Dans une période de crise de l’industrie musicale, a été signé à Paris, le 2 octobre dernier, le protocole d’accord pour un développement équitable de la musique en ligne et ce en présence de différents acteurs du secteur de la musique, que ce soit des producteurs, des syndicats ou des plateformes d’écoute de musique en ligne, ainsi que de la ministre de la Culture et de la Communication, Madame Fleur Pellerin.
La signature de ce protocole marque l’achèvement de longs mois de travail, tout particulièrement pour Marc Schwartz, conseiller référendaire à la cour des comptes, qui était chargé d’une mission préalable de conciliation entre les différents professionnels du secteur. Cette mission avait pour fonction de permettre une meilleure répartition de la richesse créée par le secteur du streaming musical, secteur en pleine croissance économique.
A noter que Marc Schwartz n’en est pas à son premier essai en matière de conciliation, puisqu’en 2013, il avait déjà été chargé, par le président de la République, de la médiation dans le conflit opposant Google et les représentants d’éditeurs de presse français, mission qui s’était conclue par un succès.
Ce protocole avait donc toutes les chances de son côté, notamment au regard des objectifs poursuivis. Il subsiste toutefois de réels doutes quant à la force de ce protocole.
• Des objectifs démontrant une réelle volonté de faire évoluer le secteur.
Les objectifs de ce protocole sont au nombre de sept :
– Soutenir le développement de l’offre musicale légale.
– Etablir une plus grande transparence de l’économie de la filière musicale.
– Améliorer l’exposition de la musique et la diversité culturelle.
– Promouvoir de bonnes pratiques contractuelles par un code des usages.
– Garantir aux artistes une juste rémunération.
– Mobiliser les moyens disponibles pour faciliter la transition numérique.
– Assurer une mise en oeuvre effective et durable du protocole d’accord.
Ces différents objectifs sont la preuve d’un constat qui a été fait ces dernières années. En effet, deux phénomènes étroitement liés s’affrontent.
D’un côté, on peut noter la montée en puissance de l’écoute de titres musicaux de manière illégale, que ce soit par le biais de plateforme n’ayant pas reçu d’autorisations d’exploitations ou du téléchargement non autorisé sous la forme de peer-2-peer.
De l’autre, on peut s’apercevoir que les ventes de disques s’écroulent, avec en quinze ans, une baisse de 50% de la valeur du marché mondial du disque.
Il paraissait donc important de réagir, sur le plan étatique, pour combattre ce phénomène. Cela passe donc, entre autre, selon le protocole, par « la lutte contre le piratage avec la mise en œuvre de la charte de bonnes pratiques avec les acteurs de la publicité en ligne et la mise en place du comité de suivi avec les fournisseurs de solutions de paiement », mais également par la fixation d’une rémunération minimale pour les auteurs et artistes-interprètes.
En effet, dans un secteur d’activité que l’on peut encore considérer comme récent et avec une forte croissance économique, les plateformes de distribution de musique ont su imposer dans un premier temps leurs tarifs, bien souvent peu avantageux pour les artistes, ce qui a déplu à certains. On peut, par exemple, se rappeler des protestations de Taylor Swift quant à sa rémunération pour ses titres écoutés sur la plateforme Spotify.
Il est également important de préciser que les différents signataires du protocole ont un an pour atteindre ces objectifs, donc un laps de temps assez court, en comparaison aux objectifs fixés.
Mais finalement, si on sort de ces objectifs et donc de la théorie, est ce que ce protocole peut avoir une réelle influence sur le secteur ?
• Un protocole d’accord avec de trop grandes ambitions ?
Il est tout d’abord important de préciser que bien que les participants à cet accord sont nombreux, certains ont refusé de prendre place autour de la table. En effet, on notera l’absence de la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI), ainsi que de la Société de Perception et de Distribution des Droits des Artistes-Interprètes (SPEDIDAM), deux sociétés de gestions collectives majeurs dans le domaine musical. Ces deux sociétés ne viennent toutefois pas s’expliquer sur leur absence à la participation du projet. Cependant,, lors de son discours du 2 octobre, la ministre, Madame Fleur Pellerin, « leur laisse la possibilité de revenir autour de la table des négociations ».
Est également absent des négociations, un acteur économique français crucial du secteur de la musique en ligne, le géant du streaming Deezer. En effet, la plate-forme de streaming musical, Deezer, bien qu’ayant eu une forte expansion nationale ces dernières années, est une création française. On peut donc s’étonner de l’absence du géant au protocole. De plus, à aucun moment dans son discours, la ministre ne semble faire allusion à la plate-forme, alors même que c’est justement dans ce genre de sociétés qu’il faudrait faire appliquer les objectifs du protocole. Bien qu’en tête du marché, avec son concurrent direct, Spotify, Deezer n’en reste pas moins un mauvais élève quand vient le sujet de la rémunération des artistes.
Enfin, on peut s’interroger sur la force obligatoire de ce protocole d’accord. En effet, la rédaction de ces objectifs peut nous laisser penser qu’il ne s’agit ici que d’une obligation de moyen pour les différents signataires.
Toutefois, on peut déjà remarquer une volonté de faire appliquer ce protocole de la part du gouvernement. Un amendement du gouvernement au projet de loi «Liberté de création, architecture et patrimoine» a en effet été proposé, y inscrivant le principe de rémunération minimale des artistes-interprètes. De plus, les différents signataires relèvent que cet accord est un réel avancement sur ce sujet, puisque la France est pionnière en la matière.
Ce protocole peut donc être considéré comme bénéfique pour le secteur et la protection des artistes-interprètes. Mais, bien fondé sur des intentions louables, il faudra attendre les prochains mois, voir années, pour en voir les effets et ainsi pouvoir dire si des changements ont eu lieu, ou bien si il s’agissait d’un geste de la part du gouvernement pour calmer les artistes-interprètes de plus en plus mécontent.
ANONYME, «présentation du protocole d’accord issu de la médiation Schwartz», http://www.irma.asso.fr/IMG/pdf/20151002_accord.pdf
ANONYME, «Discours de Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la signature du protocole d’accord pour un développement équitable de la musique en ligne, à Paris, le 2 octobre 2015», http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Discours/Signature-du-protocole-d-accord-pour-un-developpement-equitable-de-la-musique-en-ligne
KAGNI (M.), «partage des revenus du streaming: signature d’un protocole d’accord “historique”.», http://www.lcp.fr/actualites/politique/175210-partage-des-revenus-du-streaming-signature-d-un-protocole-d-accord-historique