Le projet de loi « Pour une République Numérique » a été soumis, entre le 26 septembre et le 18 octobre 2015, à la consultation publique des citoyens par le biais d’internet. Ce procédé permet à la population française d’exprimer publiquement et de manière interactive, en ligne, son avis concernant les différentes dispositions du texte, mais également de faire des propositions de modifications avant que le texte ne soit envoyé au conseil d’Etat pour avis et adopté en conseil des ministres. En d’autres termes, le gouvernement laisse en apparence une large place à la parole des internautes dans l’élaboration du projet de loi « Numérique ».
Ce projet, également nommé “projet de loi numérique”, vise, rappelons-le, à moderniser la société publique en l’ouvrant largement au numérique. Il s’oriente autour de trois objectifs : une liberté accrue pour la circulation des données et du savoir, une égalité dans les droits des usagers du net et une fraternité dans l’accès au numérique (d’où son intitulé accrocheur). La mise en place de la participation des citoyens sur internet au projet de loi « Pour une République Numérique » marque ainsi l’achèvement de la volonté du gouvernement de « refonder la République pour et par le numérique »[1].
La consultation publique en ligne des citoyens sur un texte de loi en cours d’élaboration, avant l’envoi de sa version définitive devant le Parlement, est un procédé issu de la pratique, permis grâce aux évolutions technologiques du web. Elle apparaît comme une avancée particulièrement remarquable en matière de participation des citoyens à la vie politique du pays. La mise en œuvre de cette technique dans le processus d’élaboration du projet de loi « Numérique » laisse néanmoins poindre de nombreuses incertitudes quant à sa portée juridique réelle.
Un procédé démocratique numérique inédit aux enjeux louables
La consultation en ligne des citoyens sur le projet de loi « Pour une République Numérique » a débuté le 26 septembre dernier avec le lancement de la plateforme de co-création de la loi accessible depuis le site internet www.republique-numerique.fr. Celle-ci doit permettre aux internautes d’exprimer librement, sans discrimination et de manière interactive leurs remarques, leurs idées ou encore leurs propositions sur les différents articles du projet de loi. Les divers avis et propositions des contributeurs sont en effet eux-mêmes soumis au vote des internautes. La secrétaire d’Etat chargée du numérique Axelle Lemaire parle elle-même, pour illustrer le concept de la consultation publique sur le web, d’un « grand atelier politique participatif, un minecraft multiplayer »[2].
Par ce procédé, le gouvernement offre la possibilité aux citoyens de participer à l’élaboration, d’enrichir et de perfectionner le texte initial du projet de loi « Numérique ». Il est en effet prévu que les propositions émises par les contributeurs pourront, après instruction, être intégrées dans le projet de loi. En d’autres termes, la consultation publique sur internet permet au gouvernement d’établir un projet de loi participatif, qui mêle des propositions gouvernementales et citoyennes. En ce sens, elle marque une avancée considérable en matière de transparence démocratique et de participation des citoyens. C’est en effet la première fois, en France mais également en Europe, qu’un texte est soumis à la discussion publique ouverte et interactive en ligne avant son adoption en conseil des ministres.
La consultation nationale publique numérique s’inscrit dans le cadre du plan d’action nationale 2015-2017 « Pour une action publique transparente et collaborative », pris dans le cadre du partenariat pour un gouvernement ouvert[3]. L’engagement n°12 de ce plan d’action prévoit en effet la poursuite de « l’ouverture des ressources juridiques et la collaboration avec la société civile autour de l’élaboration de la loi ». Le but recherché par les gouvernants, par cette technique participative, est de bâtir une décision publique et une législation efficace en vue de revitaliser la démocratie.
Au-delà de ces nobles considérations, la mise en participation des citoyens sur le projet de loi « Pour une République Numérique » semble résulter d’une certaine prise de conscience de la part des autorités publiques, de la complexité et des enjeux considérables du numérique, qui rendent nécessaire pour l’établissement d’une norme appropriée, la concertation « d’acteurs sur le terrain, d’experts, de la société civile, des citoyens »[4]. A cet égard, notre premier ministre M. Manuel Valls se plait particulièrement à parler du projet de loi « Pour une République Numérique » comme « le fruit de l’intelligence collective »[5].
Pour autant, il n’est pas certain que ce procédé ô combien remarquable n’ait la portée juridique attendue de la part des citoyens français.
