Le film « Antichrist » du réalisateur danois Lars Von Trier a de nouveau perdu son visa d’exploitation le mercredi 3 février 2016 suite à une décision de la cour administrative d’appel de Paris. Le film avait dès sa sortie, suscité de vives critiques quant à l’extrême violence de certaines scènes explicites de sexe et de mutilation. L’œuvre controversée a cependant permis à Charlotte Gainsbourg d’obtenir le prestigieux prix d’interprétation féminine au festival de Cannes en 2009. Comment sept ans plus tard, le film « Antichrist » continue-t-il de faire polémique ? Cette actualité permet de soulever la problématique de la classification des films traitant de sexualité ou présentant un caractère de grande violence. Si la classification d’un film X est plutôt évidente à faire, la distinction entre une interdiction aux mineurs de moins 16 ans et une interdiction à tous les mineurs est plus difficile à opérer du fait que la frontière entre les deux est particulièrement ténue. Pourtant les enjeux sont majeurs puisque de la classification va notamment dépendre les conditions d’exploitation de l’œuvre. On constate de plus en plus que l’appréciation faite entre une interdiction aux moins de 18 ans et une interdiction aux moins de 16 ans pose problème et est à l’origine des contentieux récents devant la justice administrative. Les recours menés depuis quelques années par une association catholique « Promouvoir » ont conduit à l’annulation du visa d’exploitation de nombreux films dont deux du réalisateur Lars Von Trier. Ces décisions administratives poussent à une réflexion sur la classification des films actuellement assurée par le ministre de la Culture après avis de la commission de classification du CNC (Centre National du Cinéma) en vertu des articles L. 211-1 et suivants du Code du cinéma et de l’image animée.
Au vu de la diversité des visas restrictifs existants, il convient donc d’aborder les difficultés de la classification des films à caractère violent ou pornographique et de voir notamment au travers du cas d’« Antichrist » comment ce système de classification se trouve de plus en plus contredit par les décisions d’annulation de visas d’exploitation rendues par la justice administrative au nom de la protection de l’enfance et de l’adolescence. Enfin, nous verrons que l’association « Promouvoir » renforcée dans ses actions par les quelques victoires obtenues récemment compte effectuer d’autres recours à l’encontre de films sortis cette année.
Le retrait du visa d’exploitation d’Antichrist : Une classification des films régulièrement remise en cause au nom de la protection de l’enfance et de l’adolescence
L’article L. 211-1 du Code du cinéma et de l’image animée pose le principe selon lequel la représentation des œuvres cinématographiques est subordonnée à l’obtention de visas. En effet, ce texte précise que le visa « peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine ». Le visa d’exploitation d’une œuvre cinématographique est délivré par le ministre de la Culture après avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques. Cet avis présente les propositions des mesures de classification de l’œuvre que l’on retrouve à l’article R. 211-12 du Code du cinéma et de l’image animée. Si la commission estime que l’œuvre convient à tous les publics quel que soit leur âge, elle propose une « autorisation de la représentation pour tous publics ». En revanche si elle estime que l’œuvre présente des caractéristiques qui justifient qu’elle ne soit pas exposée à la vue des mineurs, elle va proposer une interdiction de la représentation aux mineurs de moins de douze ans ou aux mineurs de moins de seize ans. Il existe une autre catégorie de restrictions reposant cette fois-ci sur le fondement de l’article L. 311-2 du code du cinéma et de l’image animée, cette dernière concerne les œuvres cinématographiques ou audiovisuels à caractère pornographique et d’incitation à la violence qui seront inscrites sur une liste spécifique par arrêté du ministre de la Culture, après avis de la Commission de classification. Dans le cadre de la réglementation du contrôle cinématographique cette inscription entraîne interdiction de représentation de l’œuvre cinématographique à toute personne mineure. Ce classement dit X emporte des conséquences financières importantes pour le producteur et le distributeur l’œuvre qui se voient privés du bénéfice de toute forme d’aide financière du CNC ainsi que l’exploitant qui la projette dans son établissement. Le critère avancé par la Commission pour l’inscription d’une œuvre cinématographique sur la liste des œuvres à caractère pornographique étant, en général, la représentation d’actes sexuels non simulés ou la représentation en gros plan d’organes sexuels. Il faut préciser que la commission peut également proposer au ministre une mesure d’interdiction de représentation aux mineurs de moins dix-huit ans sans inscription sur la liste prévue à l’article L. 311-2 du Code du cinéma et de l’image animée, lorsque l’œuvre « comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité, ne justifient pas une telle inscription ». L’interdiction aux moins de 18 ans distincte de la classification X, a été réintroduite en 2001 suite à la polémique suscitée par la sortie du film « Baise moi » de Mmes Virginie Despentes et Coralie Trinh-Thi. Le Conseil d’Etat avait procédé pour la première fois à l’annulation d’un visa d’exploitation de film dans un arrêt du 30 juin 2000.
