En cette fin d’année 2015, les catalogues de titres des plateformes de streaming comptent environ 30 millions de morceaux pour les plus importantes (Spotify et Deezer).
On se rend bien compte qu’à ce stade, ce n’est plus le volume du catalogue qui va permettre de se démarquer sur un marché ultra concurrentiel, mais plutôt l’exclusivité de titres ou d’artistes obtenus par la plateforme. Cette exclusivité ce sont bien sûr les morceaux à venir, mais également certains artistes n’ayant pas donné leur autorisation pour la reproduction de leur oeuvre.
Toutefois, parmi ces artistes, il en reste peu et la liste continue de diminuer. En témoigne la mise en écoute de l’entière discographie des Beatles sur neuf plateformes de streaming, le 24 décembre 2015. C’était, jusqu’à présent, le groupe le plus convoité par les deux géants du streaming, mais également le plus attendu par les internautes.
Après être revenu sur le déroulé de l’affaire, on verra comment l’autorisation d’exploitation donnée par les ayants droits permet de mieux comprendre où en est le marché du streaming.
Une fois de plus, la source du problème est d’origine pécuniaire. En effet, rappelons que bien qu’une partie du groupe mythique anglais soit décédée, les droits d’auteurs sont encore présents, et ce, pour une durée de soixante dix ou plus, selon la durée de vie des derniers auteurs. Ainsi, ceux-ci gardent un pouvoir fort sur les recettes du groupe emblématique, ces recettes qu’il est intéressant de diviser en deux :
L’ensemble des recettes issues du droit de représentation, tel que les médias audiovisuels, les concerts, les discothèques qui sont perçus par la SACEM, puis reversé à la société de productions SONY/ATV qui reversera la part à chacun des membres ou ses héritiers.
Les recettes issues du droit de reproductions qui est la fixation et la revente des CD et DVD. Ces recettes sont perçues par la Société EMI qui reverse les royalties à une société détenue par les ayants droits du groupe.
Pour ce qui est du streaming, c’est à la fois un acte de reproduction et de représentation. Il y a donc une perception des droits par la SACEM, mais également par la société titulaire des Masters.
Le problème c’est que l’on est en présence de sommes colossales. Par exemple, pour pouvoir introduire une minute trente des Beatles dans la série « Mad men », la société de production a dû débourser la somme de 250 000 dollars à la société EMI pour sa version originale. De même, existait depuis près de trente ans un conflit entre Apple Computer et Apple Corp (société détenu par les ayants droits) sur le nom de la société. Ce conflit a fini par se régler conventionnellement avec la signature, de la part de la firme californienne, d’un chèque de 500 millions de dollars leur permettant de pouvoir continuer à utiliser leur nom, mais également de pouvoir enfin trouver un accord sur la mise en vente des titres des Beatles sur Itunes. Le pari était gagnant puisque 28 des chansons des Beatles faisait parti, peu de temps après, des 100 chansons les plus téléchargées, ainsi que 10 albums étaient au top 50, dont 4 au top 10.
Après cette réussite, plus que lucrative pour Apple, seules les plateformes de streaming ne bénéficiaient pas encore de cet atout commercial. Les différentes sociétés d’écoute en ligne ont donc approché le groupe, au travers de la maison de disque EMI, ainsi que SONY/ATV, pour tenter d’obtenir une exclusivité sur la diffusion de ces stars du rock anglais, et ce, sans succès jusqu’à présent.
Cela peut en effet se justifier de plusieurs manières. En effet, lorsque la société veut vendre le droit de représentation d’un titre des Beatles pour une pub pour Orange, les ayants droits se voient imposer la décision sans pouvoir la contester (bien entendu, la société leur reversent des droits d’auteurs). Par contre, lorsque la société EMI souhaite publier un nouveau CD ou rendre les enregistrements des « Fab Four » disponible en Streaming, les titulaires des droits doivent donner leur accord. Le groupe étant séparé, il a donc été compliqué d’arriver à un accord, la volonté de chacun étant d’augmenter son capital.
Ainsi, ce n’est que le 24 décembre 2015 que les ayants droits finissent par signer un accord, non pas avec une, mais avec les plus importantes plateformes de streaming, empêchant celles- ci de profiter d’une éventuelle exclusivité sur les albums du groupe anglais.
L’arrivée des Beatles sur le streaming peut s’analyser comme la fin d’une grande période de croissance pour ces entreprises. En effet, les leaders du marché ont plus ou moins le même catalogue ou la même offre de service, il ne reste que quelques artistes réfractaires au streaming, mais c’est plutôt pour des raisons de rémunération que de conflit avec le service, et la part des utilisateurs de plateforme sur le marché musical a atteint des sommets dans certaines régions.
Effectivement, si on prend le cas français, l’écoute musicale en streaming est passé de 2% en 2010 à 25% en 2015. Mais le cas le plus flagrant est celui de la Suède où 80% du marché de la musique est occupé par le streaming .
On pourrait donc considérer que l’on se trouve à l’apogée du streaming et donc que le marché s’apprête à stagner. Une marché concurrentiel est un marché où les concurrents tentent de se démarquer pour acquérir des parts de marché. Mais si la situation ne permet pas au consommateur de faire de différence entre les leaders du marché, on se retrouve dans un marché stable.
Ainsi, la possibilité d’écouter les Beatles sur différentes plateformes de streaming peut s’analyser comme un tournant du marché. C’était en effet l’une des dernières chances pour ces entreprises de se démarquer des concurrents en obtenant l’exclusivité sur la version numérique des « Fab Four », puisque si on s’attarde sur les moyens de se développer pour ces entreprises il en reste peu. L’innovation en la matière semble ne pas progresser et les prix sont devenus stable depuis quelques années.
Il serait donc intéressant pour ces entreprises de se pencher sur le prochain moyen d’écouter de la musique et peut être, d’ores et déjà, approcher les Beatles pour en obtenir la primeur.
MANENTI (B.), « Beatles : derrière le streaming, l’histoire rocambolesque de leurs droits d’auteur », tempsreel.nouvelobs.com, consulté le 26 décembre 2015, publié le 24 décembre 2015, http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20151224.OBS1906/beatles-derriere-le-streaming-l-histoire-rocambolesque-de-leurs-droits-d-auteur.html
LUTAUD (L.), « Le business juteux des ayants droit », lefigaro.fr, consulté le 27 décembre 2015, publié le 5 septembre 2009, http://www.lefigaro.fr/musique/2009/09/05/03006-20090905ARTFIG00184-le-business-juteux-des-ayants-droit-.php