A l’heure où la solidarité et l’unité nationale doivent prévaloir suite aux attentats réalisés dans les locaux de Charlie Hebdo, le Gouvernement prend les mesures qu’il juge nécessaires pour éviter toute provocation ou dérive vers la haine raciale, l’antisémitisme ou provocation à des actes de terrorisme. En raison de la liberté d’expression propre à internet, les sites sont particulièrement visés. Le jeudi 22 janvier 2014, l’Assemblée Générale de l’ONU tenait une réunion plénière exceptionnelle sous l’impulsion de Bernard-Henry Lévy visant à traiter de la montée des violences antisémites dans le monde. A l’occasion de celle-ci, le secrétaire d’État aux Affaires Européenne Harlem Désir a fait part de la mise en place à brève échéance je cite : « du blocage de sites internet racistes et antisémites sur simple ordonnance de l’état, sans débat contradictoire ni vérification judiciaire de l’illégalité des sites bloqués ». Cette annonce suit l’adoption d’un projet de loi le 4 novembre 2014, qui prévoit un blocage des sites internet incitant à la commission d’acte de terrorisme et trouve sa source dans la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure (LOPPSI 2) du 14 mars 2011. C’est à l’issue de cette loi que le système avait été mis en place pour les sites diffusant des contenus pédopornographiques. Il convient de s’intéresser à l’étendue rapide du champ d’application de ce mécanisme ainsi que son impact sur les libertés. En effet, aux yeux de certains politiques il s’agirait plutôt une mesure liberticide.
L’évolution soudaine du champ d’application du blocage administratif
Les contenus pédopornographiques ont été les premiers visés par le blocage administratif. L’article 4 de la loi LOPPSI 2 conférait au Ministère de l’Intérieur, le pouvoir exceptionnel de notifier directement aux intermédiaires techniques comme les fournisseurs d’accès internet le blocage sans délais de site qui diffusent des images de mineur à caractère pornographique. En 2011, le Conseil Constitutionnel a exceptionnellement validé cet article 4. Il a justifié se raisonnement au regard du fait que le blocage extra judiciaire existait : « pour la protection des utilisateurs d’internet puisqu’il visait à protéger les internautes contre les images de pornographie infantile ». Par conséquent ces dispositions assuraient : « une conciliation qui n’était pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ». Faute de décret d’application pour cet article, cette mesure n’a jamais été appliquée.
Néanmoins, les choses pourraient s’accélérer sous peu. Le projet de loi renforçant les dispositifs de lutte contre le terrorisme du Ministre de l’Intérieur actuel, Bernard Cazeneuve, a définitivement été adopté par le Parlement le 4 novembre 2014. Il prévoit dans son article 9 le blocage administratif de sites incitant à la commission d’acte de terrorisme ou en faisant l’apologie. Plus récemment, le 8 janvier 2014 au lendemain de l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, le Gouvernement a notifié à la Commission Européenne, le projet de décret d’application concernant cette mesure de blocage tant pour les sites internet pédopornographiques que pour ceux faisant l’apologie d’actes de terrorisme. Ce texte a été notifié sous le sceau de l’urgence en raison de : « l’accélération des phénomènes constatés de radicalisation par l’usage d’internet : les dispositions envisagées présentent un caractère d’urgence qui a trait à l’ordre public et notamment à la protection de mineurs» . Il prévoit d’empêcher aux internautes d’accéder à ces catégories de sites. En pratique, l’office centrale de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication sera l’autorité administrative en charge de dresser la liste des adresses électroniques des services de communication au public en ligne. Ensuite, le ministère de l’intérieure transmettra cette liste aux fournisseurs d’accès internet afin que ces derniers procèdent dans les 24 heures au blocage desdits sites.
Mais il semble que le Gouvernement souhaite aller plus loin, au regard des récents évènements il ressort une volonté d’étendre cette mesure aux messages racistes et ou antisémites. Actuellement, les appels à la haine à l’égard d’une personne en raison de son origine, de son appartenance ou de son non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sont punis d’un an d’emprisonnement et ou de 45 000 euros d’amende. Le juge peut décider de bloquer le site dans son intégralité en raison de ces contenus. Mais cela pourrait évoluer, au même titre que monsieur Harlem Désir, la Garde des Sceaux, madame Christiane Taubira, souhaite : « confier à l’autorité administrative la possibilité de bloquer les sites et messages de haine raciste ou antisémites ».
Pour justifier de l’intérêt de cette mesure, le Gouvernement souligne notamment qu’elle permettra de traiter un grand nombre de sites dans des délais plus brefs que ceux résultant du blocage judiciaire. Mais celle-ci n’est pas au goût de tous.
