A l’heure de la dématérialisation progressive des pratiques et des stratégies commerciales chez les grandes compagnies internationales, le juriste peut noter des prises d’initiatives qui sont à saluer. En témoigne l’action innovante effectuée par le géant mondial dans le domaine des réseaux sociaux : Facebook. Pourtant, l’idée ne semble pas paraître révolutionnaire, à tel point qu’elle est considérée comme « une extension naturelle du réseau social », si l’on reprend les propos de Colin Sebastian, analyste chez le courtier RW Baird.
En effet, le développement d’une place de marché au sein du réseau social dont est à l’origine Mark ZUCKERBERG s’inscrit dans une lignée qui tend à favoriser l’extension des fonctionnalités, et de manière plus générale des relations commerciales entre les particuliers, dans la mesure où Facebook compte environ 1,7 milliards d’utilisateurs et que, parmi ce nombre exceptionnel et croissant, il semblerait que « plus de 450 millions de personnes » recourent aux groupes existant sur le réseau social pour effectuer de l’achat et de la vente directe d’objets d’occasion, d’après Mary Ku qui est la responsable produit pour l’application « Marketplace ». Ainsi s’intitule l’outil qui va donner une dimension supplémentaire à Facebook.
S’agit-il d’une innovation ? Il est impensable d’affirmer un tel point de vue, puisque la place de marché est une pratique déjà connue du grand public, avec des plateformes de renommée internationale comme eBay ou Amazon. Néanmoins, on peut légitimement affirmer que l’exécution de l’idée est absolument révolutionnaire, et va probablement inspirer les concurrents directs de Facebook : il est en effet question de l’extension du marché du réseau social dans son utilisation classique. D’autant que la réputation de ce dernier n’est absolument pas à contester : Facebook entre bien dans une nouvelle ère technologique.
Le « Marketplace » au sein de Facebook, un périmètre porteur d’intérêt et facteur de développement social
A titre préliminaire, il est indispensable d’éclairer les esprits moins technophiles sur la décision prise par Facebook de recourir au concept du « Marketplace ». Ainsi, de manière originelle, la place de marché est un site qui permet de mettre en relation les particuliers en vue de favoriser l’accomplissement d’une transaction commerciale entre ces derniers. L’idée majeure d’un tel concept est de faciliter les relations entre deux utilisateurs : un acheteur et un vendeur.
De manière concrète, comment va fonctionner le « Marketplace » développé par Facebook ? Il va s’agir d’une application mobile dans un premier temps, qui est elle-même intégrée dans celle supportant l’intégralité du réseau social, comme ce peut déjà être le cas avec « Moves » ou encore « Nearby places ». Un onglet de recherche sera présenté dans la page d’accueil de l’application, afin que l’individu acquéreur puisse identifier le produit qu’il souhaite, et les résultats s’afficheront sur une page, avec la photo du bien accompagné de son prix.
Le potentiel acheteur, après avoir repéré son produit, bénéficiera de la possibilité de formuler une offre d’achat, en inscrivant tout simplement le montant auquel il veut acheter le bien. Après la formulation du prix, le vendeur sera directement alerté par un système de notifications, fortement présent dans les fonctionnalités classiques de Facebook. Plus précisément, cette alerte sera effectuée par l’intermédiaire d’une messagerie intégrée à l’application « Marketplace ». Cet aspect de l’outil reste flou et sera précisé dès sa disponibilité en terres européennes.
Alors, la question que tout internaute peut se poser est celle de savoir les raisons qui poussent le leader dans le domaine du réseau social à mettre en œuvre une faculté à portée commerciale, notamment quand on connaît la notoriété initiale dont il fait l’objet.
Deux raisons semblent logiquement expliquer l’initiative orchestrée par la compagnie Facebook.
