Au terme de nombreuses négociations infructueuses depuis plusieurs années sur la question de la fin des frais d’itinérance mobile, un compromis a enfin été trouvé entre les trois institutions de l’UE (Conseil européen, Commission européenne et Parlement européen). En effet, mardi 27 octobre 2015 le vote définitif par les eurodéputés du nouveau « Paquet Télécom » au sein duquel figure le « règlement sur le marché unique des communications électroniques » vient donner un coup d’arrêt à la pratique de surfacturation des communications émises ou reçues depuis un autre pays membre de l’UE.
Le changement prévu d’ici le 15 juin 2017 par ce texte favorable aux consommateurs européens doit cependant être nuancé puisque la suppression totale des frais supplémentaires engendrés par l’utilisation du mobile à l’étranger est en réalité loin d’être acquise.
L’objectif ambitieux d’établir un marché unique des communications électroniques au sein de l’UE s’est heurté à de nombreux obstacles notamment aux réticences des opérateurs mobiles dont une partie non négligeable des revenus émanent de ces frais d’itinérance. Le processus s’avère donc lent, difficile et progressif.
La difficile suppression des frais d’itinérance en UE : la résistance des opérateurs mobiles
Il convient tout d’abord de présenter sommairement ce à quoi correspondent ces fameux frais de « roaming » aussi appelés frais d’itinérance. L’itinérance est un service proposé par les opérateurs de télécommunications permettant aux usagers de pouvoir appeler et être appelés dans un pays étranger. Pour ce faire, les opérateurs des différents pays passent des accords dits de roaming, afin que les téléphones mobiles puissent se connecter à un réseau étranger. Cette location de réseaux entre opérateurs de différents pays se fait bien évidemment à titre onéreux et se répercute sur les tarifs des communications qui peuvent varier sensiblement d’un opérateur à un autre mais sont en général assez élevés. D’où les nombreuses mauvaises surprises de consommateurs européens découvrant une facture exorbitante au retour de vacances ou de déplacements professionnels.
Cette problématique directement en lien avec la thématique de la protection des consommateurs est une préoccupation dont les institutions européennes se sont saisies, par ailleurs la Commission Européenne pointe du doigt depuis plusieurs années ces frais payés par les clients qui téléphonent ou se rendent sur internet depuis un autre pays que le leur. Au niveau communautaire, on retrouvera des dispositions allant en ce sens au sein du « Paquet Télécom ». Il s’agit d’un paquet législatif datant de 2002 mis à jour en 2009 qui se compose d’un ensemble de directives et de règlements posant un cadre réglementaire relatif aux communications électroniques en phase avec les progrès technologiques et les exigences du marché. On retrouve dans ce corpus le règlement (UE) n° 531/2012 du Parlement et du Conseil du 13 juin 2012 relatif à l’itinérance sur les réseaux publics de téléphonie mobile. Ce dernier vise à s’assurer que les utilisateurs de téléphones portables qui voyagent à l’intérieur de l’Union européenne ne paient pas un prix excessif pour les services d’itinérance au sein de l’UE (appels, SMS et utilisation de l’internet).
Par ailleurs Neelie Kroes, vice-présidente de la Commission européenne et ancienne commissaire chargée de la stratégie numérique a plusieurs fois affirmé sa volonté de mettre fin aux surcoûts générés par l’itinérance en UE comme en témoignent les nombreuses annonces sur le sujet en amont de l’adoption du « Paquet Télécom » de 2013. Mme Kroes en charge de ce dossier déclarera que « la Commission européenne s’oppose aux redevances d’itinérance (…) ». Selon le communiqué de presse du 11 septembre 2013 intitulé « Proposition de la Commission sur le marché unique des télécommunications : un grand pas en avant » , la Commission européenne annonce sa proposition de règlement MUT (marché unique des télécommunications) dont deux des propositions phares consistent d’une part en la suppression des majorations applicables aux appels intra-UE et d’autre part en des formules de téléphonie mobile sans frais d’itinérance dans toute l’UE. L’objectif affiché en matière de télécommunications est « d’éliminer, à compter du 1er juillet 2014, les frais d’itinérance applicables aux appels entrants lors de déplacements dans l’UE » ainsi que la suppression des recettes tirées de manière arbitraire par les opérateurs sur les appels intra-UE.
