Après une séparation amère de son/sa conjoint(e), certaines âmes en peine ont eu l’idée pour se venger de publier sur internet des photographies intimes de l’ex être aimé sans son consentement. En effet, tel est le principe de ce que l’on appelle désormais le « revenge porn » ou vengeance pornographique. Cette pratique de cyberharcèlement en provenance des États-Unis s’est malheureusement répandue corrélativement au développement fulgurant des réseaux sociaux et touchent majoritairement des femmes. Face à la recrudescence du phénomène, Mme. Catherine Coutelle députée et Présidente de la délégation aux droits des femmes (DDF) à l’Assemblée Nationale a déposé un amendement au Projet de loi « pour une République numérique », visant à sanctionner le « revenge porn ». À l’origine l’amendement prévoyait la pénalisation expresse du « revenge porn », cependant le gouvernement ayant émis un avis défavorable, le texte après avoir été quelque peu modifié a finalement été adopté le 21 janvier 2016 par l’Assemblée Nationale. Ainsi l’article 226-1 du Code pénal réprimant les atteintes à l’intimité de la vie privée pourrait être complété afin de mieux prendre en compte ces délits qui prospèrent sur la toile.
Nous allons donc nous pencher dans un premier temps sur la nécessaire adaptation de l’atteinte à l’intimité de la vie privée face à ces nouvelles pratiques sur internet puis dans un second temps, nous verrons qu’une fois en ligne, il est très difficile de procéder au retrait des images ou enregistrements litigieux constitutifs du préjudice.
La nécessité d’adaptation de l’atteinte à la l’intimité de la vie privée face au « revenge porn »
Les pratiques de vengeances pornographiques évoquées précédemment se multiplient à l’heure de l’explosion des moyens de communications électroniques et ce au détriment d’individus qui voient leur e-réputation totalement détruite par la présence sur internet de leur image dans des postures à caractère sexuel. Face à ce phénomène, les victimes ont la possibilité d’invoquer l’article 226-1 du Code pénal qui sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui soit en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel. Ou en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. Jusqu’ici, le « revenge porn » peut éventuellement entrer dans le cadre de cet article encore que le critère de « lieu privé » semble quelque peu restrictif. Mais la fin de l’article pose d’avantage problème. En effet, il est ajouté que lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. C’est ici que le bât blesse dans la mesure où le principe du « revenge porn » ne consiste pas forcément en la captation de l’image d’une personne qui n’est pas consentante à partir du moment où ces images seraient conservées dans la sphère intime du couple. Il s’agit de publier ces photographies par vengeance après une séparation houleuse ou non souhaitée. Ainsi, chaque juge traite au cas par cas et cela provoque de plus en plus de différences dans les condamnations. Récemment, souhaitant se venger de sa compagne l’ayant quitté pour un autre, un homme a publié une vidéo compromettante sur la page Facebook du nouveau compagnon. Sur les images tournées dans un lieu public, on pouvait y voir la jeune femme prodiguer une fellation à son compagnon. Dans cette affaire, un tribunal du Doubs a relaxé l’amoureux éconduit alors que le parquet avait demandé une condamnation pour atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal.
C’est pourquoi il est rapidement apparu que l’article 226-1 du Code pénal présentait des limites en matière de réparation d’un acte de « revenge porn » car il faut pouvoir établir que la photographie a été prise dans un lieu privé et l’existence d’une présomption de consentement n’est absolument pas adapté à ces situations. Il est donc difficile de faire condamner l’auteur du « revenge porn » au titre de la violation de l’intimité de la vie privée. Au final, l’arsenal pénal ne semble pas suffisant pour répondre aux réalités de notre temps.
C’est pourquoi, la députée Catherine Coutelle également Présidente de la délégation aux droits des femmes à l’Assemblée Nationale a proposé un amendement dans le cadre de la loi « pour une République numérique ». L’objectif affiché de la députée est de mieux sanctionner le « revenge porn » d’une part en prévoyant des circonstances aggravantes renforçant les peines encourues, d’autre part, en envisageant la possibilité d’engager des poursuites même si les images ont été prises dans un lieu public. Et enfin, il faut selon la parlementaire, clarifier les dispositions établissant une présomption de consentement, en prévoyant une exception dans le cas de photographies ou vidéos à caractère sexuel.