Une mesure liberticide d’une efficacité limitée ?
Cette mesure de blocage administratif a suscité de vigoureuses critiques à l’époque de la loi LOPPSI 2, ce qui avait conduit à saisir le Conseil Constitutionnel afin qu’il se prononce sur sa constitutionnalité. Les instigateurs de cette saisine n’étaient autres que le Parti Socialiste et le Parti Communiste Français, ce qui paraît surprenant dans le contexte actuel. En effet les députés socialistes dont monsieur Manuel Valls actuel premier ministre, s’étaient farouchement opposés au blocage administratif de sites au motif qu’il était « inapproprié » et jugeaient qu’il n’est pas possible que « la liberté de communication via internet subisse des immixtions arbitraires de la part des autorités administratives sous couvert de lutte conte la pédopornographie ». En outre, le parti regrettait l’absence de contrôle préalable par un juge de la qualification du caractère pornographique des images ou représentations des mineurs en cause. Ce revirement de la majorité n’a pas manqué d’échapper à certains qui estiment que la majorité a tout simplement donné le bâton pour se faire battre. En effet, l’opposition n’a qu’à piocher parmi les nombreux arguments développés par le Parti Socialiste à l’époque et elle ne s’en prive pas. A l’instar du député écologiste madame Isabelle Attard qui considère que : « le blocage d’un site internet est une mesure extrêmement forte contre la liberté d’expression […] liberté fondamentale garantie par la Constitution de la République Française. » Elle rajoute qu’il « est en contradiction totale avec les principes démocratiques de séparation des pouvoirs et de procédure judiciaire contradictoire ». En juin 2014, le Conseil du Numérique dans un avis consultatif s’était fermement opposé au blocage concernant les sites présumés terroristes « en raison de son atteinte grave à liberté d’expression et de communication ». Il ajoutait « toute atteinte aux libertés fût-elle justifiée par des considérations de sécurité nationale, doit être proportionnée et nécessaire vis-à-vis de l’objectif recherché ». Le risque est étant que la mise en place de la mesure soit vue comme de la censure administrative ou une censure d’internet.
Le blocage sans intervention du juge, garant des libertés individuelles soulève des questions. Celle de savoir quel contenu relatif au terrorisme constitue un acte faisant l’apologie du terrorisme, le risque étant de bloquer des sites parfaitement licites. La question de l’inefficacité du processus est également avancée, en effet, certains font miroiter la crainte d’un effet streisand, une telle mesure ne ferait qu’offrir une publicité aux sites exposant ce genre de contenu et en favoriser la prolifération.
D’un autre côté, les défenseurs de cette procédure estiment qu’internet ne doit pas devenir le terrain d’une liberté absolue et se positionne plutôt en faveur de cette mesure. Ainsi la Ministre de la Culture et de la Communication madame Fleur Pellerin ne voit pas en quoi cette mesure de blocage constitue un musellement de la liberté d’expression ou d’information et estiment que ce qui est interdit dans l’espace public ne devrait pas être autorisé sur internet.
Cette mesure de blocage administratif pour les sites incitant à la commission ou l’apologie d’actes de terrorisme est compréhensible au regard du contexte actuel. Néanmoins son efficacité reste à prouver. Si jamais elle devrait être étendue aux messages racistes et antisémites, il serait nécessaire que le Conseil Constitutionnel se prononce sur celle-ci comme il l’avait précédemment fait pour la loi LOPPSI 2 car à l’inverse des contenus pédopornographiques qui sont facilement identifiables, certains messages peuvent être mal interprétés et entraîner des blocages excessifs au risque de mettre en péril la liberté d’expression.
Sources:
Rees Ma., « Grâce au PS, aidons les députes à s’opposer au blocage administratif », nextinpact.com, mis en ligne le 16 septembre 2014, consulté le 29 janvier 2015, <http://www.nextinpact.com/news/89897-grace-au-ps-aidons-deputes-a-sopposer-au-blocage-administratif.htm>
BERNE Xav., « Le CNNum s’oppose fermement au blocage administratif des sites terroristes », nextinpact.com, mis en ligne le 17 juillet 2014, consulté le 29 janvier 2015, <http://www.nextinpact.com/news/88726-le-cnnum-retoque-dispositif-blocage-administratif-sites-terroristes.htm>
Champeau Gu., « La France confirme à l’onu l’extension de la censure sans juge », numerama.com, mis en ligne le 23 janvier 2015, consulté le 29 janvier 2015, <http://www.numerama.com/magazine/31980-la-france-confirme-a-l-onu-l-extension-de-la-censure-sans-juge.html>