Promulguée le 7 juillet 2016, la loi « relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine » (« Loi Création ») a, par voie d’amendement, assujetti à la rémunération pour copie privée (RCP) les magnétoscopes virtuels, aussi appelés enregistreurs numériques ou encore NPVR (Network Personal Video Recorder, en français « enregistreur vidéo en réseau »)*.
Ainsi, l’article L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose désormais que « Cette rémunération est également versée par l’éditeur d’un service de radio ou de télévision ou son distributeur, au sens de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui fournit à une personne physique, par voie d’accès à distance, la reproduction à usage privé d’œuvres à partir d’un programme diffusé de manière linéaire par cet éditeur ou son distributeur, sous réserve que cette reproduction soit demandée par cette personne physique avant la diffusion du programme ou au cours de celle-ci pour la partie restante ».
Avec un peu de recul, cet amendement, parfois appelé « l’amendement Molotov TV » tant il semblerait concocté pour la jeune pousse, pourrait finalement laisser un goût amère à ceux qui auraient pu crier victoire trop vite.
De l’enregistrement pour son propre compte à l’enregistrement pour le compte de l’utilisateur : la remise en cause d’une règle ancienne et bien établie
Rappelons tout d’abord qu’en France, l’auteur dispose d’un droit d’autoriser ou d’interdire la fixation ou la copie de son œuvre sur un support (c’est ce que l’on appelle le droit de reproduction). Cependant, celui qui réalise une copie pour son propre usage, à partir d’une œuvre obtenue licitement, n’a pas à demander une quelconque autorisation à l’auteur. L’exception de copie privée est donc une « exception à usage privé » au monopole de l’auteur. L’impossibilité pratique de contrôler les reproductions, mais aussi le respect de la vie privée ont conduit à cette limite au monopole. Puisqu’aucune autorisation de la part de l’auteur n’est nécessaire dans le cadre de la copie privée, l’atteinte au droit patrimonial de ce dernier doit nécessairement être compensée. C’est ainsi que la loi du 3 juillet 1985 avait institué la « rémunération pour copie privée ».
Aujourd’hui, le législateur se doit de prendre en compte d’autres évidences comme la numérisation de la société, ce qui l’a conduit cette fois à élargir le champ de l’exception de copie privée.
Mais si jusqu’à présent, une unicité entre la personne du copiste et celle de l’usager a toujours été exigée par la loi pour quiconque souhaite se prévaloir de cette exception, la volonté du législateur d’aligner les règles applicables aux objets matériels et celles applicables aux enregistreurs dans le Cloud (nuage) a semble-t-il conduit à supprimer cette ancienne règle.
« Rannou-Graphie », c’est fini ?
1984 : La Cour de cassation considère que dès lors que la personne du copiste (en l’espèce la société mettant à disposition des photocopieuses en libre-service à usage de ses clients), est différente de la personne de l’usager (en l’espèce le client) et tire un profit de la reproduction de l’œuvre, ce copiste sort de l’exception de copie privée. En d’autres termes, pour que le copiste puisse se prévaloir de l’exception de copie privée, ce dernier doit réaliser la copie pour son propre usage, son usage privé (Cass. civ. 1re, 7 mars 1984 ; Société Rannou-Graphie c. Comité national pour la prévention des reproductions illicites et autres).
2008 : C’est ainsi que la société Wizzgo, dont l’esprit ne serait sans rappeler la toute jeune Molotov TV, a été condamnée, son magnétoscope numérique ayant été jugé contrefaisant. En effet, cette plateforme permettait d’enregistrer gratuitement des programmes diffusés par des chaînes de télévision, et de les conserver ou même de les reproduire sur d’autres supports matériels. Pour la Cour de cassation, « la copie réalisée n’est pas destinée à l’usage du copiste mais à l’usage de l’utilisateur final ; Que, par voie de conséquence, la société Wizzgo est mal fondée à se prévaloir tant de l’exception de copie transitoire que de l’exception de copie privée et ne saurait éluder les droits de propriété intellectuelle attachés aux programmes reproduits sans autorisation » (CA Paris, Pôle 5 Ch. 1, 14 décembre 2011, Wizzgo / Metropole Television et autres).
2016 : La loi Création modifie l’article L.311-4 du CPI et étend la rémunération pour copie privée aux enregistreurs numériques. On ne saurait néanmoins occulter que dans le schéma des NPVR, il y a une véritable dissociation entre celui qui réalise la copie et celui qui en fait usage. Le législateur a pourtant fait le choix d’assimiler l’enregistreur virtuel à son ancêtre, l’enregistreur matériel.
Une remise en cause nécessaire au vu des évolutions technologiques et des nouveaux moyens d’accès à la culture et aux médias
Dans une société où les objets électroniques se périment à la vitesse de l’éclair, dans une République qui se veut « numérique », le législateur a dû se rendre à l’évidence. La VHS, le DVD et le disque dur externe sont déjà dépassés par les nouvelles technologies.
Ainsi, grâce au Cloud, il est désormais possible d’enregistrer des données dans un espace virtuel et non plus sur un support matériel.
C’est de ce constat qu’est née Molotov TV, la start-up française qui se veut aussi bien le « Uber de la télévision », que le « Netflix à la française ». Le service permet à ses utilisateurs, une fois l’application téléchargée, de regarder de manière linéaire (à la différence du streaming), des programmes diffusés par des chaînes de télévision. Mais l’application n’est pas seulement intéressante pour les personnes (de plus en plus fréquentes) qui n’auraient pas de télévision. Son modèle repose avant tout sur deux dispositifs : le « Start-over », qui permet de redémarrer un programme en cours si vous avez raté les premières minutes, et surtout les « Bookmarks », qui permettent d’enregistrer votre programme favori afin de le visionner quand vous voulez, où vous voulez et à partir de n’importe quel support numérique (tablette, smartphone…).