Le jeudi 21 janvier 2016, l’amendement n°841 de la députée a été adopté par l’Assemblée Nationale. Ce dernier vise donc à mieux réprimer le « revenge porn » et prévoit de modifier l’article 226-1 du Code pénal comme suit : « Est puni de 18 mois d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende le fait de transmettre ou de diffuser sans le consentement exprès de la personne, l’image ou la voix de celle-ci, prise dans un lieu public ou privé, dès lors qu’elle présente un caractère sexuel ». On notera par ailleurs, que la captation concernera aussi la voix de la personne plus sa seule image. Il est précisé dans l’exposé sommaire de ce texte, qu’il vise à introduire la notion de « consentement exprès » de la personne pour la diffusion de l’image ou de la voix de celle-ci, lorsqu’elle présente un caractère sexuel. Mais aussi à préciser explicitement que des poursuites peuvent être engagées sur le fondement de cet alinéa, que l’image ait été prise dans un lieu privé ou public. Le texte vise d’autre part à prévoir des circonstances aggravantes lorsqu’il est volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui par la diffusion d’une image à caractère sexuel sans le consentement exprès de la personne concernée pour la captation ainsi que pour la diffusion de celle-ci, compte tenu de la particulière gravité des violences pornographiques et des répercussions pour les victimes. En effet, « Les conséquences de ces violences virtuelles sont, elles, bien réelles : souffrances, anxiété, perte d’estime, isolement, décrochage scolaire, automutilation, voire actes suicidaires. Elles sont amplifiées par la diffusion massive que permet le numérique » a soutenu Mme. Coutelle. Sur ce point, elle est d’ailleurs rejointe par la Secrétaire d’Etat au numérique Axelle Lemaire qui déclare « Nous savons que les phénomènes qui sont visés génèrent de grandes souffrances : 90 % des victimes sont des femmes, et certaines d’entre elles parlent même de viol virtuel ».
D’autres pays ont d’ores et déjà légiféré contre la vengeance pornographique, c’est le cas en Angleterre et au Pays-de-Galles où la pratique est depuis février 2016 un délit passible de 2 ans d’emprisonnement. Hors Union Européenne, dix-sept Etats américains, le Canada le Japon adoptent des lois spécifiques en la matière. En Israël a même été créé un crime de « viol virtuel ».
Malheureusement une fois publiés, ces contenus prospèrent sur internet et malgré la pénalisation de l’auteur du délit, ils continuent de produire des effets négatifs sur la e-réputation de la victime. Il apparaît donc intéressant de se pencher dans un second temps sur le difficile retrait sur internet des photographies ou enregistrements incriminés.
Le difficile « oubli » sur internet des contenus incriminés : l’efficacité relative du droit au déréférencement
S’il est certes important de réprimer les actes de « revenge porn », qu’en est-il du devenir des publications gênantes sur internet qui ont éventuellement pu faire l’objet de captures d’écran ou de nouvelles publications par d’autres personnes ? De plus, ce qui a été publié même effacé existe toujours. Les images et/ou enregistrements à caractère sexuel mis en ligne peuvent porter préjudice à une personne tout au long de sa vie que ce soit professionnelle, familiale, sentimentale…
Depuis l’arrêt C-131/12 du 13 mai 2014 rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) « Google Spain SL, Google Inc. / Agencia Española de Protección de Datos, Mario Costeja González », les particuliers peuvent obtenir, sous certaines conditions, la suppression des liens vers des pages Internet comportant des données personnelles en adressant un formulaire à Google. Il s’agit du fameux droit à l’oubli qui est en fait un droit au déréférencement. S’il s’agit d’une avancée, sa portée est cependant à relativiser car se pose le problème de la territorialité. En effet, un contenu déréférencé sur Google France ne le sera pas sur Google Espagne par exemple. En effet, le déréférencement consiste à supprimer certains résultats figurant dans la liste de ceux affichés par un moteur de recherche après une requête effectuée sur la base de données relative à une personne. Cette suppression ne signifie en aucun cas l’effacement de l’information sur le site internet source. Le contenu original reste inchangé et est toujours accessible via les moteurs de recherche en utilisant d’autres mots clés de recherche ou en allant directement sur le site à l’origine de la diffusion. Problématique sur laquelle s’est longuement exprimée Mme. Isabelle Falque-Pierrotin Présidente de la CNIL qui déclare « Notre raisonnement consiste à dire qu’en vertu de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, ce droit au déréférencement est offert aux personnes physiques européennes, dès lors que le responsable de traitement est soumis au droit européen. Or le traitement de Google est un traitement mondial. Les extensions .fr, .it, .com ne sont pas le traitement, c’est le chemin technique d’accès au traitement. Le traitement, lui, c’est le même pour tout le monde. Google a donc choisi d’avoir un traitement mondial, très bien. Mais dès lors que le déréférencement est octroyé, alors il doit naturellement être effectif sur l’ensemble des extensions liées à ce traitement ! ». En pratique, si une personne obtient l’effacement de données personnelles non adéquates, ce coup de gomme sera effectif depuis la France ou les autres pays européens, mais pas au-delà.
