#CeciNestPasUnCintre – Le 27 septembre 2016, le Planning Familial révélait la signification de ce mystérieux hashtag repris sous de nombreuses photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux. Il s’agissait d’une campagne de sensibilisation intitulée « Ceci n’est pas un cintre » afin de rappeler que c’est cet objet qui a permis pendant de nombreuses années aux femmes d’avorter clandestinement.
Bien qu’il soit désormais reconnu par la loi, le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps est encore aujourd’hui contesté. En effet, le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) fait encore l’objet d’entraves de la part de groupes « anti-choix » qui ont su adapter leur mode d’action et de communication à l’ère du numérique.
Le gouvernement a ainsi émis la volonté de passer à l’offensive en pénalisant les sites internet déguisés en site d’information qui tentent de dissuader les femmes d’avoir recours librement à une IVG. Ainsi, dans le cadre du projet de loi sur L’Égalité et la citoyenneté, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, a déposé un amendement visant à créer un « délit d’entrave numérique » à l’IVG.
L’éventuelle extension du délit d’entrave aux menaces 2.0 n’aura finalement pas lieu, car le 28 septembre dernier – journée mondiale pour la dépénalisation de l’avortement – l’amendement de la ministre a fait l’objet d’un avis défavorable au Sénat.
L’effort législatif continuel face aux différentes formes d’entrave à l’IVG
Depuis la dépénalisation de l’avortement par la loi Veil en 1975, l’action des opposants à l’IVG n’a jamais faibli et ce, malgré les efforts législatifs déployés pour empêcher toute forme d’entrave à l’exercice de ce droit fondamental. En effet, en 1993, la loi Neiertz faisait entrer la notion de « délit d’entrave » à l’article L2223-2 du code de la santé publique. Ce texte se destinait alors à réprimer les actions des commandos « pro-vie » qui s’enchaînaient aux grilles des centres d’avortement pour empêcher les femmes d’exercer leur droit à l’IVG.
Quelques décennies plus tard, les militants anti-IVG avaient délaissé ces pratiques, mais s’introduisaient désormais dans les hôpitaux pour exercer des pressions directement sur les femmes venues consulter. La loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse avait alors renforcé le délit d’entrave en ajoutant la notion de « pressions morales et psychologiques » aux menaces et actes d’intimidation jusque là sanctionnés. Puis, le 4 aout 2014, dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le délit d’entrave a été étendu à l’accès à l’information, suite au dépôt d’un amendement de la sénatrice socialiste de l’Oise Laurence Rossignol, déjà très concernée par la question. Depuis lors, est également passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, le fait d’exercer des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation dans le but d’empêcher les femmes souhaitant recourir à l’IVG de s’informer.
Le droit à l’IVG à l’épreuve des militants anti-IVG 2.0
Néanmoins, ces dispositions restent aujourd’hui insuffisantes pour assurer le droit à l’IVG car la nouvelle génération d‘activistes s’est déplacée sur le web, désormais lieu privilégié dans la recherche d’informations en matière de santé. Selon un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes de novembre 2013, 57,2% des femmes de 15 à 30 ans utilisent internet pour des questions de santé et 80% des jeunes estiment que les informations qui leur sont proposées sont crédibles.
Face à ces pratiques, la multiplication de sites anti-IVG ne s’affichant pas comme tels inquiète. En effet, nombreux sont les sites se dissimulant derrière une apparence neutre, officielle et objective mais qui sont en réalité tenus par des activistes. Ils trompent alors insidieusement l’internaute, l’empêchant ainsi d’exercer son droit à l’information. L’information proposée par ces sites est biaisée et ce, dans le but d’induire en erreur, de dissuader, et de culpabiliser les femmes venues les consulter. L’inquiétude se justifie lorsque l’on sait que le site officiel du gouvernement ivg.social-sante.gouv.fr se trouve parfois détrôné de la première position du référencement sur Google par son concurrent ivg.net qui, malgré son apparence officielle, fait partie de ces sites anti-avortement dissimulés. L’expression d’une opinion hostile à l’IVG est incontestable, mais la désinformation exercée par certains sites anti-IVG constituerait une réelle entrave à l’accès à une information fiable.