La première semble tenir à la volonté de concurrencer des sites Web tels qu’Amazon, ou encore eBay. Ces derniers, présents sur le marché de la vente en ligne depuis le milieu des années 1990, font sensiblement l’objet d’une baisse de fréquentation logique puisque tout simplement due à l’émergence des e-commerces et de plateformes concurrentes telles que Le Bon Coin ou Craiglist. Le réseau social affirme notamment son positionnement par rapport au site eBay, en soulignant d’une part que ce dernier vend majoritairement des biens neufs, et d’autre part que son utilisation est essentiellement faite par des professionnels, des commerçants qui ne souhaitent pas forcément constituer leur propre e-commerce. C’est sur ce principal point que Facebook peut jouer, dans le futur, un rôle essentiel. En effet, en se concentrant sur la possibilité de faciliter de vendre des biens d’occasions d’abord, et en garantissant un fonctionnement relativement simple et aisément intégré au fonctionnement général de Facebook, les utilisateurs ne seront que plus attiré par la mise en œuvre d’une telle option.
Par ailleurs, la création d’un « Marketplace » par le biais de Facebook paraît trouver une cause inhérente à l’évolution du réseau social. En effet, la nouvelle application fonctionnera seulement sur mobile dans un premier temps, ce qui ajoutera un élan de simplicité dans le quotidien des utilisateurs du réseau social. Pourquoi ? Car les annonces proposées par les vendeurs seront mises en ligne avec une rapidité considérable, et la consultation de ces dernières ne nécessitera pas de prendre son ordinateur. Cette facilité d’utilisation s’explique tout simplement par le recours au profil Facebook déjà existant pour utiliser les fonctionnalités de la place de marché.
En tout cas, le « Marketplace » paraît être un choix judicieux : la théorie de la simplicité va probablement permettre de conserver, voire même d’accroitre son nombre d’utilisateurs, surtout quand on constate que la pratique commerciale existait en masse, mais de manière informelle, par le recours aux groupes Facebook, par exemple intitulés « Bons plans » de telle ville.
Le « Marketplace » : une activité favorisant l’intervention de problématiques juridiques
Au delà de l’enjeu technologique et social, il va de soi, dans la peau d’un juriste, de mettre en exergue l’existence de dimensions juridiques par la mise en pratique d’une place de marché au sein d’un réseau social. Mais au préalable, donnons plus de précisions sur la qualification juridique de cette offensive.
Deux notions permettent de caractériser cette initiative prise par Facebook. D’après la Commission Européenne, on parle effectivement de « plateformes numériques », également appelées « intermédiaires ». Elles s’inscrivent parfaitement dans le monde juridique, puisqu’elles posent des problématiques telles que le risque de favoriser des activités illicites comme il est question avec la vente d’armes et d’animaux sur le Facebook « Marketplace » des Etats-Unis, ou encore la mise en œuvre de la géolocalisation permettant d’effectuer des propositions pertinentes d’offres en fonction de notre positionnement géographique, voire l’exploitation des données personnelles inhérentes aux profils Facebook des utilisateurs de l’application.
Mais nous porterons notre intérêt principal sur le régime applicable en matière de commerce électronique. Pratique relativement nouvelle, elle fait l’objet d’un encadrement strict en droit communautaire, et de fait, en droit national, avec notamment l’article 14 de la LCEN du 21 Juin 2004 qui définit la notion de commerce électronique.
Si l’on s’intéresse plus précisément aux plateformes numériques, le droit européen leur attribue un intérêt certain, dans la mesure où elles permettent d’atteindre davantage les objectifs de la Commission européenne, relatifs à l’émergence et la consolidation d’un marché unique numérique. Ce but, s’inscrit dans le prolongement du marché unique, en permettant ainsi l’optimisation des utilisations commerciales notamment, de sorte bannir les frontières et points de réticence qui freinent l’économie numérique européenne. A ce titre, la Commission place de forts espoirs sur les « intermédiaires » en ce sens qu’ils permettraient d’innover face aux marchés traditionnels d’une part, et d’accroitre la valeur du service numérique proposant des prestations commerciales. Une appréciation à petite échelle qui conduirait finalement à dégager plus de 415 milliards d’Euros.
D’un point de vue plus fondamental, ces mêmes plateformes revêtent également une dimension essentielle puisqu’elle permettent de « faire davantage participer les citoyens à la vie sociale et démocratique car elles facilitent l’accès à l’information (…) à travers les frontières ». On rejoint donc, ici, les consécrations primaires liées à la liberté d’expression et le droit du public à accéder à l’information, valeurs fortement soutenues par le droit européen.
