En cette fin d’année 2015, l’heure est au bilan pour de nombreuses autorités administratives indépendantes, l’occasion pour elles de défendre leur activité et de conforter leur légitimité au sein du paysage institutionnel français. La Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet (HADOPI) n’échappe pas à la règle, bien au contraire.
Malmenée depuis sa création, l’HADOPI a dû, peut-être plus que les autres autorités, combattre les polémiques et répondre aux vives critiques dirigées à son encontre tant de la part du milieu culturel et des ayants droit que de celle du grand public. Parfaitement consciente de cette position pour le moins délicate, la haute autorité a très vite cherché, par le biais de ses rapports d’activité, à clarifier sa politique en expliquant les tenants et les aboutissants de son action. C’est donc en tout logique que le bilan pour l’année 2014-2015, publié le 25 novembre, remplit de nouveau ce rôle, dans un contexte où l’actualité fut particulièrement riche pour l’HADOPI, celle-ci s’étant retrouvée régulièrement au centre de l’attention médiatique.
En août dernier d’abord, le licenciement d’Éric Walter alors secrétaire général de l’autorité, avait défrayé la chronique et dévoilé au grand jour les violentes querelles internes qui se jouées en son sein. Bien que volontairement passer sous silence depuis les dernières semaines, l’affaire pourrait bien se poursuivre dans les mois à venir.
Plus récemment ensuite, le 23 décembre 2015, le Conseil d’Etat a enjoint l’Etat d’indemniser Bouygues Télécom au titre de sa collaboration dans la lutte contre le téléchargement illicite par l’identification d’adresses IP à la demande de l’HADOPI. Cette décision fait suite à une action intentée par l’opérateur en raison de l’absence de règlement de factures s’élevant à plusieurs millions d’euros résultant de ces prestations.
Alors qu’une page se tourne dans l’histoire de l’HADOPI avec le départ, notamment, de sa présidente Marie-Françoise Marais, l’efficacité de son action est une nouvelle fois sujet à controverse au regard de ce cinquième bilan pour le moins mitigé.
La réponse graduée : une riposte pédagogique à la portée limitée
C’est dans un cadre a priori apaisé que la présidente de l’HADOPI explique en introduction du rapport que l’autorité « a tenu bon […] Mieux, elle fonctionne bien ». Le bilan se veut donc positif et pour cause : la réponse graduée n’a jamais été autant utilisée qu’au cours de cette année en dépit d’un budget restreint de six millions d’euros.
Si l’on s’attarde sur les chiffres, force est de constater une légère augmentation du nombre de courriers envoyés, du moins pour la première phase du processus. Ainsi, entre juillet 2014 et juin 2015, environ 1,6 millions de mails de premier avertissement ont été adressés aux internautes par l’HADOPI contre 1,3 millions l’année précédente. S’agissant des mails de deuxième avertissement, les résultats restent stables avec 150 000 courriers envoyés. Concernant enfin la troisième et dernière phase du processus, la Commission de protection des droits, chargée de la mise en œuvre de la réponse graduée, a fait preuve d’un dynamisme non feint. Celle-ci a en effet transmis 246 dossiers d’internautes délinquants au procureur de la République pour la seule année 2015 contre un total de 115 entre 2010 et 2014. Toutefois, rien ne garantit que ces transmissions soient suivies d’effets et donnent lieu à des condamnations.
Au-delà des chiffres qui démontrent une certaine réactivité de la part des services de l’HADOPI, c’est de l’efficacité même du dispositif dont il est question car l’envoi de courriers ne prend véritablement de sens que s’il s’accompagne d’alternatives répondant à la demande des internautes qui sont avant tout des consommateurs de contenus. L’une des alternatives proposée par l’HADOPI est le développement de l’offre légale via une plateforme dédiée. Incontestablement, la réponse graduée, avant d’être une arme répressive, est donc d’abord un procédé purement pédagogique.
Pour autant, si la réponse graduée a trouvé sa « vitesse de croisière », comme certains ont pu le relever, en cette année 2015, sa vertu pédagogique n’en reste pas moins limitée en pratique. En effet, ce processus ne concerne toujours qu’un seul mode de téléchargement illégal : le peer-to-peer (p2p). Encore faut-il que l’internaute n’ait pas recours à un procédé tel qu’un réseau privé virtuel rendant, en théorie, impossible toute identification.
