Le vendredi 13 novembre 2015 au soir, Paris, capitale et surtout symbole de la France, subit plusieurs attaques terroristes lourdement meurtrières. C’est la consternation, l’incompréhension et le début de plusieurs heures de doutes. Les différents médias relatent très rapidement les faits et l’ensemble des français, en quelques minutes à peine, apprennent la barbarie qui a lieu dans leur pays.
En effet, la chaine d’information en continue BFMTV enregistre le soir des faits une part d’audience de 17% contre une moyenne de 2% en période dite « normale ». Entre 22h et minuit, c’est donc plus de 2,5 millions de téléspectateurs qui suivent en direct ces bien tristes nouvelles. Egalement, TF1 bouscule ses programmes et décide de réaliser une édition spéciale qui débute dès 22h50 et qui a été suivie en moyenne jusqu’à 2h du matin par 3,65 millions de téléspectateurs, correspondant à près de 30% du public. Dès le lendemain, les chiffres explosent à nouveau, les éditions spéciales des chaines TF1 et France 2 sont très suivies et réunissent plus de 11 millions de personnes devant leurs écrans. Les français, choqués et inquiets, sont soucieux des événements et attendent des réponses rapides.
Des récentes sanctions du Conseil supérieur de l’audiovisuel encore dans les esprits
Ce n’est malheureusement pas la première fois cette année que la France est victime d’attentats. Après les très médiatisés événements de « Charlie Hebdo » du 7, 8 et 9 janvier 2015, les médias avaient, minute par minute, traité de toutes les informations qu’ils pouvaient collecter. Au nom du droit de l’information et parce que les français étaient avides de réponses, ils avaient, durant 72h, enchainés les éditions spéciales dédiées aux événements.
Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) relève cependant 36 manquements aux règles de déontologie de la part des médias, radios et télévisions durant cette période. C’est donc 16 médias qui sont visés par des mises en demeure et des mises en garde pour avoir, pendant leurs directs, révélé des informations sensibles et susceptibles de mettre en péril la vie des otages durant les assauts des forces de l’ordre, mais aussi pour avoir diffuser des images issues de la vidéo montrant un policier abattu par les terroristes. Il y avait une volonté de faire respecter l’impératif de sauvegarde de l’ordre public.
A été remis en cause le respect de la dignité humaine ; le Conseil constitutionnel dans une décision de 1994 a considéré que ce principe avait une valeur constitutionnelle. Elle est ainsi considérée comme faisant partie intégrante des droits de la personnalité qui sont inaliénables. Le Professeur Jean Pradel va plus loin et définit les infractions portant atteinte à la dignité comme celles qui : « […] ont pour effet essentiel de traiter la personne comme une chose, comme un animal ou, dans le meilleur des cas, comme un être auquel serait dénié tout droit à l’honneur et à son honorabilité ».
Pour autant, la réponse des principaux médias concernés ne s’est pas fait attendre, et c’est dans une lettre ouverte qu’ils contestent les sanctions données. Pour eux, « la liberté de la presse est un droit constitutionnel. Les journalistes ont le devoir d’informer avec rigueur et précision. Le CSA nous reproche notamment d’avoir potentiellement attenté à l’ordre public ou pris le risque d’alimenter les tensions au sein de la population. Nous le contestons ». L’équilibre entre les deux positions semble difficile à trouver. Pourtant, les attentats du 13 Novembre semblent refléter une certaine évolution dans le traitement de l’information…
La prudence des médias et leur volonté de ne pas commettre les mêmes erreurs
Le maître mot sur le traitement de l’information durant ces attentats a été la prudence. Il semblerait que les griefs contestés par les journalistes ont finalement eu l’effet escompté. Dès le lendemain des premières attaques, le CSA rappelle dans un communiqué publié sur son site que : « le Conseil supérieur de l’audiovisuel attire très vivement l’attention des rédactions des télévisions et des radios sur la nécessité de ne donner aucune indication susceptible de mettre en cause le bon déroulement des enquêtes en cours dans les circonstances tragiques que vit notre pays ».
L’on a pu constater ainsi une véritable retenue notamment lors de l’assaut donné par les forces de l’ordre au Bataclan. L’enjeu était important puisque cette scène de spectacle accueillait des centaines de personnes, toutes tenues en otage par les trois forcenés. Ce fut également le cas lors de l’assaut donné au matin du mercredi 18 Novembre par les forces de l’ordre à Saint-Denis où étaient retranchées des personnes soupçonnées d’être complices des premiers attentats. Lors de ces deux événements, il était donc primordial qu’aucune information et images ne soient diffusées ; les autorités ont d’ailleurs prit des mesures afin de tenir les médias à distance en les éloignant le plus possible des lieux.
