Tout commence en février 2011 lorsque Facebook censure le compte d’un professeur des écoles passionné d’art. Ce dernier avait partagé sur son mur un lien vers un documentaire d’Arte dédié au peintre Gustave Courbet où une de ses toiles représentant le sexe d’une femme, « l’Origine du monde », apparaissait. Il faut noter que les règles propres à ce réseau social l’autorisent à supprimer « les photographies présentant des organes génitaux ou des fesses entièrement exposées ». Le professeur dénonçait alors une « censure aveugle » et l’amalgame entre la pornographie et l’art. Son avocat, Stéphane Cottineau, mit en demeure Facebook de rouvrir le compte. Sans résultat il engagea alors une action en responsabilité contre le réseau social pour non respect de la liberté d’expression et réclama 20 000€ de dommages et intérêts en plus de la réouverture du compte.
La crainte des juridictions françaises
Avant de juger sur le fond, encore fallait-il déterminer la compétence des tribunaux français. En la matière, l’entreprise américaine, prévoyante, a inclus dans ses CGU une clause exclusive de compétence qui désigne un tribunal de l’Etat de Californie comme étant le seul habilité à trancher les litiges, cette clause étant obligatoirement signée par tous les utilisateurs de Facebook. Le 5 mars 2015, le TGI de Paris a jugé cette clause abusive et a reconnu la compétence des tribunaux français. Facebook a naturellement fait appel de sa décision ne voulant pas laisser son sort entre les mains d’un tribunal français.
La Cour d’appel de Paris s’est prononcée le 5 janvier 2016. Selon l’AFP, Facebook a tout fait pour écarter les arguments de l’avocat de peur que « ce dossier fasse jurisprudence ». Précédemment, concernant le fait que les clauses attributives de compétence sont interdites dans le Code de la consommation, le géant américain a répondu que ce n’était pas recevable le service étant gratuit. Maitre Cottineau avait alors rappelé que le réseau social n’a une gratuite qu’apparente en raison de l’exploitation des données personnelles de l’utilisateur. Facebook a-t-il une chance d’échapper aux juridictions françaises ? Le délibéré sera rendu le 12 février prochain.
Rappelons que le 23 mars 2012, la Cour d’appel de Pau avait déjà considéré comme inapplicable cette clause de compétence aux motifs notamment qu’elle apparaît au milieu de 12 pages de CGU non numérotées et en anglais au sein desquelles l’utilisateur se perd. De plus, la Cour a retenu qu’il « suffit d’une simple et unique manipulation lors de l’accès au site (clic) et non d’une signature électronique pour que le consentement de l’utilisateur soit considéré comme acquis … » ce qui ne présume pas l’attention particulière de l’utilisateur sur la clause.
Les controverses concernant « les standards de communauté » de Facebook
La politique de Facebook et notamment le volet concernant sa censure ne cesse de susciter des débats. En matière de nudité Facebook entend en « limiter l’affichage », il restreint alors « certaines images de poitrines féminines si elles montrent le mamelon » au motif que « certaines audiences au sein de notre communauté mondiale peuvent être sensibles à ce type de contenu, en particulier de par leur culture ou leur âge ». Cet argument pourrait apparaître légitime. Mais les « standards de la communauté » prêtent à réflexion quand on sait qu’il est plus facile d’inscrire un message raciste sur son mur que de partager une photo où la nudité est représentée.
Pour dénoncer cela, un photographe allemand, Olli Waldhauer, a voulu démontrer l’absurdité des règles de Facebook. Il a photographié une femme seins nus à côté d’un homme tenant une pancarte sur laquelle un message raciste est inscrit. L’affiche comportait également le message « Une des ces deux personnes viole les règles de Facebook ». Et en effet le cliché a bien été censuré deux heures après sa mise en ligne mais au motif de la nudité du mannequin et non du contenu raciste. Facebook se justifiera en disant qu’il met en place des règles qui peuvent être appliquées facilement lors des examens des contenus. Ici il était plus facile et rapide d’apprécier la nudité pour appliquer la censure plutôt que d’apprécier le caractère raciste du propos. De plus il ne faut pas oublier que Facebook est américain, là bas très vite la nudité peut apparaître comme pornographique et le réseau social entend protéger au mieux ses utilisateurs qui, nous le rappelons, sont autorisés à s’inscrire dès l’âge de 13 ans.
