En droit français, les auteurs des œuvres bénéficient du droit de reproduction et de représentation. En conséquence, pour toute représentation ou reproduction, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation préalable des auteurs. Pour faire face à ce droit, plusieurs exceptions au droit d’auteur ont été mises en place. Il existe notamment l’exception de copie privée. Cette exception est codifiée dans le code de propriété intellectuelle à l’article L122-5-2 du code de propriété intellectuelle. Cet article dispose que l’exception de copie privée, c’est « Les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ».
En contrepartie de l’exception le législateur a décidé de mettre une taxe qui est la redevance pour copie privée en faveur des ayants droits. Ce droit à rémunération est posé à l’article L311-1 du code de propriété intellectuelle. La loi du 3 juillet 1985 a mis en place une commission copie privée, commission qui fixe les barèmes de la rémunération. Cette rémunération est versée aux ayants droit en contrepartie des gains perdus du fait de cette exception. 75% de la taxe est reversée aux bénéficiaires et 25% pour des projets culturels. L’impossibilité technique de contrôler chaque copie a conduit à la mise en place de ce système. Selon l’article L311-4 du code de propriété intellectuelle, les assujettis à la rémunération sont les fabricants ou importateurs de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d’œuvres lors de la mise en circulation en France de ces supports. Copie-France gère les rémunérations et les redistribue aux sociétés de perception des auteurs.
La redevance pour copie privée a énormément augmenté notamment du fait de l’évolution technologique et des différents supports qui permettent de faire de plus en plus de copie privée à travers différents moyens. De nombreux problèmes apparaissent au sujet de cette redevance et l’association UFC Que Choisir vient de rendre un rapport suite à deux décisions du Conseil d’État.
Le Conseil d’État valide les barèmes de la rémunération pour copie privée
Le Conseil d’État, dans deux décisions rendues le 19 novembre 2014, valide les barèmes de la rémunération pour copie privée fixés par la commission copie privée. Dans ces deux affaires, les décisions numéros 14 et 15 de la commission copie privée étaient mises en causes.
En ce qui concerne la décision numéro 15, les requérants demandaient qu’elle soit annulée au motif qu’elle avait été votée par la commission de manière irrégulière. Celle-ci avait été votée en l’absence de 5 membres de la commission, membres qui faisaient partie du collège des industriels et qui avaient démissionné le 12 novembre 2012. Le Conseil d’État a validé cette décision qui fixait de nouveaux barèmes. Selon le Conseil d’État le vote n’était pas irrégulier. Pour rappel, les barèmes de la décision numéro 11 avaient été annulés par le Conseil d’État dans une décision du 17 juin 2011 au motif que ces derniers ne prenaient pas en compte les usages professionnels. Le Conseil d’État s’était appuyé sur une décision de l’Union Européenne, arrêt Padawan et sur la loi du 20 décembre 2014, article 4. Les barèmes avaient été maintenus jusqu’au 31 décembre 2012 par la loi du 20 novembre 2011 de manière provisoire en attendant que la commission en fixe de nouveaux. Pour le Conseil d’État il apparait que la commission était dans l’obligation de voter les nouveaux barèmes et cela sans les 5 membres puisque leur démission avait eu lieu peu de temps avant l’échéance des anciens barèmes. Le délai était également trop juste pour que de nouveaux membres soient élus.
De plus, le Conseil d’État juge que la commission n’est pas impartiale. « Qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que l’étude contestée a été réalisée sur la base d’un questionnaire adopté à l’unanimité par la commission et que ses résultats ont été directement présentés à cette dernière ». En ce qui concerne la rémunération, le barème fixé est tout à fait valide, peu importe qu’il y ait des dispositions diverses entre les pays puisqu’il n’est pas démontré que les usages et les pratiques de rémunération des ayants droits sont les mêmes dans les différents pays.
Concernant la décision numéro 14, elle porte sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir. Les barèmes de la décision numéro 14 incluent les tablettes multimédias. Celle-ci reprend les barèmes de la décision 13 sans avoir été modifiée alors que la décision 13 a été annulée par le Conseil d’État. Le Conseil d’État avait rendu sa décision au regard de l’établissement du barème. La décision numéro 14 est contestée puisque selon les requérants, la commission copie privée prend en compte les œuvres illicites. La loi du 20 décembre 2011 précise que seules les copies réalisées à partir d’une source licite ouvrent droit à rémunération. Le Conseil d’État constate que ce n’est pas parce qu’il a annulé la décision numéro 13 que le barème 14 n’est pas valide puisque selon ce dernier « Les requérants n’établissent pas que la commission aurait omis, pour déterminer le barème litigieux, d’exclure les copies de source illicite et aurait ainsi entaché sa décision d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation ».
