C’est par l’intermédiaire du réseau social Twitter, que Xavier Dolan, a été informé du changement de format de son film « Mommy » par la filiale britannique de Netflix. Furieux, celui-ci a alors publié une lettre ouverte début janvier, accusant la plateforme d’avoir dénaturé son film et les sommant de le rétablir dans le format original, ou à défaut de le supprimer de leur catalogue.
En effet, pour le réalisateur, l’une des particularité de l’oeuvre réside dans son format inhabituel. La quasi-totalité des scènes étant au format carré (1:1), hormis une scène clef où l’on revient à un ratio classique (1:85). Il s’agissait ici de choix artistiques du réalisateur, d’un parti pris visuel pour traduire un changement, le passage d’un sentiment d’oppression à celui d’une libération. Le format ne se trouvant ici pas accessoire à l’oeuvre mais étant bien un vecteur de diverses émotions.
Il poursuit dans sa diatribe : « Vous n’avez pas réalisé ce film. Vous ne l’avez pas écrit. Vous ne l’avez pas produit. Or, qui, à part moi, peut s’arroger le droit d’altérer mon film comme vous l’avez fait? Personne. ». Le réalisateur fait ici référence aux droits moraux, notamment au droit au respect de l’oeuvre, dont il est titulaire et que la plateforme vient d’enfreindre, s’arrogeant une prérogative dont elle ne disposait pas. L’accord de l’auteur était nécessaire pour pouvoir opérer une telle modification.
Netflix a alors prôné l’erreur technique et rétabli le film dans son format original. Le conflit fut donc résolu à l’amiable entre la firme et le réalisateur. Ce dernier a, à bon droit, estimé qu’il s’agissait d’une dénaturation de son oeuvre.
Comme le soulignait Henri Desbois, « la reconnaissance du droit moral (…) implique logiquement que le cessionnaire des droits patrimoniaux ne puisse sans l’assentiment de l’auteur modifier l’œuvre, qu’il a obtenu la permission de reproduire ou d’interpréter en public (…) Si un auteur peut, en toute liberté, décider que son œuvre sera livrée au public ou tenue au secret, il est fondé, par voie de corollaire, à exiger que l’exploitant ne prenne l’initiative d’aucun changement de son propre mouvement, car il n’aurait peut-être pas consenti à la divulgation en présence des retouches, qui ne lui ont pas été soumises » (Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 1978, no 440). Ainsi, si le contentieux avait été porté devant le juge, le réalisateur aurait certainement obtenu gain de cause sur le fondement des droits moraux de l’auteur d’une oeuvre de l’esprit, ce dernier n’ayant pas donné son accord à la modification.
LES DROITS MORAUX DE L’AUTEUR D’UNE OEUVRE DE L’ESPRIT
Le droit d’auteur, confère à son titulaire, des droits patrimoniaux et extra patrimoniaux (plus communément appelés droits moraux) sur son oeuvre. Ces derniers en sont une composante forte. L’article L121-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que, « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre ».
L’oeuvre doit être originale pour bénéficier de la protection accordée par le droit d’auteur, ce qui correspond à l’expression de la personnalité de l’auteur. Ces prérogatives morales sont donc attachées à la personne même de l’auteur. Elles sont perpétuelles (demeurent après la mort de l’auteur), imprescriptibles, inaliénables (on ne peut les céder) et insaisissables (a défaut du consentement de l’auteur l’oeuvre ne peut être commercialisée ou saisie). A la mort de l’auteur, elles seront transmises aux héritiers et ayants droits. Ces derniers pourront exercer ces prérogatives et ce même si l’oeuvre et tombée dans le domaine public.
Par ces prérogatives morales, l’auteur se voit donc reconnaitre un certain nombre de droits, à savoir, le droit de divulgation (mise en contact de l’oeuvre avec le public), de paternité (permettant à l’auteur d’afficher ou non sa filiation avec son oeuvre), mais également, le droit de retrait et de repentir (pour retirer une oeuvre du circuit économique), et enfin le droit au respect de l’intégrité de son oeuvre. Ce dernier fait l’objet d’une jurisprudence abondante notamment concernant l’oeuvre audiovisuelle. Il s’agit du droit de l’auteur, à s’opposer à toute modification de son oeuvre.
LES DROITS MORAUX FACES AU COPYRIGHT
Cette conception forte des droits moraux, attachée au créateur de l’oeuvre, n’est pas universelle. Le système du copyright américain (littéralement droit de copier) adopté par les pays anglo-saxons en est la parfaite illustration. Ce dernier se rapproche de la logique du brevet, s’inscrit dans une logique plus utilitariste et non une philosophie de la création. Ainsi, le Royaume-Uni, l’Irlande, les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, utilisent ce système. Historiquement, les auteurs ne se voyaient reconnaitre que des droits patrimoniaux et les droits moraux n’existaient pas.
