A l’occasion de la dernière conférence E3 (Electronic Entertainement Expo), plus grand salon du jeux vidéo au monde se tenant chaque année à Los Angeles, Microsoft acteur majeur sur le marché des consoles de salon a annoncé une nouvelle « feature » intégrée au système d’exploitation de sa console via une mise à jour (Xbox One): la rétrocompatibilité des jeux de l’ancienne génération à savoir la Xbox 360.
Alors que d’un côté Nintendo acteur historique inclut cette possibilité dès le lancement de sa machine la Wii U, cette annonce a quelque peu secoué la scène vidéoludique mondiale.
En effet, Sony avec sa Playstation 4 a tout simplement abandonné cette possibilité et Microsoft semblait lui emboîter le pas considérant que cet usage n’apportait finalement que peu au consommateur et surtout peu rentable pour lui.
Simplement, l’évolution technologique faisant, à chaque nouvelle génération de console (en moyenne 5 ans), les anciens logiciels (jeux-vidéo) deviennent incompatibles avec la nouvelle machine.
Ainsi le consommateur ne peut utiliser un logiciel ancien sur une nouvelle machine pourtant plus puissante et doit donc conserver son ancien appareil pour pouvoir l’utiliser.
Cependant cette rétrocompatibilité vient répondre à un certain besoin. Si l’innovation est au cœur du secteur une autre mouvance diamétralement opposée s’est développée à savoir le « rétro-gaming ».
Il s’agit d’un retour aux sources de certains joueurs voulu par les joueurs qui souhaitent rejouer à des jeux bien plus anciens.
Ces jeux ne sont d’une part plus commercialisés et d’autre part la plateforme sur laquelle ils fonctionnent est si ancienne qu’elle a de grande chance de ne plus fonctionner.
Apparaissent alors ce que l’on appelle des émulateurs, Ce logiciel permet de simuler l’interface d’une ancienne console et ainsi de pouvoir accéder à ses jeux vidéo d’un autre temps sur un appareil moderne. Ce type de logiciel peut fonctionner sur Pc principalement mais aussi sur console.
Si les constructeurs ont pu créer de tels logiciels, comme c’est le cas avec Nintendo et depuis quelques temps Microsoft, ces logiciels « propriétaires » n’en demeurent pas moins limités en ce qu’ils permettent tout au plus de jouer aux jeux de la génération précédente. (en tout cas pour Microsoft)
Ainsi des logiciels créés par des développeurs tiers sont apparu au courant de ces dernières années, et viennent combler ce manque en proposant par le biais d’un logiciel unique de pouvoir jouer à un catalogue étoffé de jeux vidéo d’anciennes générations et ceux de toutes plateformes confondues. Exit donc la guerre des constructeurs qui se retrouvent tous dans un même logiciel.
L’émulation de jeux vidéo par un développeur tiers une atteinte caractérisée aux droits d’auteur
La protection du jeu vidéo en droit français s’assimile à celle du logiciel, elle a été reconnue dans un arrêt fondateur l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 7 mars 1986 considérant que le logiciel était une œuvre de l’esprit protégeable.
L’émulation suppose une modification du Bios de la console, à savoir de façon succincte l’ensemble des commandes de l’appareil, ce qui lui permet de fonctionner, il s’agit donc de la matrice même de l’appareil constituée d’une succession de lignes de code. Cette modification constitue alors un acte de contrefaçon au sens du code de la propriété intellectuelle.
S’ensuit alors un autre acte de contrefaçon, en effet simuler le logiciel interne d’une console ne suffit pas il faut également mettre à disposition les jeux en eux même.
Si la transposition d’un logiciel reposant sur un support auparavant physique vers un support dématérialisé, de la cartouche propriétaire en passant par le support cd pour arriver aujourd’hui au Blu-Ray, ne pose que peu de difficultés au niveau technique, la question des droits d’auteur portant sur chacun des jeux reproduits (il s’agit donc d’une atteinte au droit de reproduction) demeure.