Sans élargissement du champ de la copie privée, la société devrait donc recevoir au préalable, l’autorisation des titulaires de droits d’auteur et de droits voisins, et par conséquent leur verser une rémunération. Or, dans le cadre de la copie privée, une partie du coût du support est versée à une société de gestion collective, et ce coût est assumé par l’utilisateur. Voilà donc une loi qui semblait à première vue être une aubaine pour Molotov TV, qui n’a pas attendu pour lancer son NPVR. Pourtant, l’accès à sa fameuse fonction « Bookmarks » (le point fort de l’application) ne cesse d’être décalé de quelques semaines… depuis le mois de juillet.
Car tout n’est peut-être pas tout rose dans ce fameux amendement.
Un amendement aux multiples facettes déjà très critiqué
Victoire a peut-être été criée trop vite pour la nouvelle star de la FrenchTech dont le système d’enregistrement appelé « Bookmarks » ne fonctionne toujours pas.
Car si l’article L.311-4 du CPI semble être en sa faveur, n’oublions pas que l’article L. 331-9 du même code lui impose tout de même de conclure une convention qui « définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ». Voilà peut-être une première explication. En effet, les négociations ne se feront pas en deux jours avec ceux qui sont en réalité de véritables concurrents d’une part, et qui, d’autre part, ont dû passer par la rémunération des auteurs pour pouvoir diffuser les mêmes programmes.
En outre, comme le soulignent Julien Grosslerner et Florence Jean, tous deux avocats au Barreau de Paris, les articles L.122-5 et L.211-3 du CPI qui définissent la copie privée n’ont, quant à eux pas été modifiés, ce qui pourrait considérablement affaiblir cet amendement.
Quant à nos juridictions, comment vont-elles accueillir ce nouvel amendement ? Vont-elles continuer dans la lignée de Wizzgo ou suivre la volonté du législateur ? La question se pose car la France se veut être un pays particulièrement protecteur des droits de l’auteur.
Certains avocats spécialistes de la propriété intellectuelle ne voient d’ailleurs pas d’un si bon œil cet amendement. Comme nous l’avons dit, le système actuel de copie privée a été mis en place afin de concilier l’intérêt des auteurs avec l’impossibilité de contrôler le nombre de copies réalisées dans le cadre privé ou encore l’identité du copiste. Or, pour les deux avocats, « Ces arguments ne valent plus. Avec des services comme le NDVR il est en effet tout à fait possible de quantifier avec précision le volume des copies effectuées, d’identifier les œuvres copiées et leurs copistes. Il est donc loisible de penser que les droits exclusifs de l’auteur pourraient être pleinement garantis. A tout le moins, le caractère forfaitaire de la rémunération n’est plus justifié et les modalités de répartition de la RCP manquent aujourd’hui de pertinence ».
Au regard du droit de l’Union Européenne, la question de l’accueil de cet amendement par les juges communautaires se pose également et une réponse devrait bientôt nous être donnée par la voie de la question préjudicielle. Le tribunal de Turin a en effet posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne en mai 2016, la question de savoir si une disposition nationale peut interdire ou permettre à « un entrepreneur commercial de fournir à des particuliers un service d’enregistrement à distance de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur au moyen d’un système informatique en nuage, en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du titulaire du droit ». Et cela au regard des directives DADVSI et 2000/31/CE 8 juin 2000.
La réponse de la Cour est difficile à prévoir au regard des dernières volontés du législateur européen. Le 14 septembre dernier, la Commission Européenne a rendu public son projet de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Si cette dernière souhaite une rémunération plus équitable des auteurs, lorsque leurs œuvres sont publiées sur des plateformes numériques, elle a également pour objectif de faciliter l’accès en ligne aux œuvres culturelles. Sur ce projet, un article de Lauren Stieglitz est consultable ici.
Quoi qu’il en soit, il semblerait que ce genre d’initiative de la part du législateur puisse être un début de réponse au développement massif des plateformes de streaming et de téléchargement illégales. Face à la multiplication des techniques de diffusion de contenu sur Internet, essayer d’encadrer l’enregistrement numérique par la rémunération pour copie privée et la négociation entre les acteurs sera peut-être une réponse satisfaisante. A suivre…
*Vous trouverez parfois le terme NDVR, pour Network Digital Video Recorder, mais le dispositif reste le même.
Sources :
NPA, « Lancement de Molotov.TV : les enjeux juridiques du nPVR », npaconseil.com, publié le 19 janvier 2016, consulté le 13 octobre 2016, <http://www.npaconseil.com/lancement-de-molotov-tv-les-enjeux-juridiques-du-npvr/>
BAILLY (P.), « A J-5 de son lancement, Molotov joue avec les lignes pour “réinventer la télé” », blog.lefigaro.fr, publié le 6 juillet 2016, consulté le 13 octobre 2016, <http://blog.lefigaro.fr/philippe-bailly/2016/07/a-j-5-de-son-lancement-molotov-joue-avec-les-lignes-pour-reinventer-la-tele.html>
REES (M.), « Molotov.tv : la fonction d’enregistrement reportée de “quelques jours” », nextinpact.com, publié le 11 juillet 2016, consulté le 14 octobre 2016, <http://www.nextinpact.com/news/100599-la-fonction-denregistrement-sur-molotov-tv-reportee-plusieurs-jours.htm>
GROSSLERNER (J.) et JEAN (F.), « Les services d’enregistrement de programmes dans le Cloud et l’exception de copie privée. Le NDVR encadré par la Loi Création », Légipresse, septembre 2016, n°341, pp. 462-470.