Bruce Toussaint, journaliste sur la chaine Itélé qui diffusait l’information en continue, s’explique sur cette retenue : « l’expérience de l’événement Charlie nous a aidé à affronter cette réalité ; on a été confronté à un acte de terrorisme épouvantable en janvier et quelque part on a intégré cette menace, ce danger, cette horreur… ». Même s’il continue en affirmant que « ce n’est pas vraiment le CSA qui aurait eu un effet subitement bénéfique », il convient de souligner qu’une prise de conscience à eu lieu de la part des journalistes, peut-importe d’ou celle-ci provient.
Des vérifications à venir de la part du Conseil supérieur de l’audiovisuel
Dès vendredi soir à 22h15, le Conseil supérieur de l’audiovisuel décide de mettre en place une cellule de veille pour suivre en temps réel le travail des médias. Face à ces circonstances particulières, plusieurs personnes ont été chargées de surveiller les informations données à l’antenne ainsi que les images diffusées. Le plus important était de veiller à ce que la dignité de la personne soit respectée mais aussi qu’aucune gène n’ait lieu pendant les enquêtes en cours. Sur ces deux critères, cinq jours après les faits, la cellule estime qu’il n’y a pas eu de manquement. Elle souligne également que l’anonymat des victimes a correctement été protégé par les chaines de télévision, grâce au recours massif du floutage aussi bien des corps que des visages, lors de la diffusion des témoignages. Néanmoins, il ne s’agit là que d’une première constatation, l’appréciation définitive n’aura lieu qu’après la réunion plénière du Collège qui aura réexaminé l’ensemble des séquences.
Un reportage fait néanmoins polémique ces derniers jours : la chaine M6 décide de diffuser l’émission « 66 minutes » dont certaines images ont choqué les téléspectateurs qui se sont empressés de s’exprimer sur les réseaux sociaux. A l’origine, les caméras du groupe M6 suivaient les pompiers de Paris dans une caserne du 12e arrondissement, c’est-à-dire à quelques mètres de l’une des attaques, pour un reportage qui devait être diffusé sur W9. Finalement, celui-ci est programmé seulement deux jours après le drame : le journaliste Xavier de Moulins prévient en préambule que certaines images peuvent choquer et que le reportage est déconseillé au moins de 10 ans.
De plus, sur demande du Ministère de l’Intérieur, la chaine n’aurait pas dû diffuser ces images. M6 décide de passer outre cette interdiction et prend le risque de heurter la sensibilité des téléspectateurs. La porte parole du ministère explique que : « […] nous avons demandé à M6, au nom de la dignité humaine, de renoncer à ce sujet pour protéger les victimes et respecter les familles. Les conditions étaient exceptionnelles, l’émotion considérable. Ce n’était pas opportun, il y avait encore des victimes. Nous n’étions absolument pas opposés à une diffusion ultérieure, dans une ou deux semaines. »
Cette décision du groupe M6 va t-elle faire l’objet d’une sanction par le CSA ? Rien n’est moins sur puisqu’il semblait impossible d’identifier les victimes sur les images qui ont été diffusées. Cependant, le Conseil reste très attentif à cette situation puisqu’il a été alerté de ce reportage par plusieurs téléspectateurs. De plus, le contrat signé fixait un cadre précis pour le tournage et un visionnage préalable du reportage par les pompiers. Sur ce point, la convention n’a pas été respectée. Il n’est donc pas exclu que le Ministère de l’Intérieur engage des poursuites judiciaires sur ce point précis afin d’obtenir gain de cause. L’affaire reste donc à suivre…
SOURCES :
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BELLVER (J), « “66 Minutes” à “La Belle Equipe” : Le ministère de l’Intérieur avait demandé à M6 de ne pas diffuser le reportage », ozap.com, mis en ligne le 16 novembre 2015, consulté le 18 novembre 2015, <http://www.ozap.com/actu/-66-minutes-a-la-belle-equipe-le-ministere-de-l-interieur-avait-demande-a-m6-de-ne-pas-diffuser-le-reportage/482880>
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MEFFRE (B), « Traitement des attentats : Le CSA n’a pas relevé de manquement pour l’instant », ozap.com, mis en ligne le 16 novembre 2015, consulté le 18 novembre 2015, <http://www.ozap.com/actu/traitement-des-attentats-le-csa-n-a-pas-releve-de-manquement-pour-l-instant/482905>
PIQUARD (A), « Attentats du 13 novembre : M6 assume son reportage jugé “violent” par le ministère de l’intérieur », LeMonde.fr, mis en ligne le 16 novembre 2015, consulté le 18 novembre 2015, <http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/article/2015/11/16/attentats-m6-assume-son-reportage-juge-violent-par-le-ministere-de-l-interieur_4811359_4809495.html>
PRADEL (J), DANTI-JUAN (M), Droit pénal spécial, Cujas, 6e édition, 2014.