Le 30 avril 1945, Hitler se donnait la mort alors les troupes soviétiques pénétraient dans Berlin, marquant ainsi l’effondrement du Troisième Reich. 70 ans plus tard, le spectre des atrocités nazies refait surface. A partir du 1er janvier 2016, Mein Kampf (Mon Combat) entrera dans le domaine public. L’un des symboles les plus importants de l’idéologie nazie pourra alors être librement publié sans l’autorisation préalable du titulaire des droits. La loi allemande sur le droit d’auteur du 9 septembre 1965 dispose en effet que le droit d’exploitation d’une œuvre s’éteint 70 ans après la disparition de son auteur. En France, des dispositions analogues sont prévues à l’article L123-1 du Code la Propriété Intellectuelle.
Par ailleurs, l’annonce d’une prochaine réédition chez Fayard relance le débat autour de cet ouvrage controversé et des dangers que celui-ci serait susceptible d’engendrer.
La réalisation d’une version annotée en Allemagne face à la propagation de discours haineux
Suite au décès du Führer, les droits d’auteur de Mein Kampf furent transférés par les Alliés au land de Bavière, état fédéré de la République Fédérale d’Allemagne. Fondamentalement, la cession des droits avait pour objectif d’endiguer la propagation du national-socialisme alors que des millions d’exemplaires étaient toujours en circulation dans le pays. Depuis, le gouvernement régional bavarois s’est résolument employé à limiter toute nouvelle publication ou réédition du manifeste antisémite.
En 1979, la Cour Fédérale de Justice allemande a rendu une décision de principe sur la question. Au-delà des considérations tenant au droit de propriété intellectuelle, les juges ont affirmé que toute publication, et donc a fortiori, toute commercialisation de l’ouvrage sont formellement interdites. Ce cadre juridique particulièrement strict connait toutefois des atténuations. Ainsi, à titre exceptionnel, est tolérée la seule publication d’extraits à visée scientifique.
Pour autant, outre-Rhin, le traumatisme nazi est profond et le sujet fait, aujourd’hui encore, l’objet d’une importante polémique.
En effet, en 2012, un groupe d’intellectuels allemands appartenant à l’Institut d’Histoire contemporaine de Munich s’est donné pour mission de publier l’ouvrage dans une version intégrale, augmentée de commentaires et d’analyses basés sur de nombreux documents d’époque. Cette réédition annotée permettrait ainsi d’anticiper le passage de l’œuvre dans le domaine public afin de prévenir d’éventuels débordements, et en particulier la propagation de discours haineux qui en résulterait. En replaçant le manuscrit dans le contexte historique qui l’a vu naître, elle participerait à sa démystification et contribuerait à en réduire la portée idéologique.
Cette initiative scientifique a, dans un premier temps, reçu l’approbation du gouvernement bavarois avant que celui-ci ne revienne sur sa décision face aux craintes exprimées par de nombreuses associations juives à travers le pays. Une nouvelle publication reviendrait, selon elles, à attiser l’antisémitisme de certains groupes extrémistes et présenterait donc un réel danger. Finalement alerté de la prolifération inquiétante d’éditions intégrales non autorisées de Mein Kampf sur internet, l’Etat de Bavière a officiellement autorisé cette réédition en février 2015. Celle-ci devrait voir le jour dans l’année à venir.
La délicate conciliation entre intérêt historique et respect de l’ordre public
En France, la position adoptée à l’égard de la diffusion de l’ouvrage est relativement différente.
Depuis la fin de la Guerre, Mein Kampf continue d’être édité, dans de faibles proportions, la commercialisation n’ayant pas été interdite par les pouvoirs publics. Pour autant, cela ne signifie pas que celle-ci est libre.
En 1979, le Tribunal de Grande Instance de Versailles puis la Cour d’Appel de Paris sont venus encadrer strictement la vente du manifeste. En l’espèce, une action avait été intentée par la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) à l’encontre des Nouvelles Éditions Latines, éditeur historique de l’ouvrage, afin d’interdire la réédition de Mein Kampf. A cet égard, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, modifiée par la loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, vient en effet sanctionner à son article 24, la publication d’écrits provoquant « à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard de personnes ou de groupe de personnes à raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La LICRA faisait valoir que l’ouvrage d’Hitler, de par son contenu haineux, constituait un tel écrit et donc que sa publication devait être interdite.
Néanmoins, cette demande fut rejetée par les juges qui privilégièrent la liberté d’expression en se fondant sur l’intérêt historique qu’il représentait, précisant qu’il s’agissait d’un « document historique indispensable pour la connaissance de l’époque contemporaine ».