Nous sommes ici véritablement dans une logique plus économique. Concernant l’oeuvre audiovisuelle américaine, l’auteur pourra changer au gré des ventes de catalogues; en effet le producteur y est considéré comme l’auteur. A ce sujet, une fiche pratique de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) comparant notre système de droit d’auteur et celui du copyright est accessible en ligne.
UNE HARMONISATION INTERNATIONALE EN LA MATIÈRE
Cependant, la Convention de Bernes de 1971, ratifiée par 168 Etats, est venue harmoniser les législations en la matière et intégrer les droits moraux. Ces derniers, sont inscrits à l’article 6bis du texte précité. En vertu de ce dernier, et « Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession desdits droits », l’auteur, « conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation ». On peut y voir ici une transcription des droits moraux que nous connaissons dans notre droit interne.
LES DROITS MORAUX SONT D’ORDRE PUBLIC
On peut ici évoquer les droits moraux des héritiers de John Hudson ( réalisateur décédé en 1987). Son film « Asphalt Jungle » ( dont le titre français est « Quand la ville dort »), fut coloré malgré l’opposition de ces derniers et commercialisé aux Etats Unis. Ils arguaient en défense, l’opposition du réalisateur de son vivant à la colorisation de son film « Le faucon maltais », interprétant alors que pour cette seconde oeuvre l’auteur aurait également considéré qu’il s’agissait d’une dénaturation de son oeuvre.
L’affaire fut portée devant le juge français à l’occasion de sa programmation sur une chaîne française de télévision. Les juges vont d’abord se reporter aux règles du copyright américain et aux contrats conclus. Ces derniers n’interdisaient pas de modifications de l’oeuvre sans l’accord de l’auteur ou des héritiers. Cependant, les juges souverains, dans une audience publique du 29 mai 1991, vont casser l’arrêt des juges du fonds et juger que « aucune atteinte ne peut être portée à l’intégrité d’une oeuvre littéraire ou artistique, quel que soit l’Etat sur le territoire duquel cette oeuvre a été divulguée pour la première fois ».
Il parait donc opportun de prévoir contractuellement les éléments de l’oeuvre qui pourraient faire l’objet d’une modification lors de son exploitation. Cela permettrait de trouver un équilibre entre les droits moraux des auteurs et l’exploitation normale de l’oeuvre. De telles clauses, pour être licites, devront répondre à certaines exigences, à savoir notamment de ne pas avoir pour finalité de restreindre les droits moraux de l’auteur.
L’AUTORISATION PREALABLE DE MODIFICATION
A ce sujet, la Cour de cassation en 2009 dans la célèbre jurisprudence « On va fluncher » a jugé que « l’inaliénabilité du droit au respect de l’oeuvre, principe d’ordre public, s’oppose à ce que l’auteur abandonne au cessionnaire, de façon préalable et générale, l’appréciation exclusive des utilisation, diffusion, adaptation, retrait, adjonction et changement auxquels il plairait à ce dernier de procéder ». Ces clauses ne sont pas prohibées mais strictement encadrées. Pour être licites, Il faudra qu’elles n’accordent pas un trop grand pouvoir discrétionnaire au cessionnaire des droits. Il faut que cette possibilité de modification soit justifiée, qu’elle soit circonstanciée. On pourrait par exemple prévoir une autorisation de modification de l’oeuvre pour des raisons d’ordre technique et fixer alors dans quel cadre ces modifications pourraient être apportées.
Par ces clauses et dans ces conditions, l’auteur ne cèderait alors pas son droit moral mais l’exercerait. Ainsi, une coupure publicitaire, par exemple, ou encore l’incrustation du logo d’une chaine télévisée lors de la diffusion d’une oeuvre sur petit écran, ne porterait pas atteinte au respect de l’intégrité de l’oeuvre mais pourrait faire l’objet d’une autorisation contractuelle préalable.
SOURCES :
BALAGNA M., “Droit d’auteur et copyright : quelles différences ?”, consulté le 23 janvier 2016, <http://www.eauteur.com/2011/05/droit-dauteur-et-copyright-quelles-differences/>.
BENHAMOU F. et FARCHY J., “Droit d’auteur et copyright”, consulté le 23 janvier 2016, <https://books.google.fr/books?id=TyB9k7Gfy0QC&pg=PA24&lpg…>
LE MONDE, « Xavier Dolan à Netflix : “Ne touchez pas à mon film” », lemonde.fr, consulté le 23 janvier 2016, <http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2016/01/05/xavier-dolan-a-netflix-ne-touchez-pas-a-mon-film/#xtor=RSS-3208>.
SACD, “Droit d’auteur et copyright”, consulté le 23 janvier 2016, <http://www.sacd.fr/Droit-d-auteur-et-copyright.201.0.html>.