Mais la conséquence de cette aspiration européenne est la législation en matière de commerce électronique. Elle se matérialise notamment par la directive 2000/31 du 8 juin 2000 « Directive sur le commerce électronique ». Quelles orientations sont données par ce texte pour les plateformes en ligne, et surtout, quelles règles seraient applicables au « Marketplace » de Facebook ?
La question du régime juridique applicable à ce type d’intermédiaires se pose. Et le texte semble répondre à cette problématique de manière assez efficace.
En effet, il est d’abord possible de relever l’existence d’une irresponsabilité de principe en faveur de ces intermédiaires, face aux contenus présents sur leur interface ; cette règle est présentée à l’article 12. Ce texte pose la condition d’un contenu de la plateforme alimenté par des tiers, composé d’informations émises par ces derniers, et non posté par le prestataire. A ce titre, on peut considérer la place de marché créée par Facebook comme une plateforme remplissant ces conditions précitées, puisqu’elle semble mettre en œuvre des fonctionnalités purement techniques et automatiques, et renvoie donc à un comportement passif. Les utilisateurs effectuent eux-mêmes la transmission de l’annonce de vente, et Facebook ne restreint, dans sa globalité, aucune publication a priori.
Néanmoins, face aux pratiques douteuses et notamment aux contenus litigieux postés sur le réseau social, comme sur le futur « Marketplace » en Europe, le prestataire doit « agir promptement » en vue de retirer ces éléments néfastes et non admissibles sur une telle plateforme et ce, dès la connaissance d’une annonce illicite. Le retrait de contenu doit évidemment s’effectuer au regard de la liberté d’expression et des procédures prévues à l’échelle interne, à cet effet.
Il convient ensuite de préciser cette irresponsabilité par l’application d’une absence d’obligation générale en matière de surveillance, instituée à l’article 15 de la directive. Celle-ci s’inscrit dans la logique de l’irresponsabilité de principe de la plateforme en ligne, face aux contenus stockés ou publiés sur son interface. Le texte souligne, (et là se trouve le point essentiel) que les prestataires ne doivent en aucun cas « rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». On continuera alors d’obéir, même dans le cadre du « Marketplace », aux principes inhérents à la liberté d’expression, et notamment à l’absence de tout contrôle a priori !
Alors, la mise en œuvre d’une place de marché par le premier réseau social de la planète semble être une idée parfaitement acceptée socialement, et acceptable juridiquement. Néanmoins, des précisions se doivent d’être produites lors de la diffusion mondiale de l’application « Marketplace » notamment au regard d’abus avec la vente de produits illicites, problématique très récemment présentée aux Etats-Unis.
Par ailleurs, la fonctionnalité n’est, pour le moment, présente que dans certains pays, à savoir le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, la version ordinateur sera développé plus tard encore.
On peut enfin sur l’objectif global visé par Facebook, à savoir un modèle B2B2C qui conduirait à attirer aussi bien les distributeurs de produits que les consommateurs finaux. Ceci permettrait éventuellement d’envisager la présence d’un e-commerce complet au sein du réseau social.
SOURCES :
Communication de la Commission Européenne : Les plateformes en ligne et le marché unique numérique – Perspectives et défis pour l’Europe, Bruxelles, le 25 mai 2016.
Directive 2000/31/CE du 8 Juin 2000, « Directive sur le commerce électronique »
« Facebook se lance dans le commerce en ligne », publié le 4 octobre 2016, et consulté le 10 octobre sur le site http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/04/facebook-se-lance-dans-le-commerce-en-ligne_5007623_4408996.html
« Facebook s’excuse des dérapages sur Marketplace, son nouveau service de petites annonces », publié le 6 octobre 2016 et consulté le 10 octobre 2016 sur le site http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/06/facebook-s-excuse-apres-des-derapages-sur-marketplace-son-nouveau-service-de-petites-annonces_5009045_4408996.html
http://www.lesechos.fr/