La haute juridiction administrative, après avoir reconnu l’intérêt à agir d’une association familiale et de parents d’enfants âgés de plus de 16 ans et de moins de 18 ans a estimé que seul le classement X permettait une interdiction aux moins de 18 ans, alors que certaines œuvres cinématographiques nouvelles, ne se revendiquant pas comme pornographiques, pouvaient nécessiter une telle interdiction. En l’absence d’alternative, c’est donc sur le fondement de l’article 227-24 du Code pénal que le Conseil d’Etat a appuyé sa décision de classement X pour le film « Baise-Moi ». Ce texte prévoit que le fait de fabriquer, de transporter, de faire commerce ou de diffuser un message à caractère violent ou pornographique constitue un délit lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. On voit donc apparaître des difficultés quant à la qualification d’une œuvre cinématographique mettant en scène la sexualité ou la violence. Ainsi, le décret n° 2001-619 du 12 juillet 2001 vient introduire la possibilité d’assortir le visa accordé à un film d’une interdiction de représentation aux mineurs de 18 ans sans pour autant qu’il ne soit inscrit en classement X. Cette mesure de classification a été par la suite reprise dans le Code du cinéma et de l’image animée, et demeure aujourd’hui en vigueur.
La jurisprudence administrative tente depuis quelques années de clarifier ce que recouvrent les notions de scène de grande violence et de scène de sexe non simulée qui sous-tendent les récentes décisions d’annulation de visas d’exploitation jugés trop peu restrictif. Ainsi, par un arrêt du 1er juin 2015, le Conseil d’Etat a fait droit à la demande de l’association Promouvoir concernant le visa d’exploitation délivré par le ministre de la Culture au film d’horreur « SAW 3D Chapitre final », qui comportait une interdiction aux mineurs de moins de 16 ans, alors qu’il devait, selon elle, être interdit aux mineurs de moins 18 ans. Le ministre de la Culture avait accordé le visa litigieux au film en 2010, assorti de l’obligation d’informer les spectateurs de l’avertissement suivant : « Ce film comporte un grand nombre de scènes de torture particulièrement réalistes et d’une grande brutalité, voire sauvagerie ». Mais pour le Conseil d’Etat, cela ne suffit pas que car selon lui, le film comporte un grand nombre de scènes filmées avec un grand réalisme, montrant des actes répétés de torture et de barbarie et représentant, de manière particulièrement complaisante, les souffrances atroces, tant physiques que psychologiques, des victimes prises dans des pièges, mis au point par un tueur, où elles sont incitées à se mutiler elles-mêmes soit pour échapper à la mort, soit pour sauver des proches. L’arrêt précise enfin que de telles scènes, sans toutefois caractériser une incitation à la violence, comportent une représentation de la violence de nature à heurter la sensibilité des mineurs et justifient ainsi une interdiction de ce film aux moins de 18 ans.
Plus récemment, c’est au tour des films « La vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche Palme d’or au festival de Cannes 2013 et « Love » de Gaspar Noé Palme d’or au Festival de Cannes de défrayer la chronique et de remettre en cause le bon fonctionnement des interdictions d’accès aux salles du jeune public. Le visa d’exploitation du film « La Vie d’Adèle », interdit aux moins de 12 ans avec avertissement, a été annulé par la cour administrative d’appel de Paris en raison des « scènes de sexe réalistes » et « de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Le contentieux entourant l’attribution du visa du film « Love » aura donné au Conseil d’Etat l’occasion de donner un avis sur le fait de savoir si un film contenant de multiples scènes de sexe particulièrement explicite non simulées devait impérativement être interdit aux mineurs ou pouvait être interdit uniquement aux moins de 16 ans. Cela s’était déjà produit par le passé mais un revirement de jurisprudence est opéré par le Conseil qui estime que le film contenant des scènes de sexe non simulées doit être interdit aux mineurs. Plus remarquable encore, l’arrêt concernant « Love » fait apparaître pour la première fois une ébauche de définition sur ce qu’entend la justice administrative par la notion de scène de sexe non simulée. Une scène de sexe non simulé est au sens du Conseil d’Etat une scène qui présente « des pratiques à caractère sexuel […] sans aucune dissimulation » (voir à ce sujet note de jurisprudence IREDIC : CE, 30 Septembre 2015, Ministre de la Culture et de la communication C/ Association Promouvoir).
De nombreux contentieux ont donc illustré la difficulté résultant de la distinction entre l’interdiction aux mineurs moins de 18 ans non assortie d’une classification X et l’interdiction aux mineurs de moins de 16 ans. On constate que le critère de réalisme est particulièrement déterminant dans les décisions de la juridiction administrative. Cependant, comment réellement faire la différence entre ce qui n’est pas simulée et ce qui l’est ? La performance d’un acteur chevronné n’est-elle pas justement de rendre à l’écran le plus de réalisme possible dans les rôles et émotion qu’il est censé interpréter !