L’extension du champ du délit d’entrave à l’IVG au monde numérique prévu par l’amendement
Malgré tout, ces pratiques de communication trompeuses n’entrent pas dans le champ de la législation actuelle. C‘est pourquoi, Laurence Rossignol a proposé de légiférer sur le terrain spécifique de la communication au public en ligne, en proposant d’introduire dans la loi le délit d’entrave numérique. Selon la ministre : « Cet amendement ne crée pas une nouvelle incrimination, mais a pour vocation d’étendre celle qui existe déjà, pour s’adapter aux nouvelles méthodes des anti-IVG et aux nouvelles technologies. » L’amendement prévoyait de compléter l’article L 2223-2 du code de la santé publique d’un nouvel alinéa rédigé comme suit :
« – soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières. »
Même si la rédaction pouvait laisser à désirer – la communication au public en ligne étant par définition comprise au sein de la communication au public par voie électronique – cet alinéa semblait étendre de manière effective le champ du délit d’entrave aux pratiques actuelles des réseaux anti-choix sur internet.
Se pose alors la question d’un éventuel blocage de ces sites litigieux sur le fondement de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. L’article 6-I 8° dispose que l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, aux hébergeurs ou, à défaut, aux fournisseurs d’accès à internet, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Dès lors, la constitution du délit d’entrave numérique à l’IVG pourrait éventuellement être invoquée pour justifier des mesures de blocage de sites délictueux.
Toutefois, la volonté affichée par la ministre n’est pas le blocage de ces sites. Aux opposants de droite et mouvements pro-vie qui dénonçaient une atteinte à la liberté d’expression, la ministre avait répondu : « Je comprends qu’on ne pense pas tous la même chose. Ce qui me pose problème, c’est de ne pas afficher ses intentions. Leur liberté d’expression n’est absolument pas entravée. » C’est bien la pratique de dissimulation, participant de l’entrave à l’information, qui est au coeur de cette proposition.
L‘amendement déclaré irrecevable : le débat refusé par le Sénat
Cet amendement n’aura cependant pas l’occasion d’être débattu dans le cadre du projet de loi Égalité et citoyenneté, puisque le 28 septembre 2016, la commission sénatoriale l’a déclaré irrecevable. Cette dernière a fondé sa décision sur l’article 45 de la Constitution qui dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Selon Françoise Gatel, rapporteuse de la commission : « cet article est pour le Sénat inexaminable au titre de la Constitution puisqu’il n’a aucun lien avec le texte ». Comme l’a souligné le gouvernement, la loi parle pourtant d’égalité et cet amendement participait à l’égal accès des femmes à leurs droits. Il s’agit d’un cas d’irrecevabilité très rarement invoqué, ce qui a conduit Laurence Rossignol à dénoncer les éventuelles pressions qu’auraient pu exercer les lobbyistes anti-IVG.
Toutefois, cette exclusion par le Sénat pour des raisons techniques, ne devrait pas empêcher la proposition de faire son retour dans une autre loi. Reste à savoir si le gouvernement disposera du temps nécessaire pour y parvenir avant la fin du quinquennat.
SOURCES :
BALLET (V.), « IVG : le “délit d’entrave numérique” écarté par le Sénat », liberation.fr, publié le 29/09/16, consulté le 22/10/16, disponible sur http://www.liberation.fr/france/2016/09/29/ivg-le-delit-d-entrave-numerique-ecarte-par-le-senat_1514517
HUC (M.), « L’IVG et internet : la guerre du référencement », iredic.univ-cezanne.fr, publié le 04/02/14, consulté le 23/10/16, disponible sur https://iredic.fr/?p=14017
REES (M.), « Le gouvernement introduit un délit d’entrave numérique à l’IVG », nextinpact.com, publié le 28/09/16, consulté le 20/10/16, disponible sur http://www.nextinpact.com/news/101558-le-gouvernement-introduit-delit-dentrave-numerique-a-ivg.htm
ROSSIGNOL (L.), « 40 ans après la loi Veil, le droit à l’IVG face aux nouvelles menaces 2.0 », huffingtonpost.fr, publié le 30/09/16, consulté le 22/10/16, disponible sur http://www.huffingtonpost.fr/laurence-rossignol/ivg-avortement-nouvelles-menaces_b_12266118.html?utm_hp_ref=france