Les autoportraits du singe « Naruto » ressurgissent dans l’actualité, le récit peut prêter à sourire et aurait pu passer inaperçu si les désormais fameux clichés n’avaient pas provoqué un engouement planétaire débouchant sur un conflit juridique inédit autour de la question de savoir qui en est l’auteur. Les faits initiaux remontent à 2011 et pourtant 4 ans après, la célèbre association de défense des animaux PETA connue pour ses campagnes chocs relance le débat en déposant une plainte auprès d’un tribunal fédéral américain le 21 septembre 2015 au nom du singe afin que ce dernier soit reconnu comme « l’auteur et propriétaire des photographies ». Subséquemment, PETA demande à gérer tous les revenus générés par les clichés au profit de l’animal.
I. Le refus d’une reconnaissance des droits d’auteur au profit du photographe
Le phénomène très en vogue des « selfies » qui consiste à prendre des photographies de soi-même à bout de bras ou de perche s’est propagé au delà des frontières. Géographiques mais aussi et de façon plus inattendue de celles de l’être humain. Le portrait autocentré fait une apparition tonitruante dans le milieu animalier réinterrogeant ainsi les conditions de titularité des droits d’auteur.
Revenons tout d’abord sur les faits à l’origine de cette affaire qui continue de soulever des questions. Tout commence lors d’un voyage de David J. Slater photographe britannique spécialisé dans les images de nature. Pour la réalisation d’un reportage, il se rend dans le parc national de Sulawesi en Indonésie au cours duquel il s’absente quelques instants en laissant un de ses appareils photo sans surveillance. A son retour il découvre non sans surprise qu’un macaque à crête s’est emparé de son matériel et a réalisé par inadvertance des centaines de clichés dont certains cadrent son visage tout sourire à la manière des « selfies ». Le photographe va ensuite publier quelques autoportraits du singe dans un livre intitulé « Wildlife Personalities » édité par l’entreprise « Blurb ». Une bataille juridique s’engage suite à la reprise de ces clichés par la société Wikimedia qui gère Wikipédia. La photo prise par l’animal illustre un article consacré aux macaques à crête et a été publié sous licence Wikipédia commons intégrant une collection de 22 millions d’images libres de droits. Ces photographies sont dès lors réutilisables gratuitement par n’importe qui sans devoir demander l’autorisation ni devoir verser de rémunération à leurs auteurs. David J. Slater estime qu’il est titulaire des droits sur les photographies du singe, il demande alors de façon répétée à Wikimedia le retrait des clichés publiés sans sa permission. Cependant, l’encyclopédie en ligne refuse arguant le fait que le singe a appuyé sur le bouton, par conséquent le photographe ne peut en aucun cas être l’auteur de ces photographies.
Mais David J. Slater lésé par le manque à gagner depuis le succès mondial qu’ont connu les images du singe va invoquer tout d’abord des arguments d’ordre économique : coût du voyage, propriété du matériel et installation. Cependant le droit d’auteur en théorie ne se préoccupe pas des investissements financiers qui ont été fait pour la réalisation d’une œuvre. Toutefois, il évoque également une autre série d’arguments plus juridique: son apport au résultat final de la photographie par les réglages de l’appareil photo et les retouches.
Pour sa défense Wikimedia évoque le fait que «pour réclamer les droits, le photographe devrait avoir apporté une contribution significative au cliché final, et, là encore, il ne serait pas propriétaire de la photographie initiale» mais également le fait que la loi américaine dans l’US Copyright Office policy – Copyright Compendium § 202.02[b] ne prévoit pas d’attribution automatique de droits d’auteurs aux auteurs non-humains « le terme droit d’auteur implique que, pour qu’elle soit soumise à de tels droits, une œuvre doit avoir une origine humaine. Des matériaux produits par la seule nature, par des plantes ou des animaux, ne sont pas soumises au droit d’auteur ».
De ce fait, pour l’encyclopédie en ligne il est évident que « personne ne pouvait prétendre à la paternité juridique de cette image et elle est donc tombée dans le domaine public ».