Par ailleurs, si l’action de l’autorité a indéniablement participé à une évolution des pratiques dans la consommation de contenus sur internet, de nouvelles solutions sont à envisager. En effet, le téléchargement direct et le streaming sont aujourd’hui fortement plébiscités et fréquemment utilisés par un nombre important d’utilisateurs. A l’inverse, l’utilisation des réseaux peer-to-peer recule, dans le domaine de la musique notamment, streaming oblige. Paradoxalement, la haute autorité n’est pas armée pour lutter contre ces pratiques lorsque celles-ci sont illicites alors même qu’elle a encouragé les internautes à y recourir, du moins indirectement. De nouvelles réponses doivent être privilégiées, celles apportées au peer-to-peer n’ayant pas vocation à s’appliquer ici.
L’élaboration de mécanismes adaptés contre la contrefaçon
Si le bilan s’avère contrasté, de nouveaux moyens de lutte contre les pratiques portant atteinte à la création sont en cours d’élaboration par la haute autorité. Consciente des limites de son action, la volonté de l’HADOPI est double : d’une part, étendre ses prérogatives au téléchargement direct et au streaming illicites et d’autre part, optimiser la procédure de réponse graduée.
Concernant d’abord la lutte contre le téléchargement direct et le streaming illicites, la haute autorité reprend à son compte les conclusions dégagées par la présidente de la Commission de protection des droits, Mireille Imbert-Quaretta, dans son rapport « outils opérationnels de prévention et de lutte contre la contrefaçon en ligne » de mai 2014. En substance, il s’agit de sensibiliser, les FAI et les hébergeurs, entre autres, à l’action de l’autorité afin que ceux-ci coopèrent pour combattre la contrefaçon.
Prenant acte de la prolifération des services de téléchargement direct et streaming illicites, le rapport propose ainsi l’application de mesures, pour la plupart non contraignantes, visant à attaquer directement les sources de financement qui permettent le développement de ces services. Parmi ces mesures, certaines ont d’ores et déjà été appliquées en 2015.
En effet, la haute autorité a établi, avec l’appui des ayants droit, une liste de sites « massivement contrefaisants ». Cette liste a ensuite été communiquée à différents acteurs directement impliqués dans cette lutte comme les régies publicitaires et les entreprises de paiement en ligne afin que celles-ci bannissent ces sites de leur clientèle, coupant ainsi d’importantes sources de revenus. A cet égard, en mars 2015 une charte entérinant ce mécanisme a été signée entre ayants droit et régies publicitaires.
S’agissant ensuite de l’optimisation de la réponse graduée, l’Hadopi envisage notamment d’accélérer et de préciser la procédure. Pour se faire, l’autorité propose de supprimer certains intermédiaires intervenant lors des premières phases du processus.
En effet, force est de constater la lourdeur du dispositif actuel. A ce titre, seuls les agents assermentés et agréés désignés par certaines institutions comme le Centre National de la Cinématographie et de l’image animée (CNC) ont la possibilité de saisir l’HADOPI, en application des dispositions de l’article L331-24 du Code de la Propriété Intellectuelle. Pour pallier la lenteur du mécanisme, la haute autorité propose de permettre aux auteurs de la saisir directement et ce, dans des conditions analogues à celles prévues dans la mise en œuvre de la procédure de saisie contrefaçon, c’est-à-dire par constat d’huissier.
Toujours dans cette optique, le rapport suggère également de confier à l’HADOPI la charge d’acheminer directement les recommandations sans recourir aux FAI comme cela est aujourd’hui prévu par l’article L331-25 du Code de la Propriété Intellectuelle. Cela permettrait en effet un gain de temps certain sans augmenter nécessairement les coûts puisqu’il s’agit de mails.
Si ces propositions visant à optimiser la réponse graduée constituent une première avancée, elles restent néanmoins bien moins ambitieuses que d’autres, issues de rapports parlementaires, qui prônent quant à elles, une nouvelle fois, une réforme profonde de l’Hadopi.