Les efforts en demi teinte du géant américain
Nous ne pouvons pas dire que toutes ces dénonciations sont vaines et que Facebook reste sourd face à ces critiques puisque le réseau social évolue. En effet pour exemple désormais le site ne censure plus les « peintures, sculptures et autres œuvres d’art illustrant des personnages nus », y compris les photos d’allaitement ou encore en rapport avec la mastectomie. Mais ces affirmations sont relatives.
En septembre 2015, Facebook censure une image d’un peintre danois représentant une femme nue devant un miroir avant de reconnaître que cette décision était « une erreur ». Plus récemment, le 2 janvier dernier, c’est cette fois une sculpture célèbre représentant une sirène visible dans le port de Copenhague que le réseau social a jugé trop dénudée et ayant une connotation sexuelle. Mette Gjerskov, une politicienne danoise anciennement ministre de l’Alimentation de l’Agriculture et de la Pêche, a voulu partager un lien vers son blog qui comprenait une photo de la Petite Sirène de Copenhague. L’image fût aussitôt censurée par Facebook car elle contenait « une trop grande partie de peau nue ou [dégageait] une connotation sexuelle ». Suite aux réclamations de Mette Gjerskov, le 3 janvier la photo fût de nouveau autorisée sur le réseau social. Cependant le cliché a de nouveau dû être retiré pour des raisons de droit d’auteur, la statue étant paradoxalement sous l’emprise du copyright jusqu’en 2029 alors que c’est une des œuvres les plus photographiées par les touristes au Danemark.
La politique de censure du réseau social au cœur des débats d’actualité
Actuellement Facebook fait partie d’un des moyens les plus utilisés par les groupes islamistes radicaux pour faire de la propagande ou encore pour recruter de nouveaux membres et notamment de France. On constate alors que le réseau social est attentif à supprimer des photos qui ont traits à la nudité mais laisse perdurer des profils et des pages de propagandes qui peuvent s’avérer très dangereuses. La politique de censure de Facebook mérite d’être actualisée en permanence aux vus des réels problèmes qui touchent notre société. Récemment la vidéo d’un viol présumé a circulé sur le réseau social. Suite à son signalement Facebook a envoyé ce message « nous avons examiné la vidéo que vous avez signalée pour nudité et avons déterminé qu’elle n’allait pas à l’encontre de nos standards de la communauté ». Ce qui prouve que les dispositifs de détection ne sont pas tout à fait au point. Néanmoins, la collaboration avec les autorités tend à être de plus en plus fluide et efficace malgré les difficultés qu’il peut y avoir à contrôler les utilisateurs d’un réseau social d’une telle envergure.
SOURCES
ANONYME, « Un avocat nantais met Facebook sur la sellette », presseocean.fr, publié le 5 janvier 2016 < http://www.presseocean.fr/actualite/justice-un-avocat-nantais-met-facebook-sur-la-sellette-05-01-2016-180322 >
GUITON (A.), « Facebook contre l’Origine du monde, le match en appel », liberation.fr, publié le 5 janvier 2016 < http://www.liberation.fr/futurs/2016/01/05/facebook-contre-l-origine-du-monde-le-match-en-appel_1424536 >
KARAYAN (R.), « Seins nus, racisme… Faut-il désespérer de la censure de Facebook », lexpansion.lexpress.fr, publié le 3 novembre 2015 < http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/seins-nus-racisme-faut-il-desesperer-de-la-censure-sur-facebook_1731870.html >
PAULET (A.), « Facebook censure la Petite Sirène de Copenhague », lefigaro.fr, publié le 5 janvier 2016 < http://www.lefigaro.fr/culture/2016/01/05/03004-20160105ARTFIG00047-facebook-censure-la-petite-sirene-de-copenhague.php >
PAULET (A.), « L’Origine du monde, la bête noire juridique de Facebook », lefigaro.fr, publié le 6 janvier 2016 < http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2016/01/06/03015-20160106ARTFIG00290–l-origine-du-monde-la-bete-noire-juridique-de-facebook.php >