Ces différentes atteintes constituent donc plus largement une dérogation non autorisée au monopole de l’auteur sur son œuvre. (Article L122-6 du code de la propriété intellectuelle)
Le titulaire de la protection du droit d’auteur en matière de logiciel
Le droit d’auteur Français se veut être un droit particulièrement protecteur et personnaliste ainsi par principe la question de la titularité des droits est triviale, en effet par principe l’auteur en est directement investit. Il s’agit d’un cas rare mais pas impossible le jeu vidéo peut être l’œuvre d’une personne unique mais on se trouve alors en présence d’un jeu vidéo de type indépendant.
Il y a cependant des cas de figures moins triviaux.
Le logiciel peut être qualifié soit d’œuvre collective, et ce sera alors la personne morale instigatrice du projet qui détiendra les droits sur le logiciel, soit d’œuvre de collaboration et alors chaque coauteurs sera titulaire des droits sur sa contribution.
Quel que soit le cas de figure la durée de la protection reste identique à savoir 70 ans après la mort de l’auteur.
Le jeu vidéo étant un secteur relativement récent, le premier d’entre eux Spacewar a été créé en 1962 celui-ci est donc au moins protégé jusqu’en 2032 et ce à supposer que ses auteurs soient décédés le jour de la divulgation de l’œuvre.
Ainsi, hormis les cas où l’auteur a expressément renoncé à ses droits, ou en présence d’un logiciel libre, tout jeu vidéo pris en sa partie logiciel est protégé par le droit d’auteur. Et donc tout développeur d’un logiciel d’émulation non titulaire de ces droits peut être qualifié de contrefacteur.
L’exception de décompilation a priori inopérante
L’article L 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle institue une exception au monopole d’exploitation de l’auteur ainsi l’exception de décompilation ou rétro-ingénierie d’un logiciel consiste à le désassembler afin d’en connaître les données et les instructions qui en permettent le fonctionnement, en vue de retraduire le code objet pour remonter au code source.
Il s’agit donc en substance du procédé à la base de l’émulation cependant l’article précité vient considérablement limiter les conditions de mise en œuvre de cette exception et conditionne notamment la décompilation au fait d’être un utilisateur légitime du logiciel.
A ce titre, la cour d’appel de Paris a rappelé que les développeurs de linkers, dispositifs permettant de lire des jeux vidéo piratés sur la console DS de Nintendo, étaient responsables d’actes de contrefaçon au motif pris qu’ils n’étaient pas des utilisateurs légitimes (Paris, 26/09/2011 affaires Nintendo).
Au regard de cette jurisprudence il semble donc que l’exception de décompilation doit être écartée, on remarque que peu de litige arrive aujourd’hui devant les tribunaux ce qui semble d’autant plus étonnant puisque ces logiciels sont pour la plupart téléchargeable en accès libre de droits sur internet.
La rétrocompatibilité semble donc être un moyen technique d’assécher ce marché parallèle et de rémunérer les ayant droits, cependant sa limitation actuelle à une génération précédente ne saurait suffire.
Il est vraisemblable que les principaux acteurs du marchés, devant l’investissement nécessaire à l’ajout d’une telle fonctionnalité, préfèrent tout simplement fermer les yeux sur cette pratique bien qu’illicite.
Sources :
Margnoux (P.-Y.) et Roy(H.), « Décompilation d’un logiciel : état des lieux », lemondedudroit.fr, publié le 28 juillet 2015, consulté le 15 février 2016, < http://www.lemondedudroit.fr/le-monde-du-droit-le-quotidien-des-juristes-daffaires/publications/dossiers/207324-decompilation-dun-logiciel-etat-des-lieux.html>
Zebtal, « L’émulation : Ce côté interdit des jeux vidéo », culturegames.com, publié le 24 octobre 2012, consulté le 20 février 2016, < http://www.culture-games.com/a-la-decouverte-de/lemulation-ce-cote-interdit-des-jeux-video>
Legrand (D.) « Rétrocompatibilité Xbox 360 sur Xbox One : 104 jeux sont concernés au lancement », nextimpact.com, publié le 9 novembre 2015, consulté le 20 février 2016, < http://www.nextinpact.com/news/96418-retrocompatibilite-xbox-360-sur-xbox-one-104-jeux-sont-concernes-au-lancement.htm>