La nécessité d’une réforme d’ampleur indéfiniment repoussée
Le débat n’est pas nouveau, loin de là. Depuis de nombreuses années, les mêmes interrogations concernant l’avenir de l’autorité resurgissent ponctuellement dans le débat public. Pour autant, l’HADOPI tient bon en l’absence de toute intervention contraire de la part du législateur. Pour preuve, le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine porté par Fleur Pellerin et adopté à l’Assemblée Nationale le 6 octobre dernier, ne comporte aucune disposition relative à la haute autorité malgré les dysfonctionnements maintes fois soulevés par de nombreux rapports parlementaires.
A cet égard, un rapport intitulé « La Hadopi : totem et tabou », publié le 8 juillet 2015, propose réformer l’HADOPI afin de renforcer son action et de consolider sa position vis-à-vis des autres autorités administratives indépendantes. Pour y parvenir, les sénateurs mettent en évidence le besoin de modifier le mécanisme de la réponse graduée « en remplaçant la sanction judiciaire par une amende administrative décidée et notifiée par une commission des sanctions indépendante ».
Cette proposition permettrait, sans doute, un certain regain d’autorité au sein de l’HADOPI qui peine aujourd’hui à se faire entendre. Se pose toutefois la question des rapports entre chacune des composantes de la haute autorité, puisqu’il s’agirait de créer une commission indépendante et donc strictement séparée de la Commission pour la protection des droits, aujourd’hui chargée de transmettre les dossiers au procureur de la République.
Toujours concernant l’organisation de l’HADOPI, le rapport propose également de « clarifier et simplifier la gouvernance de la Hadopi autour d’une présidence unique, d’un secrétariat général et de quatre directions ». Cette proposition est la bienvenue tant elle fait écho à l’actualité et aux querelles internes qui ont entaché la réputation de l’autorité. Cette réorganisation faciliterait assurément les échanges entre les différents bureaux.
Enfin, une proposition particulièrement intéressante viserait à « revoir en profondeur le statut des hébergeurs ». Juridiquement, le statut actuel de l’hébergeur est particulièrement protecteur puisque le régime est celui de l’irresponsabilité en vertu de l’article 6 I.2 de la LCEN du 21 juin 2004. Cette disposition rejoint en ce sens les conclusions précédemment évoquées du rapport de Mireille Imbert-Quaretta qui prône une plus grande coopération entre les prestataires techniques, comme les hébergeurs, et l’HADOPI.
Si toutes ces propositions ont le mérite d’apporter des réponses concrètes aux dysfonctionnements constatés au sein de l’autorité, il est peu probable qu’une réforme d’envergure soit entreprise dans un futur proche au vu de la nature politiquement sensible du dossier HADOPI.
Encourager la création est aujourd’hui essentiel, plus encore dans un contexte économiquement troublé. Il ne s’agit aucunement de se laisser aller à une vision caricaturale de la réalité à l’heure où d’autres voix s’élèvent pour demander la suppression de l’HADOPI. Cependant, maintenir le statu quo n’est pas réponse satisfaisante et si la suppression de l’autorité ne semble pas être envisageable, il est évident qu’une réforme d’ampleur s’impose.
« Remplacée, supprimée, transférée, asphyxiée, l’Hadopi a tenu bon », certes. Néanmoins, il y a fort à parier que cela ne puisse pas continuer éternellement. Une usine à gaz, pour le peu qu’elle fonctionne, n’en reste pas moins instable.
Sources :
BEUVE-MERY (A.), « Se renouveler ou mourir, le dilemme de la Hadopi », lemonde.fr, mis en ligne le 25 novembre 2015, consulté le 19 décembre 2015, http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/11/25/se-renouveler-ou-mourir-le-dilemme-de-la-hadopi_4816784_3234.html
COSTES (L.), « La Hadopi toujours fidèle au poste », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n°121 décembre 2015, p. 3, mis en ligne le 1er décembre 2015, consulté le 15 décembre 2015
HADOPI, Rapport d’activité 2014-2015, mis en ligne le 4 décembre 2015, consulté le 14 décembre 2015, http://hadopi.fr/actualites/actualites/mise-en-ligne-du-rapport-dactivite-2014-2015-de-lhadopi
REES (M.), « Hadopi ou la guerre du bilan », nextinpact.com, mis en ligne le 26 novembre 2015, consulté le 15 décembre, http://www.nextinpact.com/news/97450-hadopi-ou-guerre-bilan.htm