Le droit français régit l’ensemble des demandes post-mortem des individus par le biais du droit civil, il utilise généralement pour cela, le testament. Cependant, l’expansion du numérique dans nos modes de vie, met en exergue de nouvelles problématiques. En effet, de plus en plus, nous possédons désormais une vie numérique qui se matérialise au travers de nos réseaux sociaux, bases de données/stockages, téléchargements, courriels… qui comportent une mine de données à caractère personnel.
Lorsqu’un décès survient, ces données ne pouvaient pas être transmises aux héritiers bien qu’elles puissent avoir une valeur (pécuniaire, sentimentale ou pratique) en raison des conditions générales que les internautes ont préalablement acceptées lors de leurs inscriptions sur les plateformes et qui excluent la transmissibilité après leur mort. Ces clauses ont d’abord été établies dans l’objectif principal de garantir à leur utilisateur le respect de leur vie privée.
Jusqu’à récemment, ce phénomène qui demeurait rare ne posait que peu de problèmes mais désormais, nos nouveaux modes de vie et usages englobent notre existence numérique et par conséquent notre disparition.
Un système largement critiqué qui a poussé certaines plateformes à évoluer
Le système de clause de non transmissibilité pour cause de mort adopté par les géants du Net tel que Facebook, Google, Instagram, LinkedIn… dans l’objectif de la protection de notre vie privée paraît au premier abord honorable, pourtant il est critiquable à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, ces conditions générales sont rédigées de façon unilatérale, ne laissant pas l’opportunité à l’utilisateur d’émettre une réserve, ce qui constitue une atteinte à la liberté testamentaire. De plus, avancer l’argument selon lequel il faut protéger la vie privée des personnes décédées est en totale contradiction avec le droit français qui considère que le droit au respect de sa vie privée est un droit qui s’éteint à la mort de la personne.
Le risque majeur encouru est qu’une identité numérique survive à quelqu’un et que sa réputation soit salie ou malmenée sans que ses ayant-droits ne puissent agir. Des problèmes de ce type ont donc émergé et les héritiers ont de plus en plus sollicité les acteurs du numérique afin qu’ils interviennent après la mort d’un être cher pour garantir l’intégrité de leur identité numérique.
D’ailleurs, l’arrêt M.F et autres du conseil d’État du 27 avril 2011, accueilli la demande des héritiers à ester en justice afin d’obtenir réparation d’un préjudice moral découlant d’une atteinte à la mémoire du défunt.
Au fur et à mesure, sous la pression, certains ont fait évoluer leurs procédés d’utilisation tel que Facebook qui propose désormais d’opter à l’avance pour trois solutions possibles qui sont :
– Désigner un contact légataire
– Supprimer le compte
– Transformer le compte en espace de commémoration
Google également depuis 2013 permet à ses utilisateurs de décider d’un délai d’inactivité au terme duquel les données peuvent être transmises ou supprimées selon la volonté de leurs titulaires. Ces procédures représentent une véritable évolution en la matière, mais demeurent fastidieuses, car si l’utilisateur n’a rien prévu de son vivant comme c’est souvent le cas, il appartient à la famille de contacter chacune des plateformes en lui fournissant les justificatifs de décès pour pouvoir fermer un compte.
Et bien que la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) affirme qu’elle ” n’a pas vocation à arbitrer l’équilibre qui doit être trouvé entre les besoins de suppression de toutes traces de l’identité après la mort, et la volonté d’atteindre l’immortalité numérique en continuant à faire vivre l’identité au-delà de la mort”, en 2014, elle a diffusé deux fiches pratiques énumérant les liens informant des procédures mises en œuvre par les réseaux sociaux ou fournisseurs de messagerie pour signaler un décès.
Depuis le 28 septembre 2016, la loi pour une république numérique a été adoptée, et c’est elle qui apporte une véritable réponse juridique à cette problématique.
Une réponse juridique : la loi pour une République numérique
La loi pour une République numérique, publiée au journal officiel le 8 octobre 2016 ayant modifié l’article 40 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, apporte à une réponse à la mort numérique et permet de décider par avance du sort de ses données en cas de décès.
Ainsi, de son vivant une personne pourra organiser les conditions de conservation et de communication de ses données en désignant un tiers chargé d’exécuter les directives transmises à la CNIL ou à un responsable de traitement.
On sait que la plupart du temps, les personnes ne prévoient pas de leur vivant les modalités de gestion de leur patrimoine après leur mort, il est donc fort probable que beaucoup n’organisent pas non plus leur mort numérique. La loi prévoit alors de désigner un tiers responsable qui sera en charge des données en cas de défaut de volonté exprimée.
Tout d’abord, il faut préciser que ces dispositions ne relèvent en aucun cas du droit à l’oubli ou encore du droit au déréférencement, il s’agit simplement de lier la mort physique à la mort numérique. Elles n’ont pas un effet translatif mais un effet créateur, c’est-à-dire qu’à la mort de l’utilisateur, ses droits disparaissent et sous l’effet de la désignation d’un tiers responsable, de nouveaux droits liés aux données du défunt apparaissent.
Par ce texte, le droit tente d’apporter une réponse aux problèmes moraux soulevés par la question de la mort numérique mais également de renforcer la protection des personnes à l’égard de leurs données personnelles contenues dans leur espace numérique et qui ont une valeur importante. Par ailleurs, la loi a par la même occasion permis à la CNIL d’établir des sanctions pécuniaires plus lourdes à l’égard des grands groupes afin de protéger ces données personnelles, pouvant atteindre jusqu’à 20 millions d’euros.
Ces données sont considérées comme un bien du vivant de la personne et seront transmises à son décès. Cependant, le droit ne considère ni les directives du défunt comme étant des dispositions testamentaires, ni les droits acquis par un tiers comme étant de nature successorale. Le principe selon lequel le droit au respect de la vie privée s’éteint au décès de la personne n’est absolument pas remis en cause, il s’agit en réalité d’une survie exceptionnelle du droit moral s’expliquant par la présence d’une œuvre.
Le texte organise donc la transmission pour cause de mort de droits extrapatrimoniaux de la personnalité, en dehors de tout cadre successoral, il s’agit donc d’un régime dérogatoire.
La loi dont la rédaction s’est faite de façon collaborative avec les internautes, a rencontré une large adhésion en ce qui concerne la mort numérique et apporte une véritable réponse aux problèmes rencontrés.
Néanmoins, certaines questions restent en suspens lorsque que le défunt n’a pas de son vivant déterminé des tiers responsables et des modalités de gestion de ses données. En effet, si l’héritier a décidé de son vivant de ne pas communiquer certaines de ses données lors de sa mort, celles-ci seront tout de même portées à la connaissance de ces derniers, si rien n’a été préalablement déterminé et ceci pourrait être générateur de conflits familiaux. Il en va de même pour la gestion de ces données qui relève du choix des héritiers en l’absence de consigne et cette gestion pourrait être contraire à la volonté du défunt.
Subsiste une dernière problématique, celle du défunt sans héritier, qui est alors à même de gérer ces données ?
SOURCES :
Pérès (C.) “Les données à caractère personnel et la mort. Observation relatives au projet de loi pour une République numérique” recueil Dalloz Sirey, 14 janvier 2016, page 90-96
Axelle Lemaire (interview) “Loi pour une République numérique”, Dalloz IP/IT, 2016, page 380
Site internet :
https://www.république-numérique.fr
https://www.legifrance.gouv.fr
https://www.cnil.fr