« Toute personne a le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». On pourrait alors penser que ce droit quasi-absolu, jouit d’une immunité parfaite.
En effet le principe du droit au respect de la vie privée et familiale est le garant de toute démocratie moderne. Or, l’autorisation d’une ingérence étatique apporte certaines limites à sa portée et non des moindres.C’est sans grand étonnement que l’association confraternelle de presse a attaqué samedi 3 octobre 2015 la loi renseignement devant la Cour européenne de justice, craignant une mise en péril de leur profession.Ce texte, promulgué le 24 juillet de cette année, vise notamment l’adoption de mesures de surveillance secrètes. Elle vise également d’autres dispositifs, comme les logiciels espions, les écoutes téléphoniques ou les très contestées « boites noires ». Ces dernières, avec la contrainte des opérateurs téléphoniques, permettraient une collecte très large d’informations sans filtrage spécifique et mettraient fin selon les journalistes au secret des sources.Les médias s’inquiètent en effet de l’adoption de plusieurs dispositions permettant la mise en place d’une surveillance disproportionnée et du développement d’un contrôle abusif mis en place par l’exécutif. Dès lors, au nom de la sécurité publique, une ingérence de l’Etat serait possible, permettant ainsi de contrer le droit au respect de la vie privée. Mais encore faut-il que ce contournement soit fait dans l’intérêt public et « adapté et proportionné aux objectifs poursuivis par l’autorité publique ». Un régime d’exception au respect de la vie privée est donc consacré par l’article L-801-1 de la loi renseignement copiant ainsi la structure consacrée à l’article 8 de la CEDH.
La sécurité et la protection des citoyens sont donc des thèmes d’actualité phares depuis les attentats de Charlie Hebdo en janvier dernier. La menace imminente sur le territoire a mis la surveillance et la sécurité en tête des préoccupations de L’Etat français. Les problématiques sont les suivantes : comment justifier une telle ingérence ? Quelles en sont les limites ? Comment contrôler l’action de l’Etat ?
C’est à travers ces questionnements dictés par un idéal démocratique plus transparent que l’affaire va se porter devant la cour.
Le renseignement une prérogative étatique
Hobbes a écrit un jour « Gouverner c’est faire croire », reprit plus tard par Winston Churchill. Illusion d’un Etat au service du citoyen ?Il faut évidement ici revenir sur un principe essentiel à savoir celui de la hiérarchisation des droits. Le droit au respect de la vie privée peut-il disparaitre au profit de l’intérêt général ? Un principe peut-il transiger au dépit d’un autre ?La loi renseignement a été adoptée par 80 % des parlementaires et ses dispositions ont majoritairement été validées par le Conseil constitutionnel qui ne rejeta que trois dispositions, notamment celle relative à la surveillance internationale.Le rapport d’information de l’Assemblée nationale a par ailleurs consacré quelques propos liminaires à l’historique du renseignement en France.Dans une France qui aspire à la culture du silence sur ses prérogatives régaliennes, l’Assemblée nationale parle même « d’une culture politique par nécessité secrète ». Elle en arrive aux questionnement suivants : quelle est la vocation de l’appareil étatique si ce n’est que de veiller à la sécurité du territoire tout en préservant les libertés individuelles ? Elle va même plus loin et en déduit que cette loi préserve en réalité la démocratie.Ce texte conduit nécessairement a « une surveillance de masse », confirme Monsieur Patrice Spinoni, auteur de la requête. Mais alors dans quel cadre juridique s’inscrit le développement de ces techniques d’investigations ?Tout d’abord les finalités sont énumérés par la loi : elles sont aux nombres de sept et autorisent les écoutes administratives dans le cadre de la préservation de la sécurité nationale, du terrorisme, de la prévention d’armes massives, pour ne citer qu’elles. Elles obéissent par la suite à une procédure très spécifique. En effet, les services de renseignement devront bénéficier de l’accord écrit du Premier ministre ainsi que de la Commission nationale du contrôle des techniques de renseignement. Une procédure d’urgence pourra cependant permettre de se passer au préalable de l’avis de la commission mais celle-ci ne pourra fonctionner au regard des magistrats, avocats, parlementaires et journalistes, qui eux bénéficient d’une protection supplémentaire.
Principe du secret des sources
Ce principe s’inscrit dans la loi du 29 juillet 1881 et la CEDH avait rappelé qu’il ne serait possible d’y déroger qu’à titre exceptionnel.Cette dérogation est au coeur de toutes les polémiques aujourd’hui. En effet, l’arsenal juridique déployé au nom de la sécurité nationale créé une révolte au sein des professions juridiques. Le bâtonnier de Paris a attaqué le 8 octobre 2015 la loi renseignement devant la CEDH, considérant a son tour le danger du secret professionnel. Le Conseil constitutionnel rappelle que le secret des sources n’est pas protégé spécifiquement en droit interne, seul la CEDH en faisant un principe à part entière.En revanche, la loi prévoit une dérogation pour certaines professions. Les journalistes bénéficient, au même titre que les avocats, d’une protection de leurs données dans le cadre d’une préservation du secret des sources.Les médias s’interrogent au sujet de la limite de cette loi, et notamment concernant les fameux dispositifs des boites noires qui abordent un flux de contenu tel qu’ils ne distinguent pas la provenance.Un journaliste soupçonné d’un des 7 dispositifs mis en place par la loi renseignement ne pourra pas, selon la loi, voir ses données professionnelles fouillées mais seulement ses données personnelles.Plus exactement les mails personnels pourront être aussi décortiqués mais pas les mails professionnels. Cette disposition reste très critiquée par la profession. Les frontières entre communications privées et professionnelles restent floues, si bien que cela ne garanti pas la protection des sources et des informations des journalistes.
La crainte de l’adoption d’une loi liberticide fait rage. La volonté d’une vérification de ces pratiques par un juge pénal ou des libertés fait partie des voeux des professions juridiques, qui regrettent que seule l’administration ait le contrôle sur cette loi. Reste à savoir si la CEDH invalidera cette disposition au nom de la liberté d’informer…
Sources :
UROVAS Jj., « Conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement »,assemblée nationale.fr, mis en ligne le 14 mai 2013, consulté le 20 octobre 2015 < http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i1022.pdf>
FOLLOROU J., « Comment l’Etat a étendu le renseignement au mépris de la loi » lemonde.fr, mis en ligne le 11 septembre 2015, consulté le 25 octobre 2015 < http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/09/11/comment-l-etat-a-etendu-le-renseignement-au-mepris-de-la-loi_4752857_3224.html >
ANONYME., « Les journalistes doivent être mis a part »,tempsreel.nouvelobs.com mis en le 13 avril 2015 consulté le 22 octobre 2015< http://tempsreel.nouvelobs.com/medias/20150413.OBS7045/loi-sur-le-renseignement-les-journalistes-doivent-etre-mis-a-part.htm>