Toutefois, en raison de ce même contenu, les juges durent concilier la liberté d’expression avec les impératifs de respect de l’ordre public. En conséquence, la publication de Mein Kampf doit nécessairement s’accompagner d’un avertissement au lecteur rappelant les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 qui répriment l’apologie de crimes contre l’humanité. L’absence d’atteinte à l’ordre public est donc conditionnée par un rappel de la norme applicable. L’objectif étant, là encore, de donner accès au texte tout en prenant assez de recul pour en neutraliser la portée haineuse. Néanmoins, cette contrainte hautement symbolique ne vise que l’éditeur partie au litige.
Si ces restrictions ont été pleinement appliquées par la suite, le débat sur l’interdiction ou non de l’ouvrage se poursuivit. En 1998, le ministre de l’Intérieur de l’époque eu l’occasion de réaffirmer la position des pouvoirs publics sur le sujet alors qui lui avait été demandé de suspendre la publication de l’ouvrage en vertu du pouvoir de police spéciale qui lui est accordé par la loi du 16 juillet 1949. Le ministre avait alors répondu qu’il n’interdirait pas la publication en s’alignant sur la décision des juges de la Cour d’Appel.
La réédition polémique de Mein Kampf en France
Suivant l’exemple de l’Institut d’Histoire contemporaine de Munich, les éditions Fayard ont pris l’initiative de publier Mein Kampf dans une version annotée et retraduite. L’annonce de ce projet fut propice à relancer le débat qui n’a cessé de durer depuis la parution du livre à la fin des années 1920. A l’instar d’associations juives en Allemagne, certaines associations françaises comme Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) ont d’ores et déjà manifesté leurs inquiétudes à l’aube de l’entrée de Mein Kampf dans le domaine public, craignant la propagation, voire la banalisation d’un discours antisémite.
Mein Kampf a toujours divisé et divise encore. En 2013 déjà, un libraire avait retiré l’ouvrage de ses rayons suite à diverses pressions politiques. Quelques mois plus tard, le livre fut de nouveau retiré de la vente dans une grande enseigne. Le débat avait également gagné les réseaux sociaux alors qu’un utilisateur de Facebook s’était vu recommander la lecture de l’ouvrage en raison de ses goûts littéraires par association de mots-clés. L’utilisateur, choqué, s’était adressé aux représentants du réseau en France afin que le livre soit supprimé de la liste de recommandations, ce qui avait été immédiatement fait par Facebook.
La place de Mein Kampf dans les librairies questionne autant qu’elle dérange. Pour autant, la réédition annotée du pamphlet permettrait, comme en Allemagne, de mettre en perspective le texte avec l’Histoire. Par ailleurs, les débats autour de cette réédition semblent d’autant plus stériles que les copies de l’ouvrage sont légions sur internet, parfois même sans aucun avertissement au lecteur, en quelques clics.
Dans ce contexte, une association, Initiative de Prévention de la Haine, a été créée pour anticiper le passage de l’ouvrage dans le domaine public. Cette démarche citoyenne vise à empêcher la censure du livre tout en élaborant des garanties contre le développement d’un discours haineux basé sur le texte, en particulier sur internet. Regroupant, entre autres, des juristes et des historiens, cette association participe activement à l’élaboration de dispositifs d’accompagnement à la lecture de Mein Kampf. Parmi ces mesures, il est proposé d’encourager les éditeurs de presse à instaurer une signalétique propre aux contenus incitant à la haine aussi bien pour le format papier que numérique. Plus largement, l’association préconise la création d’un organisme, l’observatoire de la prévention de la haine, dont la mission première serait de lutter contre la diffusion de messages haineux, notamment issus de l’œuvre d’Hitler et de faire des propositions visant à lutter plus largement contre la haine sur internet.
Sources :
ANONYME, « Une version critque de Mein Kampf va être rééditée en France », lemonde.fr, publié le 14 octobre 2015, consulté le 17 octobre 2015, http://www.lemonde.fr/livres/article/2015/10/14/une-version-critique-de-mein-kampf-va-etre-reeditee-en-france_4789393_3260.html
DE LARMINAT (A.), « Mein Kampf sera bien publié par Fayard en 2016 », le figaro.fr, publié le 13 octobre 2015, consulté le 20 octobre 2015 http://www.lefigaro.fr/livres/2015/10/13/03005-20151013ARTFIG00352–mein-kampf-sera-bien-publie-par-fayard-en-2016.php
DUPUY-BUSSON (S.), « Le traitement judiciaire et administratif de l’ouvrage Mein Kampf depuis 1945 à l’aube de son entrée dans le domaine public », lextenso.fr, publié le 15 octobre 2015, consulté le 20 octobre 2015, Gazette du Palais n°288, p.4
MBONGO (P.), « Que faut-il faire de Mein Kampf ? », huffingtonpost.fr, publié le 29 septembre 2015, consulté le 16 octobre 2015, http://www.huffingtonpost.fr/pascal-mbongo/mein-kampf-domaine-public_b_8177904.html