L’artiste peintre et photographe américain Richard Prince, souvent surnommé « The Prince of Appropriation » par ses détracteurs, a une nouvelle fois été accusé d’avoir contrefait l’œuvre d’un autre artiste. Richard Prince a construit sa carrière en reprenant des photographies d’autres artistes pour se les approprier et en faire une œuvre nouvelle. Cette pratique de l’art de la réappropriation lui a souvent été reprochée comme cela est le cas avec sa dernière exposition intitulé « New Portraits ». Une des œuvres exposées a été réalisée à partir d’un cliché du photographe Donald Graham qui a décidé d’agir pour contrefaçon devant la justice américaine.
La jurisprudence Cariou v. Prince
Ce n’est pas la première fois qu’il est reproché à Richard Prince d’avoir contrefait une œuvre originale. En 2008, une plainte pour « copyright infringement », c’est-à-dire contrefaçon, avait déjà été déposée par le photographe français Patrick Cariou. Ce dernier reprochait à Richard Prince d’avoir repris une quarantaine de ses photographies provenant de son livre « Yes Rasta » pour en faire ses propres œuvres transformatives. Chaque photographie avait été réinterprétée avec des ajouts de peinture et des collages pour en faire une exposition que Richard Prince à nommé « Canal Zone ».
Suite à la plainte de Patrick Cariou, l’affaire a été d’abord portée devant la juridiction de New York en 2011 qui va rendre une décision en faveur du photographe français. Cependant, Richard Prince va faire appel de ce jugement et les parties se retrouve devant la Cour d’Appel fédérale des Etats-Unis qui rend alors le célèbre arrêt Cariou v. Prince en 2013. La Cour d’Appel va annuler la décision de 2011 en considérant qu’il n’y avait pas de contrefaçon de la part de Richard Prince qui avait fait un usage normal de la notion d’œuvre transformative. Cet usage normal correspond dans le droit américain à la notion de « fair use ».
L’argument principal qui était avancé par la défense de Richard Prince était que son exposition « Canal Zone » n’avait aucun impact négatif sur les photographies et sur la liberté de création de Patrick Cariou.
Cet arrêt a été très commenté par les auteurs anglo-saxons et, par la même occasion, très souvent critiqué. En effet, c’est la première fois que la justice américaine donne une définition aussi large d’une œuvre transformative. Ainsi, la Cour d’Appel fédérale devient désormais la plus libérale en matière de « fair use ».
La notion de « fair use » appliquée aux œuvres transformatives
Lors de l’affaire Cariou v. Prince, l’usage qu’avait fait Richard Prince des photographies de Patrick Cariou a été considéré comme étant en accord avec le « fair use ». C’est-à-dire qu’il s’agissait d’une réappropriation d’œuvres en conformité avec le « copyright » américain (qui correspond au système des droits d’auteur en France). On peut traduire le terme de « fair use » par « usage loyal, raisonnable ».
La notion américaine de « fair use » permet un usage limité d’une œuvre protégée. Elle encadre ainsi les droits de l’auteur d’une œuvre. Le droit américain n’a pas une liste précise de ce qui autorisé et ce qui est interdit. Au contraire, des critères ont été mis en place pour laisser les juges apprécier si l’utilisation, en l’espèce, est loyale ou non.
Il existe quatre éléments qui doivent être réunis pour considérer que l’usage d’une œuvre s’est fait dans le cadre légal du « fair use ». Le premier élément correspond au but et à la nature de l’usage fait de l’œuvre originale. On regarde par exemple s’il s’agit d’un but commercial ou éducatif et sans but lucratif. Le deuxième élément porte sur la nature de l’œuvre transformative et son contenu. Le troisième élément traite de la quantité et de l’importance de la partie de l’œuvre originale qui a été utilisée par l’œuvre transformative. Enfin, le quatrième élément s’attache au marché potentiel et à la valeur de l’œuvre transformative. Cet élément est très important et signifie que le marché de l’œuvre originale et celui de l’œuvre transformative ne doivent pas se retrouver en concurrence.
L’application du test du « fair use » à la nouvelle exposition de Richard Prince « New Portraits »
La nouvelle exposition de Richard Prince a donc été suivie d’une plainte du photographe Donald Graham qui a vu l’une de ses photos reprise par l’artiste. Dans le cadre de sa nouvelle exposition, Richard Prince a pris pour base des images provenant du réseau social Instagram. A partir de celles-ci, Richard Prince a simplement ajouté un commentaire en bas de l’image, comme s’il avait lui même réellement commenté la photo sur le réseau social. En dehors de quelques modifications de cadrage, ce commentaire est la seule modification qui a été faite par l’artiste. Cette exposition avait pour démarche la critique des réseaux sociaux.