D’autres moteurs de recherches tels que Yahoo et Bing proposent également des formulaires en ligne en vue de bloquer des résultats de recherches sur ces derniers. Cependant, si le moteur de recherche estime qu’une demande est manifestement abusive, il peut ne pas y donner suite. Toute personne résidant en France peut alors saisir la CNIL à la suite d’un refus de déréférencement.
Face à ces difficultés, il serait peut-être opportun suite à une décision pénale sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal d’accompagner la victime en instaurant un dispositif exceptionnel visant à faciliter un retrait ou du moins un déréférencement des contenus mis en cause. Car même si une condamnation a été prononcée, le préjudice morale et psychologique se poursuit par la présence et l’éventuelle propagation de ces contenus !
SOURCES :
Site internet de la députée Catherine Coutelle : http://www.catherinecoutelle.fr
BERNE (X.), « Les sanctions contre le revenge porn portées à deux ans de prison et 60 000 euros d’amende », nextinpact.com, publié le 23 janvier 2016, consulté le 20 février 2016, <http://www.nextinpact.com/news/98208-les-sanctions-contre-revenge-porn-portees-a-deux-ans-prison-et-60-000-euros-d-amende.htm>
JAHN (A.-S.) et NEUER (L.), « Revenge porn : faut-il créer une nouvelle infraction ? », lepoint.fr, publié le 8 février, consulté le 20 février 2016, <http://www.lepoint.fr/justice-internet/au-tribunal-de-l-internet-revenge-porn-faut-il-creer-une-nouvelle-infraction-08-02-2016-2016189_2081.php>
ANONYME, « Les députés veulent que le revenge porn soit passible de 2 ans de prison », huffingtonpost.fr, publié le 22 janvier 2016, consulté le 20 février 2016, <http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/22/revenge-porn-deputes-amendement-passible-2-ans-prison_n_9047580.html>
BALLET (V.), « Le revenge porn bientôt puni par la loi française ? », next.liberation.fr, publié le 19 janvier 2016, consulté le 20 février 2016, <http://next.liberation.fr/culture-next/2016/01/19/le-revenge-porn-bientot-puni-par-la-loi-francaise_1427157>
ANONYME, « Revenge porn illegal under new law in England and Wales », bbc.com, publié le 12 février 2016, consulté le 28 février 2016, <http://www.bbc.com/news/uk-31429026>
CHAMPEAU (G.), « L’interdiction du revenge porn bientôt inscrite dans le code pénal ? », numerama.com, publié le 14 janvier 2016, consulté le 20 février 2016, <http://www.numerama.com/politique/138891-linterdiction-du-revenge-porn-inscrite-dans-le-code-penal.html#yuzzYRU0oiAO2hYJ.99>
CHAMPEAU (G.), « Revenge porn : la peine alourdie par les députés », numerama.com, publié le 22 janvier 2016, consulté le 20 février 2016, <http://www.numerama.com/politique/140254-revenge-porn-la-peine-alourdie-par-lassemblee-nationale.html>
BOUANCHAUD (C.), « Que peut la loi contre le revenge porn ? », europe1.fr, publié le 18 avril 2014, consulté le 20 février 2016, <http://www.europe1.fr/france/que-peut-la-loi-contre-le-revenge-porn-2097131>