Un procédé opportun aux débouchés incertains
Il existe d’une part, et ce jusqu’à la publication du texte définitif du projet de loi « Pour une République Numérique », un doute sur la portée réelle de cette consultation publique en ligne. Le gouvernement s’est en effet engagé à intégrer au projet de loi les contributions des internautes après instruction. L’intérêt de cette instruction est de vérifier que les propositions soient envisageables sur le plan technique et juridique, mais également qu’elles respectent la philosophie du projet de loi. Il n’est alors pas impensable que de nombreuses propositions des contributeurs soient abandonnées au motif qu’elles soient incompatibles. En ce qui concerne l’apprentissage de la programmation aux élèves par exemple, un internaute qui dit travailler pour le gouvernement a publié un commentaire indiquant qu’il était peu probable que celui-ci rouvre le débat. Si aucunes des contributions n’étaient retenues sous le couvert de leur incompatibilité, la concertation des citoyens sur le net n’aura alors eu qu’une valeur symbolique, elle aura seulement donnée l’illusion au peuple d’être investi d’un pouvoir de parole dans l’établissement des normes juridiques françaises. En ce sens, la portée réelle de la consultation publique sur le projet de loi « Numérique » est pendante à la prise en considération par les autorités publiques des contributions des internautes.
Donner la parole aux internautes sur le projet de loi « Pour une République Numérique » peut d’autre part apparaître opportun pour le gouvernement. Ce projet fait en effet écho à la loi « Renseignement » adoptée cet été (le 25 juillet 2015). Cette loi, qui prévoit notamment l’installation de « boîtes noires » chez les opérateurs de télécommunications visant à détecter les comportements suspects à partir des données de connexion ou encore des dispositions sur l’utilisation de mécanismes d’écoute, de logiciels espions pour les personnes suspectées d’activités illicites, a engendré une grande polémique sur le plan de la vie privée. La concertation des internautes semble ainsi être un moyen d’atténuer la portée de la discutée (et discutable) loi « Renseignement »[6].
Le projet de loi numérique, dans lequel tout un volet est consacré à la protection de la vie privée, est en effet un texte avant tout symbolique, dont la portée est peu polémique. Il semble ainsi opportun, pour le gouvernement, de mettre en œuvre un mode de gouvernance participatif sur des sujets qui portent peu à controverse, tels que le développement de l’open data, le renforcement de la protection de la vie privée ou encore la favorisation de l’accès pour tous à internet. En ce sens, il apparaît bien trop tôt pour voir dans la mise en œuvre de la consultation publique en ligne pour le projet de loi « Numérique », l’instauration durable d’un procédé participatif à l’élaboration des normes.
Quoi qu’il en soit, la concertation des internautes sur le projet de loi « Pour une République Numérique » marque certainement les prémices d’une réflexion autour de l’instauration d’une démocratie participative numérique, que certains aiment déjà appeler « cyberdémocratie ».
[1] LEMAIRE (A.), “Discours de lancement de la consultation publique sur le projet de loi “Pour une République Numérique”, 26 septembre 2015.
[2] LEMAIRE (A.), “Discours de lancement de la consultation publique sur le projet de loi “Pour une République Numérique”, op. cit.
[3] L’Etat français a rejoint, le 24 avril 2014, le Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO). Lancé depuis 2011 par 8 pays fondateurs, ce partenariat s’attache à promouvoir l’intégrité et la transparence des gouvernements grâce à l’utilisation de l’internet.
[4] VALLS (M.), “Discours de lancement de la consultation publique sur le projet de loi “Pour une République Numérique”, 26 septembre 2015.
[5] VALLS (M.), “Discours de lancement de la consultation publique sur le projet de loi “Pour une République Numérique”, op. cit. Le texte de l’avant-projet de loi “Numérique” est lui-même le fruit d’une concertation nationale, lancée le 04 octobre 2014, qui avait réuni plus de 4000 contributions de la part d’entreprises, d’administrations et de citoyens.
[6] A ce sujet, voir SQUECCO (D.), “La loi Renseignement: vers la fin du secret des sources”, http://iredic.com, mis en ligne le 31 octobre 2015, consulté le 31 octobre 2015.
SOURCES :
www.republique-numerique.fr, consulté les 10 et 18 octobre 2015.
ANONYME, “La loi pour une République Numérique se construit avec les français”, www.modernisation.gouv.fr, mis en ligne le 29 septembre 2015, consulté le 10 octobre 2015, <http://www.modernisation.gouv.fr/laction-publique-se-transforme/en-ouvrant-les-donnees-publiques/la-loi-pour-une-republique-numerique-se-construit-avec-les-français>.
ANONYME, “Une plateforme inédite de co-écriture de la loi”, www.economie.gouv.fr, consulté le 10 octobre 2015, <http://www.economie.gouv.fr/projet-loi-numerique>.
ROLLAND (S.), “Loi Lemaire: la consultation publique, un outil de pression pour les citoyens”, www.latribune.fr, mis en ligne le 30 septembre 2015, consulté le 18 octobre 2015, <http://www.latribune.fr/technos-medias/loi-numerique-la-consultation-publique-un-outil-de-pression-pour-les-citoyens-509270.html>.