L’évolution véritable tendant vers la suppression totale des frais d’itinérance tarde à se manifester dans les faits et jusqu’à présent on peut parler d’Arlésienne. Cela est principalement dû à la réticence des Etats membres dont il faut pourtant obtenir la majorité qualifiée pour entériner le texte.
Les ministres européens chargés des télécommunications ont manifesté un désaccord sur cette question lors d’une réunion à Bruxelles le 27 novembre 2014. Ainsi, des pays comme le Royaume-Uni veulent en finir au plus vite avec les frais de roaming alors que d’autres en revanche comme la France ou les pays scandinaves souhaitent une période de transition. Pour ces derniers, l’enjeu est considérable puisque les revenus du roaming sont liés au tourisme. Le 12 mai 2015, le Ministère français de l’économie, de l’industrie et du numérique dans une réponse à une question écrite est venu préciser qu’étant donné que la France connaissait un afflux important de touristes, la suppression des tarifs d’itinérance européenne sans un accompagnement adapté pourrait se traduire par une charge importante pour les opérateurs nationaux qui se verrait potentiellement répercutée dans le prix des offres de service mobile.
D’autre part, il est important de souligner que le taux de marge du roaming est égal à environ 60% et le chiffre d’affaires mobile des frais d’itinérance représentent une part assez importante puisque l’opérateur Orange réalise 8 à 10% de son chiffre d’affaires rien que sur ces frais (source : Oddo Securities). Ces frais constituent une véritable manne de 4 milliards d’euros par an, le puissant lobby des opérateurs se positionnait logiquement largement en défaveur de cette mesure.
L’organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) dans un avis du 19 mai 2014 concernant le projet d’interdiction de la tarification différenciée de l’itinérance internationale, considérait également qu’il convenait d’organiser une période de transition afin d’éviter des impacts négatifs susceptibles d’affecter l’équilibre des marchés nationaux.
Notons que les grands opérateurs avaient déjà anticipé cette situation avec des forfaits incluant le roaming comme Free Mobile par exemple qui propose 35 jours par an pour les appels et la data depuis toute l’Europe, les Etats-Unis et le Canada ou encore Bouygues Télécom qui offre 35 jours par an pour les appels depuis tous les pays d’Europe dans certains forfaits. Cette attitude semble caractériser une certaine acceptation par les opérateurs de ce principe.
Le bureau européen des consommateurs (Beuc) dans un communiqué du 27 octobre 2015 prévient que « la fin annoncée du roaming d’ici la mi-juin 2017 dépend d’une réforme du marché du gros, c’est-à-dire la connexion entre les différents opérateurs téléphoniques afin d’offrir des services de roaming aux clients, un projet qui a peu de chances d’être finalisé à temps. En outre, les opérateurs ont toujours le droit d’imposer des pratiques qui ne libéreraient pas complètement l’Europe des frais d’itinérance ». Une victoire en demi-teinte assombrie par certaines conditions d’applications du texte venant notamment poser une limite majeure. En effet un article 6b du règlement autorise les opérateurs mobiles à appliquer une politique de « fair use » spécifique pour les consommateurs à l’étranger, s’il s’agit de « prévenir l’utilisation abusive ou anormale » de son forfait hors de France. L’idée ici est d’éviter que les consommateurs souscrivent à un forfait moins cher dans un pays de l’UE en appliquant un nombre maximum de jours ou un forfait pourra être utilisé à l’étranger. L’article 6b bis dispose que dans des « circonstances exceptionnelles », une autorisation particulière peut être délivrée à un opérateur pour appliquer des frais de roaming. Cette dernière devra être délivrée par l’Arcep (ou l’un de ses homologues européens) et sera révisée sur dossier tous les ans. La libéralisation du marché en ce domaine est loin d’être une réalité et nécessitera sûrement encore des années de tractations !
La diminution significative des frais d’itinérance en UE : un bienfait pour les consommateurs européens
Selon les dispositions du règlement (UE) n° 531/2012 du Parlement et du Conseil du 13 juin 2012 relatif à l’itinérance internationale, on ne peut pas parler de marché intérieur des télécommunications tant que des différences importantes existent entre les prix nationaux et les prix d’itinérance. De plus il y est précisé que des prix élevés pour les services de données en itinérance dissuadent les consommateurs d’utiliser les services de données mobiles lors de leurs déplacements dans l’Union.
