Le paysage radiophonique français est en changement perpétuel, « mouv’ant » au rythme des autorisations des fréquences attribuées par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Les radios doivent évoluer avec les attentes des auditeurs et concurrencer les nouvelles webradios toujours plus innovantes. Benjamin Lesire-Ogrel parle justement dans son article du concept Radiooo qui propose un véritable tour du monde.
Alors qu’Europe 1 fête ses 60ans d’un côté, le groupe Radio France d’un autre, tente de garder le cap en proposant une nouvelle version de sa chaîne jeune Le Mouv’ rebaptisée Mouv’ et dont la première émission a été programmée le 2 février 2015. Cette nouvelle formule, à l’image d’autres radios destinées aux jeunes, devrait les satisfaire en adoptant leur langage et les discussions qui les intéressent. Mouv’ est donc une radio musicale s’adressant à une communauté d’auditeurs entre 15 et 30 ans, misant sur la proximité des chroniqueurs avec le public, notamment par le biais des réseaux sociaux ou d’émissions participatives puisque chaque auditeur peut s’exprimer librement.
Problème de compréhension ou réelle provocation ?
Mais mercredi 4 février, durant l’émission de 20H20 où le rappeur Jean-Pascal Zadi prend chaque jour la parole afin de débattre sur l’actualité, celui-ci rebondit sur les propos précédemment utilisés par Manuel Valls qui associe les banlieues à l’apartheid. Il se sert de cette intervention pour comparer les « parties fines » de Dominique Strauss Kahn lors de l’affaire du Carlton, aux « tournantes » des cités. Nour-Eddine Zidane, le présentateur, réagit directement en dénonçant ces propos et en précisant bien que les tournantes ne sont pas consenties et sont considérées par la loi comme des crimes.
Pourtant, le rappeur s’en défend en supposant que les tournantes peuvent être consenties. Ne confond-il pas avec le fait d’avoir des rapports sexuels à plusieurs ? Il est trop tard, le mot employé renvoie pourtant juridiquement bien au viol, qui est un crime au sens de l’article 222-23 du code pénal qui le définit comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Il est par ailleurs puni de quinze ans de réclusion criminelle.
Une réglementation des programmes audiovisuels normalement réalisée par le CSA
La réglementation des programmes audiovisuels est normalement réalisée par le CSA qui veille notamment au respect de la dignité humaine, à la déontologie des programmes en général et surtout à la protection de l’enfance et de l’adolescence. Donc même si la liberté de communication est admise par la loi du 30 septembre 1986, elle n’est pas totale. Le CSA, par l’application de l’article 1er de cette même loi, surveille le contenu des programmes pour en éviter les abus grâce à la rédaction de convention avec les éditeurs privés, ou encore par le biais des cahiers des charges pour les chaînes publiques.
Le CSA peut également émettre des recommandations, des délibérations et dispose même d’un pouvoir de sanction. L’autorité de régulation peut donc faire interdire une émission qui rabaisserait la personne, en instrumentalisant par exemple le corps humain, ce qui est le cas dans l’émission 20H20 en cause. Mais ce pouvoir intervient toujours à posteriori et les faits incriminés entraînent donc des conséquences morales irrémédiables.
Pour éviter cela dans le domaine privé, le Conseil s’appuie sur l’obligation de maîtrise de l’antenne par les éditeurs, et plus précisément par les animateurs qui doivent tout mettre en œuvre pour éviter les dérapages en direct. C’est l’article 2-10 de la convention relatif à la maîtrise de l’antenne signée par les radios privées avec le Conseil qui établit que l’opérateur est le « seul responsable du programme diffusé sur son antenne, quelles que soient les modalités de sa fabrication ». Cet exercice reste donc difficile du fait de la spontanéité des émissions qui sont le plus souvent en direct. Le CSA reste néanmoins intransigeant sur ce point.
L’animateur de l’émission en question a effectivement vite réagit aux propos injurieux du rappeur mais la chaîne a quand même intérêt par la suite à s’excuser publiquement pour cette faute verbale sous peine de se voir éventuellement rappeler à l’ordre par une mise en demeure du CSA et de voir son image en pâtir. Mais en l’espèce, Mouv’ appartient au groupe Radio France et est donc une chaîne publique qui a un contrat d’objectifs et de moyens avec l’Etat. Ces chaînes ne sont pas exactement soumises aux mêmes obligations par le CSA qui leur émet des recommandations et établit un cahier des charges pour les réguler.
Dans le domaine public, le CSA a donc émis un décret portant sur le cahier des charges des services publics de communication audiovisuelle depuis le 13 novembre 1987 qui a été plusieurs fois modifié. La dernière en date étant le décret n° 2006-645 du 1er juin 2006. Dans l’article 5 de ce décret, la chaîne publique doit veiller « au respect de la personne humaine et de sa dignité, de l’égalité entre les femmes et les hommes ainsi qu’à la protection des enfants et adolescents. » Cet article est le seul sur lequel le CSA pourrait se baser pour sanctionner de tels propos diffusés lors de l’émission 20H20 car il n’y a aucune mention d’obligation de maîtrise de l’antenne dans le décret.
