Le mardi 6 mars, le réseau social « Twitter » s’enflamme et hisse dans les « top tendances » le nom de Maître Eolas. Cet avocat-blogueur, plutôt populaire sur la plateforme grâce à ce pseudonyme, a en effet pris la décision de fermer son compte twitter après avoir été condamné par le tribunal de Nanterre pour « injure publique » et « diffamation ».
Les faits remontent à 2011, en pleine période électorale. L’Institut Pour la Justice (IPJ) créé le « pacte 2012 pour la justice » ; à travers lui, il souhaite recentrer la justice sur sa mission première de protection des citoyens. Il met donc en place un système de pétition et obtient plus de 1,5 millions de signatures. Le principe était simple : le pacte peut être signé par tous, à condition d’y indiquer son nom, son prénom ainsi qu’une adresse mail. C’est ainsi qu’un de ses nombreux abonnés demande à Maitre Eolas son avis sur ce pacte. Le « tweet » est lancé et provoque la colère de l’IPJ.
Une condamnation pour diffamation et injure publique
Maitre Eolas était connu sur la toile pour ses multiples éclairages sur des événements juridiques parfois compliqués qui permettaient à de nombreux juristes aussi bien professionnels qu’amateurs d’en comprendre les principes importants. Grâce à une pédagogie propre à sa personnalité, que l’on pourrait qualifier de « vulgarisatrice », cet avocat 2.0 était suivi par près de 186.000 personnes. Que ce soit sur son compte Twitter ou sur son blog, il garde ce pseudo de « Maitre Eolas », puisque particulièrement attaché à son anonymat. L’on peut ainsi se demander si cette notoriété certaine et cet anonymat ne l’a pas poussé à franchir des limites qu’il connait pourtant, eu égard à la déontologie professionnelle à laquelle il est soumis.
Ainsi, l’IPJ créé donc ce « pacte 2012 pour la justice » et l’on constate plus d’1,5 millions de signatures. Il se demande alors si cette pétition reflète la réalité ou s’il est possible pour une même personne de la signer à plusieurs reprises, ce qui remettrait considérablement en cause son impact. Il s’avère que n’importe quel nom et n’importe quelle adresse mail étaient autorisés, sans aucune vérification. Durant son procès, Maitre Eolas raconte même que certains l’ont contacté pour lui affirmer avoir : « signé la pétition sous le nom de Napoléon Ier. »
C’est parce qu’il a écrit : « Compteur bidon des signatures de l’IPJ, preuve : voici la courbe du nombre de signatures ce jour entre 18h42 et 19h06 » accompagné d’un graphique pour appuyer ses propos, qu’il est aujourd’hui condamné pour diffamation. D’après la loi sur la liberté de la presse du 29 Juillet 1881, prise en son article 29, la diffamation est : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ». C’est la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 Juin 2004, qui affirme que les allégations proférées sur internet rentrent dans le champ d’application de la loi de 1981.
Si la défense prône le fait que le mot « bidon » ne signifiait pas « bidonné » et qu’ainsi, cela n’impliquait pas un rôle d’acteur de la part de l’IPJ et donc que ça ne s’adressait pas directement à l’institut, la frontière entre les deux notions semblent bien trop faibles pour la cour. Ainsi, le tribunal correctionnel de Nanterres estime que « l’association des termes ‘compteur bidon’ et ‘manipulation’ prêtait une volonté de truquer et de mentir à l’IPJ »
A cela s’ajoute une condamnation pour injure publique qui est considérée par la même loi sur la liberté de la presse comme : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». C’est en effet à la suite d’une réponse donnée à l’un de ses abonnés que Maitre Eolas tweet : « Que je me torcherais bien avec l’institut pour la Justice si je n’avais pas peur de salir mon caca ». Son avocat plaide alors l’excuse de provocation mais cela ne suffit pas à convaincre le tribunal qui le condamne donc partiellement pour ses « propos scatologiques », en l’absence d’« éléments probants pour faire valoir l’excuse de provocation ». Aujourd’hui, cet avocat du net a décidé, de lui même, de clôturer son compte sans aucun message explicatif mais aussi de faire appel de sa condamnation.
