En ce début d’année 2016 Facebook se retrouve sous le feu des projecteurs des autorités telle que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), des juridictions et par conséquent des médias.
Le 9 février 2016, Facebook a été mis publiquement en demeure par la CNIL de se conformer à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978.
Le 12 février 2016, la Cour d’appel de Paris est venue confirmer une décision du 5 mars 2015 du Tribunal de Grande Instance, reflétant en tout point le problème de territorialité qui se pose lors de litiges internationaux. En effet, comme dans de nombreux domaines du droit international, la question de la territorialité se pose. C’est notamment vrai pour le droit international des télécommunications. Lors d’un litige international, des interrogations demeurent : quels sont le droit et la loi applicables, quelle juridiction nationale est compétente?
Dans la situation factuelle traitée, il était question, du moins dans la forme, de la légalité d’une clause attributive de compétence agréée par tous les utilisateurs de Facebook lors de leur inscription. Cette clause désignait comme seules compétentes les juridictions de l’Etat Californien. Toutefois suite aux décisions précitées, les juridictions françaises sont désormais également habilitées à trancher des litiges à l’encontre du réseau social américain, Facebook.
Un tableau assimilé à de la pornographie, engendrant la suppression d’un compte Facebook
Afin de comprendre la décision du 12 février 2016, il convient procéder à un rappel des faits.
En 2011, les services de Facebook suppriment le compte d’un enseignant parisien pour avoir publié une photographie du tableau de Gustave Courbet, « L’Origine du Monde », représentant le sexe d’une femme. Au regard des conditions générales d’utilisation de Facebook, la publication contrevenait à « la déclaration des droits et responsabilités, comme l’en inform[ait] le réseau social ». Des conditions que tout utilisateur accepte nécessairement lors de son inscription sur le site. La déclaration interdit ainsi la publication de tout contenu «incitant à la haine ou à la violence, menaçants, à caractère pornographique ou contenant de la nudité ou de la violence gratuite». A l’époque, cette prohibition incluait les œuvres d’art, les peintures.
Le requérant fut outré que le tableau puisse être comparé à de la pornographie et a considéré la suppression de son compte, à ce titre, comme une atteinte à sa liberté d’expression. Il assigna donc Facebook France (établissement français de la société Facebook Uk Ldt) en justice le 4 octobre 2011 par le biais d’une action en responsabilité afin d’obtenir la réactivation de son compte ainsi que des dommages et intérêts.
Toutefois, Facebook avait intégré à l’article 15 de ses conditions générales d’utilisation une clause attributive de compétence au profit des tribunaux californiens ou de ceux du comté de San Mateo. A ce titre Mark Zuckerberg en mars 2012, souleva l’irrecevabilité de l’action du requérant, d’autant plus que l’établissement français n’avait selon lui qu’une activité d’agence de publicité. L’enseignant assigna alors en intervention forcée la société Facebook Inc, et se désista de sa première instance. Facebook répliqua alors le 13 mai 2014 en arguant l’incident d’incompétence. La société s’opposait fermement à ce que son réseau social soit jugé par un autre tribunal, qu’un tribunal californien. A partir de là, le litige n’était plus jugé sur le fond mais sur la forme. La question se posait alors, quel juge était compétent et quelle législation était applicable en l’espèce ?
La clause attributive de compétence de Facebook, jugée abusive
Le Tribunal de Grande Instance de Paris par une ordonnance du 5 mars 2015, décréta la clause attributive de compétence en faveur des juridictions de l’Etat californien, essentiellement, abusive et considéra le juge français compétent. Il rejeta donc l’incident d’incompétence. L’entreprise Facebook interjeta appel devant la Cour d’Appel de Paris afin de faire constater l’incompétence des juges français et par déduction reconnaître la licéité de la clause litigieuse. La Cour, par un arrêt du 12 février 2016 donna raison à l’enseignant et entérina ainsi la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris. Le juge français est désormais pour sûr compétent pour juger Facebook.
Les deux juridictions françaises estimèrent que le litige portait sur un contrat de consommation, ce qui leur permettait, en partie, d’aller sur le terrain du droit de la consommation et également celui des clauses abusives. En effet, cette clause attributive de compétence dissuadait la saisine des juridictions californiennes et privait également des millions de justiciables de leur droit de saisir la justice française, d’obtenir gain de cause à l’encontre de Facebook. Elle créait dès lors un déséquilibre entre les droits et les obligations des contractants, en faveur de la société défenderesse. Un déséquilibre significatif, sur le fondement de l’article L.132-1 alinéa 1 du code de la consommation, qui permet la qualification de la clause attributive de compétence comme une clause abusive. L’article dispose effectivement que « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
Pourquoi la relation du réseau social avec son inscrit est considérée être une relation contractuelle, et plus exactement un « contrat de consommation » ? En l’espèce, le contrat consiste en une offre gratuite de service d’un réseau social par la société Facebook Inc acceptée par l’utilisateur lors de la création de son compte Facebook. Une création réalisée dans un but étranger à son activité professionnelle, ce qui fait de l’internaute un non professionnel et donc un consommateur. La qualité de professionnel de Facebook, quant à elle, est indéniable en ce que l’entreprise tire des bénéfices de la vente des données personnelles des utilisateurs, les applications payantes et les ventes d’espaces publicitaires à des annonceurs. A ces égards, l’application de la législation relative aux clauses abusives était donc justifiée.
Par ailleurs, le règlement européen du 22 décembre 2000 donne compétence au juge français pour juger le réseau social, en son article 16 qui dispose « L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié ».
Enfin, pour conclure, la Cour d’appel de Paris en entérinant la compétence du juge français pour connaître des litiges se rapportant à Facebook, pourrait avoir fait acte de jurisprudence, selon l’avocat de l’enseignant parisien. Cet arrêt incite, indéniablement, les « géants du net » qui disposeraient d’une clause attributive de compétence à reprendre leurs conditions générales d’utilisation. Ils ne peuvent plus faire fi de la justice étrangère, notamment de la justice française et de la justice allemande, par exemple, qui avait pris pareille décision en février 2014.
Il reste à traiter le fond du litige et à se demander si cette affaire ne pourrait pas inciter le droit international à évoluer et à faciliter l’efficacité de la justice sur le plan international, dans le secteur des télécommunications internationales.
SOURCES :
REYNAUD (F.) « La justice confirme que les tribunaux français peuvent juger Facebook », Le Monde.fr, publié le 12 février 2016, <http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/02/12/la-justice-francaise-est-competente-pour-juger-facebook_4864381_4408996.html>
LEGRIS (C.), «La clause de compétence de Facebook est abusive», Alain Benssoussan Avocats, publié le 25 février 2016, < http://www.alain-bensoussan.com/competence-de-facebook/2016/02/25/>
GRONDIN (A.),«Oui, il est possible de poursuivre Facebook devant les tribunaux français», LesEchos.fr, publié le 12 février 2016, <http://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/021693562429-oui-facebook-va-etre-poursuivi-en-france-1199928.php>