Le 14 février dernier une vidéo pour la lutte contre la malnutrition des enfants dans le monde a été bloquée un temps sur Youtube en raison d’une hypothétique violation des droits d’auteurs.
Le content ID de Youtube bloque une vidéo licite
Le joueur de football mondialement connu Zlatan Ibrahimovic à lors du dernier match contre Caen bravé les interdits et retiré son maillot laissant découvrir une série de tatouages temporaires représentant des noms d’enfants. Le but de cette manoeuvre étant d’exprimer la solidarité envers les 805 millions d’enfants souffrant de la faim dans le monde. Cette action faisait en fait partie d’un programme lancé par l’ONU dans le cadre du Programme Alimentaire Mondial, dont le but était de faire un clip vidéo de sensibilisation en utilisant l’image de Zlatan un des joueurs les plus connus au monde afin de toucher la sensibilité des différentes populations de la planète.
Dans ce clip vidéo diffusé sur Youtube tourné principalement dans les vestiaires du Parc des Princes avec l’autorisation du PSG, les images du but marqué contre Caen et de Zlatan retirant son maillot à cette occasion, laissant apparaitre la série de tatouages temporaires ont été exploitées.
Problème quelques heures après la diffusion de la campagne publicitaire les internautes tombaient sur un message leur indiquant « cette vidéo inclut du contenu de LFP, qui l’a bloqué (sic) pour des raisons de droit d’auteur ». En effet, la vidéo a été détectée par le robocopiright de Youtube. Il s’agit d’un filtre de détection utilisé par Youtube appelé Content ID permettant d’analyser les contenus mis en ligne par les internautes et de vérifier qu’ils ne violent pas le droit d’auteur. Youtube propose ce service aux ayant droits qui vont par ce biais signer leur contenu audiovisuel d’une empreinte numérique invisible qui pourra être détectée par les filtres de Youtube et de Dailymotion pour bloquer toute vidéo qui aurait une signature identique et ainsi assurer une exclusivité sur les images. Ce service fonctionne de manière automatique et permet aux titulaires de droits d’auteur de bloquer presque immédiatement les vidéos qui leur paraîtraient suspectes.
La ligue Professionnelle de Football fait partie des titulaires de droits d’auteur utilisant cet outil proposé par Youtube et a donc bloqué le clip de campagne publicitaire diffusé sur la plate forme lorsque les images du match Caen-PSG ont été identifiées. Aussitôt ce blocage a provoqué de vives réactions sur les réseaux sociaux. En effet, la ligue a été accusée de servir ses intérêts, de ne penser qu’à l’argent beaucoup d’internautes ont dit que c’était honteux d’agir de la sorte. Quelques heures plus tard, par peur de mauvaise publicité la Ligue a décidé d’autoriser et de débloquer le contenu à titre exceptionnel en précisant qu’elle n’avait pas été informée ni par le PSG ni par l’ONU. Elle a également précisé que le content ID fonctionnait automatiquement sans qu’il y ait besoin d’une intervention directe de l’ayant droit. Le contenu aurait donc selon elle été bloqué automatiquement sans qu’elle ne s’en rende compte.
Des mécanismes de blocage efficaces mais auxquels pas tout le monde à accès
Mais l’argumentation de la Ligue semble un peu bancale aux vus du fonctionnement de cet outil. Tout d’abord il faut préciser que pas tout le monde est éligible à l’utilisation du Content ID, plusieurs critères sont à remplir. Il faut que le candidat ait un besoin réel de l‘outil c’est à dire qu’il doit prouver qu’il a des droits d’auteur sur le contenu pour lequel il contrôle les droits exclusifs. Si après cette étape de sélection il est autorisé à utiliser le service le candidat doit signer un accord dans lequel il indique que seuls les contenus disposant de droits exclusifs peuvent être utilisés en tant que référence.
Ensuite l’outil fera correspondre le contenu de référence de l’ayant droit avec chaque vidéo mise en ligne sur Youtube. Les titulaires des droits d’auteurs pourront alors bloquer la vidéo qu’ils leur parait violer leur droit d’auteur. En effet, seuls les titulaires de ces droit peuvent décider si leur oeuvre originale peut être réutilisée par des tiers et en général ils autorisent la diffusion d’extraits de leurs oeuvres ou de leur oeuvre intégrale en échange de la diffusion d’annonce sur celle-ci. Cependant, il arrive que les auteurs ne souhaitent pas voir leur oeuvres réutilisées dans ce cas le mécanisme peut jouer et ils peuvent soit bloquer la vidéo dans le monde entier ou dans certains pays, soit désactiver le son de la vidéo, soit bloquer la vidéo sur certaines plates formes.
Ici, pour la vidéo de l’ONU c’est ce qui s’est produit, lorsque les « drones de Youtube » ont détectés des images du match la vidéo à été bloquée. On ne sait pas si vraiment c’est le mécanisme automatique qui a agit ou bien si la vidéo à été volontairement bloquée par la Ligue qui s’est ravisée peu après, suite au tolet que cela a provoqué. Il faudrait surement pencher vers la première option. Ce qui est sur c’est que cet outil est très efficace pour repérer les vidéos protégées par le droit d’auteur mais il connait de nombreuses limites.