La dernière décision d’annulation d’un visa d’exploitation reflète cette incertitude persistante entre ces différents degrés interdiction. Le film « Antichrist » de Lars Von Trier connaît sa 3ème annulation de visa d’exploitation depuis sa sortie il y a sept ans. Après le film « Nymphomaniac volume 2 » du même réalisateur, « Antichrist » à l’origine interdit aux moins de 16 ans a finalement vu son visa d’exploitation annulé d’abord par le Conseil d’Etat puis par la Cour administrative d’appel de Paris qui s’est basée sur le fait que le film comporte des « scènes de très grande violence » et des « scènes de sexe non simulées », et qu’il présente « un degré de représentation de la violence et de la sexualité qui exige, au regard des dispositions réglementaires applicables, une interdiction de ce film à tous les mineurs ». Cette affaire a connu des rebondissements puisqu’en novembre 2009, saisi par les associations Promouvoir et Action pour la dignité humaine, le Conseil d’Etat avait déjà annulé ce visa, mais dès le lendemain, le ministre de la Culture M. Frédéric Mitterrand lui en avait accordé un nouveau. Même scénario en juin 2012 : à nouveau saisi par Promouvoir, le Conseil d’Etat l’annule une nouvelle fois au motif que la Commission de classification n’a pas réexaminé le film. La ministre de la Culture d’alors Mme Aurélie Filipetti le fait repasser devant ladite commission, qui maintient que l’interdiction aux moins de 16 ans est justifiée car le film ne comporte que « quelques brèves scènes de sexe non simulées » et qu’elles ne « justifient pas une interdiction aux mineurs de moins de 18 ans en raison du fait qu’elles n’occupent qu’une place limitée dans le film et se déroulent dans une atmosphère qui en relativise la portée ». La ministre lui avait donc accordé un nouveau visa.
La balle étant continuellement renvoyée du côté du ministère, il est nécessaire de trouver une classification plus claire et moins sujette à des remises en cause du fait de l’interprétation de notions trop floues malgré les tentatives de clarifications du juge administratif.
Une classification des films inadaptée face à la multiplication des recours en annulation des visas d’exploitation
L’association « Promouvoir » ne s’arrêtera pas là puisque le 14 février 2016, elle a d’ores et déjà lancé deux procédures à l’encontre du film « Bang Gang » d’Eva Husson actuellement interdit aux moins de 12 ans. La première est une demande d’annulation du visa d’exploitation auprès du tribunal administratif et la seconde, une demande de suspension dans l’attente de la décision de justice. Cette requête n’a pas été accordée mais l’association s’est pourvue en cassation. L’examen du dossier pour l’annulation est en cours.
D’autre part, le film « Les Huit Salopards » de Quentin Tarantino s’est également attiré les foudres de l’association catholique « Promouvoir » puisque cette dernière a annoncé le 6 février avoir fait un recours contre le visa d’exploitation de ce film. L’association estime que l’interdiction aux moins de 12 ans n’est pas appropriée en raison de « scènes de très grande violence » et demande la révision de cette interdiction.
Certains acteurs de la Culture et défenseurs de la liberté d’expression dénoncent un mouvement de censure à l’encontre de ces différents films ayant une finalité artistique et esthétique. Le Syndicat Français de la Critique de Cinéma a par ailleurs demandé que cessent « ces attaques répétées contre la création et les œuvres de cinéma ».
Derrière les questions de protection des mineurs et de liberté d’expression, se retrouvent aussi des enjeux économiques. Une interdiction aux moins de 18 ans entraîne une diffusion limitée, ce qui a des répercussions sur le prix d’acquisition de l’œuvre par le diffuseur, a notamment expliqué Vincent Maraval producteur du film « Love ». Ce dernier va même jusqu’à parler d’une « sanction économique ». Force est de constater qu’en l’état actuel des textes, des associations comme « Promouvoir » obtiennent facilement satisfaction en justice et donc face à ces contradictions répétées entre les visas accordés par le ministère de la culture et la justice administrative les annulant, la désormais ancienne ministre de la culture Fleur Pellerin a chargé le président de la commission de classification du CNC, Jean-François Mary, de lui présenter des propositions de réforme. L’objectif pour le ministère était d’ « améliorer et sécuriser la procédure de délivrance des visas » , avec « le souci de bien concilier la protection de la jeunesse » et « un cinéma libre, audacieux, en prise avec son temps » . Face à cette situation, plusieurs pistes sont envisagée par le président de la commission de classification du CNC comme par exemple « rétablir l’assimilation entre le X et l’interdiction aux moins de 18 ans » ou encore celle de trouver « une formulation qui fasse disparaître la notion de sexe non simulé ». Affaire à suivre sur un dossier qui pourrait bien intéresser la toute nouvelle ministre de la Culture Mme Audrey Azoulay anciennement directrice financière et juridique du CNC.
SOURCES :
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