Dubsmash est une application sur smartphone qui propose à ses utilisateurs de se filmer en playback sur une bande sonore tirée d’une réplique culte d’un film, d’une musique ou encore d’un discours politique. Une fois l’enregistrement de quelques secondes réalisé, il est possible pour l’utilisateur de l’envoyer à l’un de ses contacts par SMS mais également de partager cette vidéo sur les réseaux sociaux.
Une application au succès immédiat
Dubsmash aura marqué la fin de cette année 2014, élue application de l’année par le magasine Les Inrocks, personne n’a pu passer à coté de cette application créée par trois jeunes allemands et qui n’est pourtant arrivée en France qu’en novembre dernier. Cette dernière se situe dans le même registre que des applications telles que Snapchat ou encore Vine, qui propose également d’envoyer à ses amis de courtes vidéos qui ont souvent une visée humoristique. Simple d’utilisation, gratuite et drôle, le succès a été immédiat avec plus d’un million de téléchargements en 48 heures et s’est placée en tête des applis les plus populaires en France à la fois sur la plate forme de téléchargement iTunes d’Apple et sur celle d’Android. Des compilations des vidéos les plus hilarantes sont mêmes déjà proposées sur YouTube.
Dubsmash plait essentiellement aux jeunes, et l’engouement pour cette dernière vient aussi du fait de la volonté de pouvoir répliquer à une vidéo reçue par une nouvelle vidéo de sa propre création. De plus, l’application a bénéficié d’une publicité gratuite à travers de nombreuses célébrités qui ont posté leurs propres vidéos où elles se prêtent au jeu du playback.
Avec un large catalogue de proposition, il y en a pour tous les goûts et pour tous les âges. Mais justement, c’est bien à ce niveau là que se situe toute la polémique autour de Dubsmash.
La barrière des droits d’auteurs
Les trois co-fondateurs de l’application proposent une bibliothèque de sons divers et variés pour lesquels ils n’ont pas obtenu l’autorisation des ayant-droits de les exploiter. Ils utilisent les sons de manière gratuite, sans reverser de contrepartie aux titulaires des droits d’auteur. Or, le droit de la propriété intellectuelle français est clair à ce sujet, il faut requérir l’autorisation de l’artiste ou de ses ayants-droits avant toute utilisation de son interprétation. S’il est certain que c’est l’image de l’utilisateur qui apparait sur la vidéo et non celle de l’artiste, c’est bien sa voix qui est utilisée. L’autorisation d’utilisation est donc nécessaire.
Face à cette polémique les fondateurs de l’application ont cherché à échapper au monopole de l’auteur en invoquant l’exception légale de la courte citation prévue par l’article L 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Cette exception permet d’utiliser un court extrait d’une oeuvre sans demander l’autorisation de son auteur et sans que ce dernier puisse s’y opposer. Or, de strictes conditions encadrent cette exception. Tout d’abord, la citation doit être courte et brève, ensuite elle doit respecter le droit de paternité de l’auteur en indiquant clairement le nom de l’auteur et la source de l’oeuvre et enfin elle doit avoir un caractère nécessairement critique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre citante. Il est donc nécessaire qu’il y ait une oeuvre nouvelle incluant l’oeuvre citée. Le but de Dubsmash est néanmoins de simplement proposer une utilisation amusante, ludique de l’oeuvre, les conditions d’invocation de l’exception ne sont donc pas remplies, l’autorisation des auteurs est nécessaire. De plus, l’application pourrait faire l’objet d’une procédure de contrefaçon. En effet, ni le nom de l’auteur ni la source ne sont mentionnés contrairement à ce qu’impose la loi.
En outre, le droit européen va également dans ce sens car il considère que les exceptions de courtes citations ne peuvent causer un préjudice injustifié à l’auteur. Or, les fondateurs de Dubsmash tirent de l’utilisation de ces extraits des profits économiques ce qui engendre donc un préjudice à l’auteur.
Par ailleurs, le code de la propriété intellectuelle prévoit une exception qui semblerait mieux s’adapter à ce cas de figure, c’est l’exception de parodie. En effet, lorsqu’une oeuvre a été divulguée l’auteur ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature qui respectent les lois du genre. Mais dans cette hypothèse l’exception ne concernerait alors que les vidéos produites et diffusées par les utilisateurs et non pas l’application en elle-même.
Quel avenir pour Dubsmash ?
Face à tant d’incertitudes, YouTube a pris les devants en supprimant le 9 décembre dernier la chaîne Dubsmash Compilations qui hébergeait les vidéos les plus célèbres de l’application. Cette suppression ferait suite à une réclamation déposée par les ayant-droits puisque sur la page du compte apparait l’explication suivante : « ce compte a été clôturé suite à des cas graves de non-respect du règlement de la communauté et/ou des réclamations pour atteinte aux droits d’auteur ».
Le salut de l’application viendra peut être de la brèche dans laquelle les co-producteurs ont décidé de s’engouffrer. En effet, l’application propose aux utilisateurs de choisir des extraits, soit dans sa propre base, soit d’aller les chercher en dehors. Dans la deuxième possibilité, ce ne serait pas alors l’application qui serait responsable de l’atteinte aux droits d’auteur mais l’utilisateur lui-même.
Mais avec cette position se pose le problème du défaut d’information des utilisateurs, la majeure partie ignore qu’en allant chercher des contenus en dehors de la bibliothèque de l’application, ils peuvent être sanctionnés au même titre qu’un internaute qui poste sans autorisation un film sur une plate-forme d’hébergement. Si Dubsmash adopte cette stratégie, elle devra avoir au moins l’honnêteté d’informer ses utilisateurs des risques qu’ils prennent en se livrant à de telles pratiques.
Quoi qu’il en soit, à cet instant aucune poursuite n’a été engagée contre les producteurs de l’application, mais cela ne devrait-être qu’une question de temps. Mais il y a fort à parier, qu’avant même que des procédures judiciaires soient ouvertes, que cette dernière ait été victime de son succès, et ait disparu aussi vite qu’elle est apparue. Tel est souvent le cas dans le domaine des applications pour smartphone, le succès est fulgurant mais l’intérêt et l’attention du public n’est bien souvent qu’éphémère.
Sources
CHAMPAGNER KATZ C., « L’application mobile Dubsmash et la problématique du droit d’auteur », village-justice.com, publié le 22 décembre 2014, consulté le 26 décembre 2014, <http://www.village-justice.com/articles/application-mobile-Dubsmash,18560.html>
CHAPUIS T., « Dubsmash passera-t-il l’hiver ? », konbini.com, mis en ligne il y a deux semaines, consulté le 26 décembre 2014, <http://www.konbini.com/fr/tendances-2/dubsmash-droits-auteur/>
DEJEAN M., « Dubsmash, l’appli des playbacks, va t-elle être interdite ? », lesinrocks.com, publié le 12 décembre 2014, consulté le 26 décembre 2014, <http://www.lesinrocks.com/2014/12/12/actualite/dubsmash-lappli-des-playbacks-va-t-elle-etre-interdite-11540715/>
DOGON C., « Youtube supprime des vidéos Dubsmash », tempsreel.nouvelobs.com, mis en ligne le 16 décembre 2014, consulté le 26 décembre 2014, <http://tempsreel.nouvelobs.com/video/20141216.OBS7975/dubsmash-l-application-playback-est-suspendue-sur-youtube.html>