Marine Le Pen, présidente du Front National (FN), a posté sur son compte Twitter des photos d’exécution et de torture provenant de l’Etat Islamique et visant à dénoncer la comparaison qui avait été faite entre son parti politique et Daech. Cependant, à cause de la nature des photos postées et de la responsabilité de l’éditeur sur internet, Marine Le Pen encoure un risque de sanctions. Des poursuites ont été engagées.
Une réponse démesurée de Marine Le Pen
Le 16 décembre dernier, Gilles Kepel était l’invité de Jean-Jacques Bourdin sur la station de radio RMC. A l’occasion de l’interview il a été laissé entendre que le parti du Front National serait comparable à l’Etat Islamique.
Ces propos n’ont évidemment pas plu à Marine Le Pen qui s’est indignée sur le réseau social Twitter. La présidente du FN a jugé « inacceptable » ce rapprochement fait lors de l’interview. Pour illustrer ses propos elle a alors diffusé des photos provenant de l’Etat Islamique et représentant des scènes d’exécution et de torture.
Les photographies relayées par le compte Twitter de Marine Le Pen représentaient des hommes assassinés par l’Etat Islamique dont un pilote jordanien, un soldat syrien et un otage américain. Ces images choquantes et d’une grande violence n’étaient ni floutées, ni masquées. Chacun des trois « tweets » comportaient donc une de ces images et le texte suivant : « @JJBourdin_RMC, #Daech c’est ÇA ! MLP ».
Ce que cherchait à démontrer Marine Le Pen était simplement qu’il est complètement scandaleux de comparer le Front National à Daech. Cependant, sa façon de le faire est plus que contestable. En effet Marine Le Pen est responsable de ce qu’elle poste sur son Twitter, et la diffusion de telles images peut être condamnable.
De plus, alors que les intervenants de l’interview sur RMC avaient pris des précautions dans leurs propos, cette réaction peut être jugée disproportionnée. On peut tout à faire comprendre la contestation immédiate des propos par Marine Le Pen, mais le choix de diffuser les images en question pour exprimer son choc – choix soutenu par les membres de son parti et qui semble avait été le fruit d’une réflexion et non pas d’une uniquement d’une réaction impulsive – est démesuré et donc très contestable.
L’engagement de la responsabilité de Marine Le Pen
Une question peut alors se poser quant à la responsabilité vis à vis de la diffusion de ces images. Deux acteurs sont ici en jeu : l’éditeur et l’hébergeur du contenu. Le droit de l’Internet différencie ces deux acteurs en transposant le régime de responsabilité en cascade qui avait été mis en place pour le droit de la presse.
A l’origine, ce système, prévu par la loi du 29 juillet 1881, avait instauré un régime de responsabilité pénale pour les personnes physiques commettant des infractions de presse. Aujourd’hui, en fonction du média concerné, le premier responsable n’est pas forcément le même. Par exemple, pour la presse, c’est traditionnellement le directeur de la publication qui va être recherché en premier pour engager sa responsabilité.
Dans le cas présent on fait donc la différence entre l’éditeur du message litigieux, et son hébergeur. Marine Le Pen est considérée comme l’éditrice de son compte Twitter et donc doit répondre elle même de son contenu.
Ainsi, si un internaute publie un contenu illicite sur son compte Twitter, il est responsable de ce qu’il diffuse, et pourra ainsi être condamnée en fonction du contenu. Par exemple, à la suite des attentats du 13 novembre, un lycéen a été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir publié sur son compte Twitter un nombre très important de messages de soutien à l’organisation djihadiste Daech, et des messages se félicitant des récents attentats.
Pour l’hébergeur, qui est ici le réseau social Twitter, sa fonction est celle d’un intermédiaire technique, et donc sa responsabilité ne sera pas engagée de manière principale.
En effet, sur internet, l’hébergeur n’a pas d’obligation générale de surveillance des contenus qui sont mis en ligne par les internautes. Ainsi il n’est pas responsable, en principe, de ces contenus. Cependant, il doit quand même respecter certaines obligations, et il pourra ainsi, dans des cas précis, voir sa responsabilité engagée. C’est notamment ce qui se passera si l’hébergeur a eu connaissance de la mise en ligne des contenus illicites et qu’il n’a pas agi promptement pour retirer ceux-ci.