En droit français l’œuvre de l’esprit doit être une création intellectuelle originale s’incarnant dans une forme. Il s’agit donc du résultat d’une activité créatrice intellectuelle qui renvoie à l’intervention humaine avec la conscience d’un résultat à atteindre en vue d’éventuellement le communiquer. L’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle énonce que les œuvres photographiques peuvent être considérées comme étant des œuvres de l’esprit à condition qu’elles soient originales. Or dans la photographie litigieuse, le photographe n’a pas effectué d’apport personnel et original au travers de choix artistiques délibérés. La jurisprudence française caractérise l’originalité par la liberté de choix du photographe portant notamment sur l’angle de prise de vue, le cadrage, l’éclairage et la lumière, ou encore la mise en scène. Or David J. Slater n’a rien choisi de tout cela, il n’a même fait le choix du sujet photographié. Ces captures sont le fruit du pur hasard, le photographe qui s’en prétend auteur ne pourrait pas identifier les éléments traduisant sa personnalité (TGI Paris, 3ème ch., 4ème section, 11 septembre 2014).
On pourrait imaginer que s’il avait donné des instructions de mise en scène, il aurait pu revendiquer le statut de coauteur au même titre que Guino qui réalisait des sculptures en suivant les instructions de Renoir atteint d’arthrose (Guino c/ Renoir Cass. Civ., 13 novembre 1973). Il est tout de même invraisemblable que le singe eut été en capacité de comprendre les directives données par le photographe.
Ainsi, c’est en toute logique que l’US Copyright office chargé de réguler les questions de copyright aux Etats-Unis a tranché en faveur de Wikimedia le 22 décembre 2014.
II. L’improbable reconnaissance des droits d’auteur au profit du singe
Dans le règlement de l’U.S. Copyright Office de 2014 (Compendium of U.S. Copyright Office Practices, § 313.2), il est précisé que les œuvres produites par la nature, des animaux ou des plantes ne seront plus sous copyright et appartiendront donc au domaine public. L’organisme cite l’exemple d’ « une photo prise par un singe » en référence à cette affaire, « une peinture réalisée par un éléphant » ou encore des objets façonnés par l’action de l’eau, de l’érosion ou du temps, comme du bois flotté ou encore des marques sur des rochers. S’il apparaît naturel que le créateur d’une œuvre puisse en tirer profit, dans ces cas particuliers où la « main » de l’homme n’est pas intervenue dans le processus créatif il est concevable de ne pas lui en attribuer les droits. Le Copyright Office n’a pas affirmé que le singe est l’auteur du cliché mais que personne n’a le droit de s’arroger un copyright dessus, de plus aucun animal ne peut prétendre à la paternité d’un droit d’auteur.
PETA a donc très peu de chances d’obtenir gain de cause, cependant des initiatives concernant la problématique des photographies de nature ou d’animaux et des revenus liés à leur exploitation ont vu le jour. L’association WWF a mis en place une opération début 2015 intitulée « Animal Copyrights » consistant à offrir un droit d’auteur aux animaux. La WWF a équipé des chevaux, aigles et loups d’une caméra portative afin de prendre des photographies. La célèbre ONG a ensuite vendu les clichés sur une banque d’images en mettant les animaux comme auteurs. L’argent récolté par la vente de ces images étant destinés à la protection de ces espèces animales.
Récemment, le statut des animaux a fait l’objet d’évolutions considérables puisque la France a reconnu le 28 janvier 2015 l’animal comme étant un « être vivant doué de sensibilité » (article 515-14 du venant modifier l’article 528 du Code civil), cependant ce texte vient immédiatement préciser « Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». L’évolution de cet article n’entraîne pas de véritable changement et c’est par ailleurs la critique qui a pu être formulée par les défenseurs des animaux. Ces derniers estiment que le texte est dénué de portée pratique. On ne reconnaît ici en aucun cas la personnalité juridique aux animaux qui impliquerait notamment la possibilité de contracter et d’ester en justice.
Cette action très médiatisée aura vraisemblablement pour conséquence de sensibiliser le grand public sur des impératifs de protection mais aussi de respect du monde animal et naturel, certainement pas de voir reconnaître aux animaux des droits moraux et patrimoniaux au même titre que les personnes physiques telles que définies par notre droit civil.
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