Cette décision a été accueillie avec satisfaction par les ayants droits et par l’association « la culture avec la copie privée». Il en est tout autrement des utilisateurs et notamment de l’association « UFC Que Choisir ». En ce qui concerne Apple, la société vient de verser 12 millions d’euros. Premier versement qui va être suivi de nombreux autres.
Dans ces décisions il apparait que les intérêts des ayants droit prédominent sur ceux des fabricants et ceux des consommateurs. Le fait d’avoir annulé la décision 13 mais de valider la décision numéro 14 alors qu’elles sont identiques parait illogique. Certes les fondements sur lesquels elles ont été attaquées sont différents mais une véritable contradiction apparait.
Les ayants droit ont fait valoir récemment que le barème de la redevance pour copie privée était applicable aux tablettes Windows jusqu’alors exclues. L’application de ce barème est considérée comme rétroactive. Les fabricants vont devoir alors indiquer les stocks écoulés de ces tablettes depuis la mise en place du barème de la décision numéro 14 et verser la redevance due.
Le rapport de l’association UFC Que Choisir
L’association UFC Que Choisir a toujours défendu le principe de la redevance pour copie privée. Cependant elle défend également le fait que les consommateurs doivent connaitre en toute transparence les barèmes élaborés par la commission copie privée. En 2000, l’association quitte cette commission pour manquement de transparence car elle défend le droit du consommateur.
L’association UFC Que Choisir a rendu un rapport le 25 novembre 2014 sur le système de copie privée. Cette dernière désire une refonte du système actuel. Le rapport est fondé sur trois parties, trois thèmes. Tout d’abord l’association met en évidence le fait que la France est par rapport à d’autres pays d’Europe, un état où les barèmes pour redevance pour copie privée sont les plus forts. Le deuxième thème porte sur l’organisation de la commission copie privée. L’association constate que la constitution de cette commission n’est pas favorable aux consommateurs qui n’ont pas assez de voix vis-à-vis des ayants droits. Quant à la troisième partie elle porte sur le fait qu’il y a un manque de transparence vis-à-vis des consommateurs quant à la collecte des redevances c’est-à-dire qu’ils doivent connaitre l’utilisation qui est faite de cette redevance.
En 2013, la somme récoltée au titre de la redevance pour copie privée n’a jamais été aussi élevée. Elle serait de 208 millions d’euros selon le rapport de la SPPF (Société civile des producteurs de phonogrammes en France). La perception de la redevance pour copie privée, en France, par habitant, en 2012 est de 2,65 euros. Les chiffres sont anciens, ils ne sont pas actualisés régulièrement, laissant apparaitre un manque de transparence. Selon l’association « Il apparait qu’en 2012 la perception moyenne de la RCP par habitant était 4,8 fois plus élevée en France que dans le reste de l’Union européenne ». Selon un calcul reprenant les chiffres de 2013, la redevance serait de 3,15 euros par habitant et donc 5,7 fois plus élevé que dans le reste de l’Europe. Que ce soit pour n’importe quel secteur, CD-R, dvd-R, lecteur MP3…les barèmes sont toujours plus élevés en France. La copie privée augmente en fonction de la capacité de stockage. En France, le montant de la redevance pour copie privée augmente plus que dans le autres pays. Ainsi le prix proposé aux consommateurs de la part des fabricants est plus élevé en France que dans d’autres pays. Le consommateur est alors lésé et subit indirectement les barèmes de la redevance pour copie privée.
L’association relève également que la composition de la commission pose problème. Selon cette dernière la voix des consommateurs ne peut être entendue. En effet, 12 voix pour le collège des ayants droit, 6 voix pour le collège des consommateurs et 6 voix pour le collège des industriels et des importateurs et le président une voix. Ainsi au regard des voix il apparait que les ayants droit sont en position dominante. De plus, l’association met en évidence grâce à une analyse de l’ensemble des votes depuis 2007, que les ayants droits votent toujours dans le même sens. Leur vote est généralement soutenu par celui du président de la commission ainsi que par ceux des industriels/importateurs.
UFC Que Choisir propose une refonte de la commission en soumettant deux solutions. La première solution consiste à ce que chaque collège dispose de 8 voix et que le vote soit à la majorité simple des membres présents. Quant à la deuxième solution, l’association propose que le nombre de voix pour chaque collège soit toujours de 12 voix pour les ayants droit, de 6 voix pour les industriels/importateurs et de 6 voix pour les consommateurs, mais l’association propose que dans ce cas, le vote se fasse à la majorité qualifiée des 2/3 des membres présents.