Après 10 ans de persistance de la Commission européenne qui s’emploie à réduire considérablement les frais d’itinérance à l’intérieur de l’UE, les prix ont baissé de 80% depuis 2007, s’agissant des données internet, le coût de l’itinérance a reculé de 91%. En effet, Les clients des opérateurs mobiles français, qu’ils soient des consommateurs ou des entreprises, bénéficient d’un tarif régulé lorsqu’ils utilisent leur téléphone mobile lors de leurs déplacements dans un autre pays des 28 Etats membres de l’Union européenne (+ Islande, Liechtenstein et Norvège). Ce tarif régulé, appelé eurotarif, est encadré sous la forme de plafonds tarifaires, c’est-à-dire de prix maximum qu’un opérateur peut imposer à son client. Le niveau de ces plafonds est fixé dans le règlement européen précité sur l’itinérance internationale. Ce règlement impose une baisse annuelle de l’eurotarif jusqu’en 2014, chaque 1er juillet.
Désormais, à partir du 30 avril 2016, les opérateurs seront encore obligés de revoir leurs tarifs à la baisse : ils ne pourront facturer que 0,05 euros par minute pour les appels vocaux sortants au lieu de 0,19 euros, 0,02 euros par SMS envoyé contre 0,05 euros et 0,05 euros par mégaoctet pour l’utilisation de l’internet mobile au lieu de 0,20 euros. Une nouvelle qui devrait ravir les abonnés mobiles européens en attendant une véritable harmonisation. Pour rappel, la fin des frais d’itinérance avait précédemment été annoncée pour 2015, puis repoussée à une réflexion en 2018, espérons que cette fois-ci elle ne sera pas remise aux calendes grecques !
Les plafonds de tarif de détails de l’eurotarif :
Afin d’éviter les déconvenues, il est évidemment plus prudent de désactiver les données cellulaires de son smartphone lors d’un déplacement à l’étranger surtout si le voyage se fait en plusieurs étapes en passant par des pays non-membres de l’UE où ces garanties tarifaires ne vaudront pas. Face aux tarifs excessifs du roaming data, le mobinaute pourra toujours rester connecté s’il le souhaite en utilisant les réseaux wi-fi gratuits. Enfin, il est vivement conseillé de bien consulter les termes et conditions du contrat de son forfait pour vérifier quelle utilisation il est possible d’avoir avec son smartphone hors des frontières nationales.
SOURCES :
Site internet de l’Arcep :
www.arcep.fr
CHAMPEAU G., « La mort des frais roaming en 2017 ? Pas totalement », numerama.com, mis en ligne le 27 octobre 2015, consulté le 14 novembre 2015, <http://www.numerama.com/business/128343-la-mort-des-frais-de-roaming-en-2017-pas-totalement.html>
CHICHEPORTICHE O., « Mobile : le roaming tirera bien sa révérence en juin 2017 », zdnet.fr, mis en ligne le 27 octobre 2015, consulté le 14 novembre 2015, <http://www.zdnet.fr/actualites/mobile-le-roaming-tirera-bien-sa-reverence-en-juin-2017-39827236.htm>
KALLENBORN G., « La fin du roaming européen a du plomb dans l’aile », 01net.com, mis en ligne le 28 novembre 2014, consulté le 14 novembre 2015, <http://www.01net.com/actualites/la-fin-du-roaming-europeen-a-du-plomb-dans-l-aile-634300.html>
ANONYME, « La fin des frais de roaming enfin programmée pour 2017 en Europe », 01net.com, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 14 novembre 2015, <http://www.01net.com/actualites/la-fin-du-roaming-enfin-programmee-pour-2017-en-europe-659181.html>
La représentation en France de la Commission européenne, « Roaming : c’est décidé ! Fin des frais d’itinérance dès juin 2017, ec.europa.eu, publié le 1 juillet 2015, <http://ec.europa.eu/france/news/2015/20150701_roaming_fin_2017_fr.htm>