L’on peut aisément se demander si la sanction aurait été identique pour une personne n’ayant aucune ou peu de notoriété mais qui aurait utilisé les mêmes mots sur le réseau social. D’ailleurs, est-ce que l’IPJ aurait prit la peine de la poursuivre ? Sur Twitter, en 2015, il est comptabilisé plus de 7 millions d’utilisateurs français et plus de 500 millions de tweets envoyés chaque jour. Est-il donc matériellement possible de modérer l’ensemble des contenus postés sur ce réseau social ? Cela n’entacherait pas son principe phare qu’est la liberté d’expression ?
Une liberté d’expression ultra-dominante sur les réseaux sociaux
En France, la liberté d’expression est un principe constitutionnel énoncé par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. En se basant sur le droit américain, Twitter se voulait être la référence en matière de liberté d’expression et la considérait comme absolue. Pour autant, son exportation à l’international l’oblige à s’adapter aux nouveaux marchés et à faire évoluer ses principes pour se plier aux normes nationales.
On peut facilement l’affirmer : la liberté d’expression est démultipliée sur internet. En effet, il est facile de donner son avis sur certains réseaux sociaux et certains médias nous invitent même à le faire. Aujourd’hui, même le gouvernement attend l’avis de son peuple par le biais d’internet avec la loi pour la République Numérique qui se veut ouverte à toute proposition émanent du citoyen. N’importe qui peut donner son avis de la manière dont il le souhaite.
Il est important de souligner que dans la politique de confidentialité de Twitter, la première phrase est rédigée de la sorte : « ce que vous dites sur les Services Twitter est visible partout dans le monde instantanément. Vous êtes ce que vous tweetez ! ». Quand bien même il reste la possibilité de rendre son compte privé, l’ensemble des tweets restent donc à caractère public. Alors, peut-on tout dire ?
Si effectuer un contrôle a priori des tweets envoyés par ses utilisateurs semble impossible eu égard à leurs nombres trop importants mais aussi parce qu’en inadéquation avec l’essence même de Twitter, un contrôle a posteriori reste envisageable et ce fut le cas, en l’espèce, avec Maitre Eolas. En France, le tournant sur la liberté d’expression a eu lieu en Octobre 2012 ; à cette époque, le « hashtag » ou « mot-clef » en français #unbonjuif se hisse en top tendance, c’est à dire qu’il fait l’objet de nombreux tweets de la part des utilisateurs. Cependant l’on a constaté que plusieurs d’entre eux avaient un caractère antisémite. C’est ainsi que plusieurs associations assignent Twitter en justice afin d’obtenir la réelle identité de ceux ayant une responsabilité dans l’affaire. Si le réseau social refuse dans un premier temps, la cour d’appel de Paris, en Juin 2013, confirme son obligation de communiquer les informations demandées. La même année, et dans une volonté de s’adapter aux normes de plusieurs pays, il prévoit la possibilité de rendre invisible les comptes ne respectant pas la loi ; elle prend la décision également de suspendre arbitrairement les comptes détenus par des organisations terroristes.
Alors, le réseau social Twitter, créé en Amérique et voulant faire de la liberté d’expression son leitmotiv principal, doit-il changer afin de s’adapter aux lois françaises qui souhaitent développer un véritable contrôle des tweets de ses utilisateurs ?
Sources
ANONYME, « Condamné pour « injure publique » et « diffamation », Maître Eolas ferme son compte Twitter », lemonde.fr, mis en ligne le 6 octobre 2015, consulté le 10 octobre 2015, http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/10/06/condamne-pour-injure-publique-et-diffamation-maitre-eolas-ferme-son-compte-twitter_4783626_1653578.html
ANONYME, « Condamné pour injure, l’avocat blogueur Maître Eolas ferme son compte Twitter », lexpress.fr, mis en ligne le 6 octobre 2015, consulté le 10 octobre 2015, http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/l-avocat-blogueur-maitre-eolas-ferme-son-compte-twitter-apres-sa-condamnation-pour-injure_1723001.html
LICOURT (J), « Avec le temps, Twitter est de moins en moins strict avec la liberté d’expression », lefigaro.fr, mis en ligne le 22 janvier 2014, consulté le 10 octobre 2015, http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/01/22/32001-20140122ARTFIG00548-avec-le-temps-twitter-est-de-moins-en-moins-strict-avec-la-liberte-d-expression.php
PROVOST (L), « #UnBonJuif: le hashtag antisémite de retour sur Twitter mais les choses ont changé », huffingtonpost.fr, mis en ligne le 15 mai 2014, consulté le 11 octobre 2015, http://www.huffingtonpost.fr/2014/05/15/un-bon-juif-twitter-uejf-hashtag-signalement_n_5328794.html