En l’espèce Twitter n’a pas supprimé les contenus choquants diffusés par Marine Le Pen, ces derniers étant effectivement « tolérés » par le réseau social. Cette absence de retrait a été substituée par un message indiquant que « Les médias suivants peuvent contenir des éléments sensibles », prévenant l’internaute et lui demandant s’il voulait afficher ces dits contenus ou non.
Les sanctions envisageables à l’encontre de Marine Le Pen
Marine Le Pen, éditrice de son compte Twitter, est donc responsable des images qu’elle a décidé de diffuser pour répondre à Jean-Jacques Bourdin et Gilles Kepel. Et cela n’est pas sans conséquences. En plus des nombreuses condamnations politiques par ses opposants, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Nanterre. La présidente du FN risque de tomber sous le coup de plusieurs dispositions légales.
En premier lieu cependant, il convient d’écarter la condamnation pour apologie du terrorisme qui a pu être évoquée. En effet, il faudrait pouvoir prouver que Marine Le Pen cherchait à provoquer des actes de terrorisme. Or elle voulait, bien au contraire, dénoncer ces pratiques et marquer son opposition.
Par ailleurs, il y a le droit de la famille de la victime à faire état d’un préjudice face à la douleur qu’a pu infliger la diffusion de ces photos. A cet égard, la famille de l’otage américain dont la photo a été publiée sur le compte de Marine Le Pen, a demandé à cette dernière de retirer immédiatement l’image en question. Il est possible que la famille aille plus loin en demandant des dommages et intérêt.
Également, il est envisageable d’engager l’article 222-33-3 du Code Pénal qui condamne, notamment, le fait de diffuser l’enregistrement d’images d’actes de torture ou de meurtres. Cette diffusion d’image n’est autorisée qu’éventuellement dans le cadre d’un exercice normal d’une profession ou pour informer le public. Ce n’est pas le cas de Marine Le Pen qui a usé des images uniquement pour exprimer son mécontentement.
C’est finalement la condamnation sur le terrain de l’article 227-24 du Code Pénal qu’a retenu le parquet de Nanterre pour son enquête préliminaire. Cette disposition condamne la diffusion d’un message violent, par exemple incitant au terrorisme. Un tel acte peut être puni jusqu’à trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende si le message est susceptible d’être vu par un mineur.
En l’espèce, il est évident que les photos peuvent être vues par des mineurs car le réseau social Twitter est accessible à tout public. Il n’y a également pas de doute quant au caractère violent des images en question. Ainsi, il est possible que Marine Le Pen soit condamnée sur ce terrain, en fonction de l’enquête actuellement menée par le parquet de Nanterre.
Toute cette polémique sur les images violentes diffusées par Marine Le Pen a pris le devant de la scène face au débat de fond donc il était question au départ. Or, ce débat aurait sans doute eu plus d’intérêt pour tenter de comprendre ce que voulait vraiment dire Jean-Jacques Bourdin et Gilles Kepel d’un côté, et ce que Marine Le Pen avait à répondre d’un autre côté.
SOURCES :
HARAU (J.), « Marine Le Pen visée par le justice après avoir diffusé des photos de propagande djihadiste », lemonde.fr, publié le 16 décembre 2015, consulté le 17 décembre 2015, http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/12/16/pourquoi-marine-le-pen-a-publie-des-images-de-propagande-de-l-ei_4833263_823448.html?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#link_time=1450275332
CHAMPEAU (G.), « Marine Le Pen risque 5 ans de prison pour ses tweets », numerama.com, publié le 16 décembre 2015, consulté le 17 décembre 2015, http://www.numerama.com/politique/135338-marine-le-pen-risque-5-ans-de-prison-pour-ses-tweets.html
NEDELEC (G.), « Que risque Marine Le Pen pour ses tweets sur Daech ? », lesechos.fr, publié le 17 décembre 2015, consulté le 17 décembre 2015, http://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/021565570542-que-risque-marine-le-pen-pour-avoir-tweete-les-exactions-de-daech-1185597.php#xtor=CS1-25