le caractère informationnel de l’exception de citation, le rapport préconise d’étendre son application à tous les types d’oeuvres. En effet, aujourd’hui, la jurisprudence française en fait une interprétation très restrictive et ne l’applique que pour les œuvres littéraires. Mais un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 1er décembre 2011, dit « Eva Maria Painer », a considéré que la citation d’une photographie est tout à fait envisageable. Ainsi, il apparaît essentiel de se mettre en conformité avec le droit de l’Union et d’appliquer cette exception à toutes les œuvres de l’esprit, sans distinction de genre (préconisation n°6).
Par ailleurs, le rapport vient préciser que certains mécanismes juridiques peuvent déjà servir aux œuvres transformatives et qu’il serait opportun de les rappeler ou d’en assurer la publicité lorsqu’ils sont trop méconnus par les artistes. En effet, la définition même du droit d’auteur, qui ne porte que sur la forme et non le contenu de l’oeuvre originale, ainsi que les nombreuses exceptions existantes dans le CPI offrent déjà de multiples possibilités de création transformative.
En outre, certains aménagements législatifs sont également possibles afin de sécuriser davantage les créations transformatives.
Les éventuels aménagements législatifs
Dans un objectif d’incitation à la création et de promotion à la diversité culturelle, il apparaît d’abord indispensable de « garantir un accès effectif aux matériaux créatifs en accroissant notamment les modes d’information sur les droits ». Cela pourrait passer par exemple par la création d’un registre, composé des éléments appartenant au domaine public, c’est-à-dire libres de droits, ou encore l’aménagement des mesures techniques de protection pour éviter un blocage systématique de l’accès aux oeuvres.
Ensuite, le rapport préconise de « reconsidérer les exceptions existantes à l’échelle nationale et européenne pour en préciser les contours au regard des créations transformatives ». Il conviendrait alors de proposer « au plan européen comme national, des lignes directrices d’interprétation des exceptions » mais aussi de consacrer dans la loi l’exception d’inclusion fortuite, déjà admise dans la jurisprudence.
De plus, une action des pouvoirs publics au niveau national est possible afin de « reconnaître de manière explicite les droits des auteurs des œuvres transformatives ». Il s’agirait notamment de clarifier le régime des œuvres composites tout en conservant l’obligation d’obtention de l’autorisation par l’exploitant. Le rapport estime également nécessaire d’ouvrir une possibilité de contestation de la victime lorsque le mécanisme de tatouage numérique supprime directement sa création dès la détection d’un élément constitutif d’une œuvre déjà existante.
Pour finir, le rapport suggère une piste intéressante consistant à mettre en place un mécanisme de mandat au profit des plateformes de diffusion pour le compte de leurs utilisateurs. Ce mandat aurait pour but de centraliser l’obtention des autorisations d’exploitation nécessaires. Cela permettrait ainsi aux créateurs d’oeuvres transformatives d’être dans la légalité sans avoir eux-mêmes à obtenir les autorisations.
Certains défenseurs du droit au partage de la culture regrettent que ce rapport se place plus en retrait que le rapport Lescure et n’apporte finalement aucune évolution sensible, craignant un risque de blocage du droit d’auteur face à la multiplication de ces pratiques transformatives. Pour autant, sans révolutionner considérablement le droit d’auteur, le rapport émet plusieurs propositions intéressantes qui pourraient permettre à l’avenir de sécuriser un peu plus ces pratiques. De plus, il rappelle qu’il existe déjà des plages de liberté laissées aux créateurs au sein du droit d’auteur.
SOURCES :
RAPPORT CSPLA, disponible sur : http://www.numerama.com/media/RapportCSPLA-oeuvrestransformatives.pdf
CHAMPEAU G., « Rapport du CSPLA sur les remix et mashups », numerama.com, mis en ligne le 6 octobre 2014, consulté le 10 novembre 2014, <http://www.numerama.com/magazine/30820-rapport-du-cspla-sur-les-remix-et-mashups.html>
REES M., « CSPLA : pour autoriser les mash-up, un rapport veut impliquer les hébergeurs », nextinpact.com, mis en ligne le 6 octobre 2014, consulté le 10 novembre 2014, <http://www.nextinpact.com/news/90264-pour-autoriser-mash-up-cspla-compte-impliquer-hebergeurs.htm>
ANONYME, « Le droit au remix doit être un corollaire du droit au partage de la Culture ! », laquadrature.net, mis en ligne le 8 octobre 2014, consulté le 8 novembre 2014, <https://www.laquadrature.net/fr/le-droit-au-remix-doit-etre-un-corollaire-du-droit-au-partage-de-la-culture>