Le photographe Donald Graham reproche ainsi à Richard Prince d’avoir repris sa photo originale sans son autorisation et l’accuse de contrefaçon. Pour Donald Graham, l’œuvre faite à partir de sa photographie ne comporte pas assez de modifications pour pouvoir être considérée comme une œuvre transformative et rentrer dans le cadre du « fair use ».
Pour savoir si les droits d’auteur de Donald Graham ont été bafoués, les juges devront, pendant le procès, appliquer le test en quatre étapes du « fair use » pour juger de l’utilisation de l’œuvre originale par Richard Prince. Par comparaison avec l’affaire Cariou v. Prince, on peut observer une différence principale, ayant attrait à la quatrième étape du « fair use », laquelle fera peut-être pencher la balance du côté de la protection des droits d’auteur dans le procès à venir.
En effet, le quatrième critère du test du « fair use » concerne l’effet que l’œuvre nouvelle aurait sur le marché potentiel de l’œuvre originale. C’est-à-dire que l’œuvre de Richard Prince ne doit pas empiéter sur le marché économique de la photographie de Donald Graham. Or, dans le procès contre Patrick Cariou en 2013, ce dernier n’avait pas imprimé et exposé ses photographies. Elles étaient uniquement présentes dans son livre « Yes Rasta ». Le marché potentiel n’était donc pas le même. Le livre de Patrick Cariou étant destiné au grand public, alors que les œuvres de Richard Prince étant exposées dans des galeries étaient destinés à être vendus aux collectionneurs d’art. N’ayant pas d’empiétement sur le marché de Patrick Cariou, le test du « fair use » avait été considéré rempli par les juges, rendant ainsi l’utilisation des photographies par Richard Prince légale.
Au contraire, dans le cas actuel, l’artiste Donald Graham a exclusivement vendu ses photographies à des collectionneurs d’art. Ce qui est également le cas de Richard Prince avec son exposition « New Portraits ». Le marché potentiel est donc le même. De plus, chaque œuvre de Richard Prince a été vendu pour plusieurs milliers de dollars. Il y a donc clairement un manque à gagner pour Donald Graham. Le procès à venir nous dira donc si cette différence par rapport au cas des photographies de Patrick Cariou pourrait faire la différence dans le test du « fair use ».
Vers un assouplissement du droit d’auteur américain ?
Richard Prince fait partie d’un mouvement plus large favorable un assouplissement du droit d’auteur. Certains souhaitent même voir sa disparition. Cette revendication est expliquée par l’ère d’internet qui a changé notre façon de diffuser les œuvres. Le but est ici de renforcer la liberté de création.
L’artiste américain avait déjà fait entendre son désintérêt pour les règles du droit d’auteur quand il disait en 2011 à l’occasion d’une plainte contre son travail : « Copyright has never interested me » (le droit d’auteur ne m’a jamais intéressé).
Richard Prince tente, à sa manière, de repousser un peu plus les limites du « fair use » américain. Il cherche à voir jusqu’où il peut aller dans l’utilisation d’œuvres originales. Il sait pertinemment qu’il risque de tomber sous le coup de la contrefaçon, et sans doute le fait-il pour provoquer une réponse publique face aux nouvelles limites du droit d’auteur.
Si une grande partie des professionnels du milieu de la photographie reproche à Richard Prince son manque d’étique et de respect, il faut bien avouer que le procès à venir, initié par Donald Graham, risque d’être fort intéressant. Il va notamment permettre de voir jusqu’où les juges sont prêts à limiter le droit d’auteur.
Le procès est donc potentiellement susceptible de répondre à la question de savoir si la réappropriation d’une photographie selon un concept minimal comme le fait Richard Prince est de la contrefaçon ou non. Si les juges viennent à écarter la condamnation de Richard Prince pour contrefaçon, certains auteurs se demandent ce qu’il restera finalement du droit d’auteur.
SOURCES :
GAJANAN (M.), « Controversial artist Richard Prince sued for copyright infrigement », theguardian.com, publié le 4 janvier 2016, consulté le 7 janvier 2016, http://www.theguardian.com/artanddesign/2016/jan/04/richard-prince-sued-copyright-infringement-rastafarian-instagram
BOUCHER (B.), « Why experts say the latest copyright lawsuit against Richard Prince matters », news.artnet.com, publié le 5 janvier 2016, consulté le 7 janvier 2016, https://news.artnet.com/art-world/richard-prince-lawsuit-expert-opinions-402173
BATISTA (N.), « The latest Richard Prince controversy, clarified by patent and copyright attorney John Arsenault », fstoppers.com, publié le 28 mai 2015, consulté le 7 janvier 2016, https://fstoppers.com/business/latest-richard-prince-controversy-clarified-patent-and-copyright-attorney-john-71927