Le content ID un outil pouvant porter atteinte à la liberté d’expression
En effet, le blocage de cette vidéo à but humanitaire est un bel exemple des dérives que peuvent provoquer les mécanismes de détection et de retrait automatique. Ce n’est pas la première fois qu’ils bloquent un contenu qui ne devrait pas l’être. En 2013 et 2014 un film documentaire et un film d’animation qui étaient pourtant sous la licence Creative Commons ont été victimes de blocages.
Le problème est que les dérapages sont fréquents, c’est à dire qu’il arrive bien souvent que des contenus licites soient bloqués par l’outil qui n’a pas parfois le discernement suffisant pour distinguer ce qui ne pose pas de problème des contenus illicites. Morizon, un internaute ayant l’habitude de détourner les images de films en modifiant les dialogues en a été victime et à vu sa vidéo bloquée par le mécanisme. Dernièrement c’est une vidéo de Green Peace dénonçant la pollution faite par Shell qui a été bloquée tout comme une vidéo de la Nasa ne posant aucun problème.
Or, il faut garder à l’esprit le fait que si les auteurs ont des droits le public en a aussi. Il faut également que la liberté d’expression soit respectée. Cependant ces « drones d’internet » peuvent porter atteinte à la liberté d’expression et apporte un risque de censure des contenus sur internet. En effet, ces mécanismes de blocages automatiques remplacent la loi quant à la responsabilité de l’hébergeur et en réalité ce sont arbitrairement les ayant droits qui décident ou non de bloquer le contenu. Cela signifie que par exemple une parodie ou une caricature, qui sont des exceptions au droit d’auteur, peuvent être bloquées par les ayants droits privant ainsi le public d’une vidéo à laquelle il devrait avoir accès. En réalité on peut apparenter cela à une sorte de police privée qui n’agit pas sous le contrôle du juge c’est en cela que c’est arbitraire, car les titulaires des droits d’auteurs essayeront en général de bloquer la plus de vidéos possible afin que leur diffusion ne porte pas atteinte à leurs intérêts économiques. Il existe la procédure de contre-notification qui permet en quelque sorte de « faire appel » de la décision de bloquage, cependant il s’agit d’une procédure trop lourde et dont l’impartialité ne semble pas totale puisque certains ayants droits puissants, tels qu’Universal, ont obtenus des faveurs leur permettant de bloquer les contenus qu’ils voulaient.
Malgré ces problèmes le flot de contenus arrivant sur internet devenant quasiment incontrôlable ces systèmes de blocage sont pris en exemple en France. On retrouve ces systèmes qui sont présentés comme des solutions de lutte contre piratage dans le rapport Lescure, par la HADOPI ou encore par le CSA lorsqu’il parle de l’autorégulation des plates formes. Il est évident que ces outils permettraient de lutter contre le piratage et protègent le droit d’auteur mais est-il réellement raisonnable de s’en remettre à un contrôle automatisée dans des domaines où les nuances ont parfois du mal à être distinguées par l’homme ? On risque en effet avec ces systèmes, s’ils restent comme tels, d’aboutir à un internet où il y aurait moins de contenu puisque beaucoup de choses seraient censurées. Cela serait peut être même un retour en arrière pour la liberté d’expression et pour l’intérêt même d’internet qui est celui d’avoir accès à un maximum de contenu afin que n’importe qui ait accès à la culture, à la connaissance et au savoir.
Afin d’obtenir un équilibre entre les ayants droits et les droits des internautes il faudrait peut être que le retrait du contenu soit soumis au contrôle du juge dans le cadre d’une procédure contradictoire afin que cela ne soit pas les ayants droits qui fixent l’étendue de la liberté d’expression.
Sources :
REES (M.), « Une vidéo contre la malnutrition des enfants bloquée un temps sur YouTube », nextinpact.com, mis en ligne le 16 février 2015, consulté le 17 février 2015,<http://www.nextinpact.com/news/93078-une-video-contre-malnutrition-enfants-bloquee-temps-sur-youtube.htm>
CHAMPEAU (G.), «Droit d’auteur : une “exception” pour Zlatan Ibrahimovic sur YouTube », numerama.com, mis en ligne le 16 février 2015, consulté le 20 février 2015, <http://www.numerama.com/magazine/32236-droit-d-auteur-une-exception-pour-zlatan-ibrahimovic-sur-youtube.html>
ANONYME (J.), « Mozinor dénonce le robocopyright de YouTube dans un détournement », numerama.com, mis en ligne le 11 septembre 2014, consulté le 22 février 2015, <http://www.numerama.com/magazine/30529-mozinor-denonce-le-robocopyright-de-youtube-dans-un-detournement.html>