Lors d’une campagne publicitaire d’une durée de 2 semaines au cours du mois de septembre 2014, l’enseigne BIOCOOP a diffusé à l’échelle nationale, et sur plusieurs supports (presse écrite papier et on line, affiches publicitaires, réseaux sociaux et site internet) un visuel dénigrant la culture des pommes non biologiques.
En effet, spécialisée dans la commercialisation de produits issus du commerce équitable et de l’agriculture biologique, l’enseigne met en scène une pomme à moitié rongée par des usines, des arbres détruits et des avions dégageant une épaisse fumée noire, accompagnée des injonctions “N’achetez pas de pommes (traitées chimiquement)” et “Achetons responsable”, dénonçant ainsi la multitude de traitements chimiques dont fait l’objet le fruit le plus consommé des français.
L’association Interprofessionnelle des Fruits et Légumes Frais (INTERFEL), l’association Nationale Pommes Poires (ANPP) et l’association Fédération Nationale des Producteurs de Fruits (FNPF) avaient ainsi déposé un recours en justice pour dénigrement, tromperie et appel au boycott.
Le Tribunal de Grande Instance de Paris a rendu son jugement le 21 septembre 2016 en condamnant BIOCOOP à verser 10 000€ à chacune des organisations de la filière fruits & légumes pour pratique anticoncurrentielle. En outre, ledit jugement devra être publié dans la presse.
La 17ème chambre civile retient les actes constitutifs de “dénigrement” et “d’appel au boycott”, mais écarte la qualification de “tromperie” invoquée par les demanderesses.
« Il est établi que cette campagne publicitaire repose non pas sur la valorisation des pommes issues de l’agriculture biologique, mais au contraire sur le dénigrement de celles des autres filières, aux fins de dissuader les consommateurs d’acheter ces fruits », ont ainsi indiqué les juges en rendant leur décision.
Ce cas d’espèce atteint les contours délicats de la publicité comparative, figurant à l’article L. 122-1 du code de la consommation et rendue licite par l’ordonnance du 23 août 2001.
L’admission de la publicité comparative à des conditions strictes
Il convient de rappeler les quatre critères dégagés par la jurisprudence pour qu’une publicité comparative soit admise:
– La publicité doit reposer sur une comparaison de prix;
– La comparaison doit porter sur des produits identiques;
– Les produits visés doivent être offerts aux mêmes conditions de vente;
– Les conditions de la comparaison ne doivent pas être contestables.
La publicité peut concerner des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif; une ou plusieurs caractéristiques; et tout supports.
Elle ne doit pas être trompeuse, non objective sur une ou plusieurs caractéristiques, parasitaire, dénigrante, constitutive de confusion et ne pas présenter les biens ou les services comme une imitation ou une reproduction.
En somme, tout acte susceptible de nourrir une concurrence déloyale peut justifier la sanction d’une publicité.
En l’occurrence, les juges ont eu à se prononcer sur la portée du message figurant sur le visuel publicitaire.
Or, une publicité comparative ne doit pas “entrainer le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d’un concurrent” selon la lettre de l’article L. 122-2 du code de la consommation.
Lors de cette campagne, BIOCOOP s’est appuyé sur une image dénuée de toute ambiguïté, et de deux injonctions claires et concises afin de heurter le consommateur et de le faire réagir face à la nocivité des pommes issues de la culture ne répondant pas aux règles de la déontologie biologique.
Alors que la phrase “N’achetez pas de pommes (traitées chimiquement)” résonne tel un ordre que le public est libre d’entendre ou non, le dessin qui l’accompagne déprécie totalement l’image de l’industrie agroalimentaire.
Ainsi, la brutalité de l’image associée à l’agressivité du message visent clairement à faire naitre la peur chez le consommateur.
Le TGI, de par la sanction qu’elle prononce, rappelle donc que valoriser des produits et services par un processus publicitaire est admis, du moment que cela ne vise pas un concurrent sur un ton inquisiteur voire vindicatif.
Force est de constater la volonté ancrée du juge de maintenir une concurrence saine.
Concernant le rejet du caractère trompeur, celui-ci se justifie toujours par l’énoncé de l’article L. 122-1 du code de la consommation qui dispose que la publicité comparative ne doit pas être trompeuse ou de nature à induire en erreur.
BIOCOOP dénonce clairement les traitements chimiques opérés sur les fruits, et les conséquences sur la qualité de l’air et de la flore au regard du travail de masse opéré par les usines, dessin à l’appui. De plus, elle ajoute “Achetons responsable”, apostrophant de cette manière le public afin de l’éclairer sur le comportement à adopter en tant que consommateur.
Les associations demanderesses ont dû voir leur requête rejetée sur ce point: accueillant le caractère dénigrant de ladite publicité, les juges, en toute objectivité n’ont pu éluder la vérité sous-jacente.
En effet, depuis quelques années, de nombreux rapports et autres enquêtes, menés entre autres par des associations de consommateurs, n’ont cessé de démontrer l’utilisation massive de pesticides et autres produits chimiques au sein de l’industrie agroalimentaire.
Face à l’évidence, difficile de nier, d’où l’affirmation suivante du juge: “en sorte qu’il ne peut résulter des visuels en cause, aussi emphatiques soient-ils, aucune erreur dans l’esprit du consommateur moyennement informé, sur les risques liés aux traitement phytosanitaires employés dans l’agriculture conventionnelle”.
L’appel au boycott: une cause noble limitée par le respect du concurrent
Un appel au boycott aboutit à promouvoir indirectement les produits ou services concurrents de ceux de la compagnie boycottée.
La société BIOCOOP fait valoir que sa campagne de publicité vise à susciter un élan militant de la part du consommateur afin que ce dernier réalise la toxicité des fruits issus de l’industrie de masse, et défende la production biologique.
Aussi belle soit la cause, une publicité peut-elle dénigrer un concurrent et appeler au boycott à son encontre?
Clairement, les règles entourant la concurrence sont intransigeantes: si le message est dénigrant ou use de l’hyperbole, l’annonceur est sanctionné.
Tolérer un tel système mettrait à mal le principe de saine concurrence, et permettrait aux différents acteurs de s’enliser dans une guerre publicitaire.
Par un arrêt du 14 février 1989, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait condamné sous astreinte l’UFC à cesser tout appel au boycott de la consommation de la viande de veau.
Par ailleurs, en matière de boycott politique, la Cour de cassation a pu sévèrement réprimer le mouvement tendant à boycotter les produits israéliens dans le cadre du conflit israéolo-palestinien, rendant cette pratique totalement illégale.
La dimension politique de l’action place le cas dans un contexte d’une plus grande envergure que la frontière entre produits biologiques et non biologiques mais un but commun se dépeint: ne pas bousculer l’équilibre économique et encadrer le droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors que cela constitue un acte collectif de rejet.
Ainsi, le TGI de Paris a ici rendu un jugement en désirant servir les préceptes établis par le droit de la concurrence, tout en gardant un regard objectif sur la situation: La concurrence, on dit oui. Le bio, on dit oui. Les défauts du voisin, on les reconnait. La révolte du peuple, on dit non.
Lexis nexis V° Pratiques commerciales trompeuses fasc. 20