Enfin, l’association estime que les sommes perçues par les ayants droit ne sont pas transparentes. Les montants récoltés et distribués ainsi que les personnes bénéficiaires de ces derniers ne sont pas clairement définis. « Au global, l’association considère indispensable que les informations transmises par les SPRD au ministère de la Culture le soient sous une forme numérisée, qu’il élabore une base de données permettant de croiser les informations fournies par les différentes SPRD sur la gestion des ressources liées à la copie privée, et qu’il rende l’ensemble de ces données consultable sur son site internet » .
Il semble nécessaire qu’une harmonisation soit mise en place au niveau européen. Concernant différents droits, une harmonisation entre les divers pays adhérant à l’union européenne a déjà été instituée. Pourquoi ne pas le faire pour la redevance pour copie privée ? La différence de législation, entre les pays de l’union européenne au sujet de la copie privée est flagrante notamment lorsqu’on compare le droit français et le droit Anglo saxon. En effet, en Angleterre, contrairement à la France, la rémunération pour copie privée est quasi inexistante. Les industriels de la musique ont lancé une action en justice contre leur gouvernement.
Le fait qu’il est y ait une rémunération parait tout à fait normal du point de vue de l’ayant droit. L’existence de l’exception de copie privée est importante mais elle ne semble pas respectée du fait d’une redevance trop élevée. Peut-on encore parler d’exception au droit d’auteur ? Au final il ne faut s’étonner que les gens aient recours au téléchargement étant donné que les prix proposés des DVD, CD… sont élevés et du fait que les mesures techniques sont de plus en plus contraignantes pour les utilisateurs.
Sources :
BRETON J. ; « Copie privée : le rapport de l’UFC-Que Choisir réclame une refonte », lesnumeriques.com, mis en ligne le 25 novembre 2014, consulté le 3 décembre 2014, <http://www.lesnumeriques.com/copie-privee-rapport-ufc-que-choisir-reclame-refonte-n37091.html>
UFC QUE CHOISIR. ; « Copie Privée : le vrai préjudice…des consommateurs français ! », quechoisir.org, mis en ligne le 25 novembre 2014, consulté le 3 décembre 2014, <http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/1800d5d36664af9db6e1ae108fee31f0.pdf>
REES M. ; « L’UFC-Que Choisir prête à revenir en Commission copie privée, sous conditions », nextinpact.com, mis en ligne le 26 novembre 2014, consulté le 3 décembre 2014, <http://www.nextinpact.com/news/91085-lufc-que-choisir-prete-a-revenir-en-commission-copie-privee-sous-conditions.htm>
ANONYME. ; « Le Conseil d’Etat valide les barèmes de la redevance pour copie privée », legalis.net, mis en ligne le 25 novembre 2014, consulté le 3 décembre 2014, <http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=4359>
REES M. ; « Copie privée : double échec des industriels devant le Conseil d’État », nextinpact.com, mis en ligne le 19 novembre 2014, consulté le 3 décembre 2014 <http://www.nextinpact.com/news/90998-copie-privee-double-echec-industriels-devant-conseil-detat.htm>
ANONYME. ; « Rejet des demandes d’annulation des décisions n°14 et 15 de la Commission Copie Privée », cyberdroit.fr, mis en ligne le 25 novembre 2014, consulté le 3 décembre 2014, <http://www.cyberdroit.fr/2014/11/rejet-des-demandes-dannulation-des-decisions-n14-et-15-de-la-commission-copie-privee/>
ANONYME. ; « Les ayants droit réclament l’argent de la copie privée au Royaume-Uni », zdnet.fr, mis en ligne le 27 novembre 2014, consulté le 3 décembre 2014, <http://www.zdnet.fr/actualites/les-ayants-droit-reclament-l-argent-de-la-copie-privee-au-royaume-uni-39810285.htm>
REES M. ; «Copie privée : Apple fait un premier chèque de 12 millions d’euros », nextinpact.com, mis en ligne le 16 décembre 2014, consulté le 20 décembre 2014, <http://www.nextinpact.com/news/91438-copie-privee-apple-fait-premier-cheque-12-millions-deuros.htm>
REES M. ; « Copie privée : la redevance sur les tablettes Windows est rétroactive », nextinpact.com, mis en ligne le 20 décembre 2014, consulté le 21 décembre 2014, <http://m.nextinpact.com/news/91497-copie-privee-redevance-sur-tablettes-windows-sera-retroactive.htm>