Il existe donc une mention absente dans ce cahier des charges qui a pourtant été remarqué dans l’avis du CSA rendu le 26 janvier 2012 sur le projet d’un autre cahier des charges, celui de la société nationale de programme en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. En effet, le CSA rappelle dans sa 4ème observation que « l’obligation de maîtrise de l’antenne devrait être intégrée dans le cahier des charges par l’insertion, à la fin de l’article 20 – Honnêteté de l’information et des programmes, de la phrase suivante : « La société conserve en toutes circonstances la maîtrise de l’antenne conformément à son dispositif de contrôle interne » ».
En l’espèce, la chaîne destinée aux jeunes de Radio France a donc bien réagit par le biais de la rapide réaction de son animateur mais a continué de faire la promotion de cette émission sur les réseaux sociaux ensuite, et même si les internautes avaient déjà manifesté leur mécontentement. Le CSA n’aurait donc pas pu sanctionner la chaîne pour la non maîtrise de l’antenne mais elle aurait pu émettre une mise en garde ou en demeure pour le non-respect de l’article 5 du décret précédemment cité, d’autant plus que la chaîne en a continué la promotion par la suite. Le directeur de Mouv’ devra donc surveiller les prochaines émissions afin de ne pas risquer de sanction du CSA. Ou (pire ?) encore, s’il ne veut pas voir des répercussions sur les auditeurs eux-mêmes qui pourraient se détourner de leur chaîne à cause de leurs désaccords idéologiques.
Une réglementation des programmes effectuée par la réaction instantanée des internautes
Malgré les efforts de l’animateur pour maîtriser son antenne, le dérapage est donc effectivement enregistré et des dizaines d’internautes réagissent immédiatement sur Twitter afin de dénoncer la terrible comparaison qui vient d’être faite. Ils critiquent d’autant plus le fait que la chaîne de radio a fait la promotion de cette même émission sur ces mêmes réseaux sociaux suite à la diffusion en direct de l’émission.
Ce n’est pas la première fois que les internautes habitués des réseaux sociaux s’en prennent à des animateurs de radio ou même télévisuels. Par leurs réactions franches et spontanées, les internautes sont parfois les « juges » les plus légitimes pour décider si l’émission respecte les valeurs qui doivent être normalement défendues par tous les éditeurs du monde de l’audiovisuel.
Cette réglementation via les réseaux sociaux peut être accompagnée par une réglementation via le site du CSA qui permet aux auditeurs et téléspectateurs des programmes français de signaler un programme qui refléterait un abus. Le signalement se fait par le biais d’un formulaire qui accueille la plainte et qui permettra au CSA de se prononcer postérieurement sur les agissements dénoncés.
Avec la consécration des médias interactifs, l’avenir de la régulation des programmes audiovisuels pourrait se trouver avec une réelle régulation participative mais il faudrait pour cela, trouver un équilibre entre la confiance accordée aux auditeurs et téléspectateurs, tout en tempérant leurs propos afin d’éviter les abus. Il n’est en effet par rare de voir des lynchages sur les réseaux sociaux pour des programmes audiovisuels qui ne méritaient pas forcément un tel traitement.
Pour conclure, si la nouvelle formule de la radio Jeun’s de Radio France souhaite donc reste dans le « mouv’ », elle devra exercer un autocontrôle et rester prudent dans sa programmation et quant aux paroles prononcées lors de ses émissions.
SOURCES :
ANONYME, « Deux jours après son lancement, un dérapage à l’antenne du nouveau Mouv’ », www.bigbrowser.blog.lemonde.fr, publié le 4 février 2015, consulté le 6 février 2015, <http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2015/02/04/deux-jours-apres-son-lancement-un-derapage-a-lantenne-du-nouveau-mouv/?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter#xtor=RSS-3208>
ANONYME, « La déontologie de l’information et des programmes », www.csa.fr, consulté le 6 février 2015, <http://www.csa.fr/Radio/Le-suivi-des-programmes/La-deontologie-de-l-information-et-des-programmes >
BOINET (C.), « Des partouzes de DSK aux tournantes: Jean-Pascal Zadi dérape à l’antenne de Mouv’ », www.lesinrocks.com, publié le 4 février 2015, consulté le 6 février 2015, <http://www.lesinrocks.com/2015/02/04/actualite/des-partouzes-de-dsk-aux-tournantes-jean-pascal-zadi-derape-lantenne-du-mouv-11559448/>
Décret portant approbation du cahier des missions et des charges de Radio France, www.csa.fr, publié le 2 juin 2006, consulté le 20 février 2015, < http://www.csa.fr/Espace-juridique/Decrets-et-arretes/Decrets-portant-cahiers-des-charges-des-services-publics-de-communication-audiovisuelle/Decret-portant-approbation-du-cahier-des-missions-et-des-charges-de-Radio-France >
Avis du CSA sur le projet de cahier des charges de la société nationale de programme en charge de l’audiovisuel extérieur de la France, www.csa.fr, publié le 26 janvier 2012, consulté le 20 février 2015, <http://www.csa.fr/Television/Avis-du-Conseil-sur-le-projet-de-cahier-des-charges-de-la-societe-nationale-de-programme-en-charge-de-l-audiovisuel-exterieur-de-la-France >