Les artistes amateurs des spectacles vivants qui n’avaient pas bénéficié d’encadrement juridique stricte de leur activité depuis très longtemps, se sont finalement vu attribuer un statut juridique par l’article 32 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Cette loi devrait répondre à deux objectifs déclarés dont la première est « la reconnaissance et le développement de la pratique amateur en France » et la deuxième est « la nécessité d’un cadre juridique clair permettant d’éviter des pratiques déloyales à l’égard du secteur professionnel ». Pourquoi la nécessité de l’encadrement juridique est-elle apparue et en quoi consistaient-elles les contradictions vis-à-vis les artistes professionnels ? Nous allons répondre à ces questions en suivant l’évolution des pratiques amateurs en France.
Évolution de la notion d’artiste amateur : une longue voie
La loi « liberté de la creation » en ce qui concerne les artistes amateurs a abrogé le decret n° 53-1253 du 19 décembre 1953 relatif à l’organisation des spectacles amateurs et leurs rapports avec les entreprises de spectacles professionnelles. Le decret a fait apparaitre une nouvelle catégorie d’artiste amateur dans le cadre du spectacle vivant en proposant une définition de l’amateur ou du groupement d’amateurs qui consistait à affirmer que l’amateur etait celui qui n’était pas professionnel : « Est dénommé « groupement d’amateurs » tout groupement qui organise et produit en public des manifestations dramatiques, dramaticolyriques, vocales, chorégraphiques, de pantomimes, de marionnettes, de variétés etc…, ou bien y participe et dont les membres ne reçoivent, de ce fait, aucune rémunération, mais tirent leurs moyens habituels d’existence de salaires ou de revenus étrangers aux diverses activités artistiques des professions du spectacle ». Le decret a prévu la dérogation aux devoirs fiscaux pour les artistes amateurs. Pour autant, le texte a laissé des lacunes concérnant la mise en place d’une billeterie payante. Il n’est rien dit non plus sur les modes de remboursement des frais. Ainsi, en l’absence d’un statut de l’amateur ou de qualification précises de ces activités, un artiste amateur s’est retrouve entre d’un coté le Code de commerce qui définit l’activité de spectacle vivant comme un acte commercial et comme suit déduit par l’article L762-1 du Code du Travail la présomption de salariat pour les artistes du spectacle et et de l’autre, un decret de 19 décembre 1953. L’artiste amateur était tout le temps dans la situation de risque de se voir un jour qualifier de travailleur clandestin par les organismes de contrôle et de la reconnaissance d’une situation de concurrence déloyale.
La nécessité de changer la situation de l’artiste amateur étant évidente, une circulaire en date du 23 mars 2001 est parue pour préciser un peu les choses en énumérant les conditions nécessaires pour qu’une représentation soit définie comme spectacle amateur. Il faudrait donc : « qu’elle soit pratiquée par des personnes qui tirent leurs moyens d’existence d’activités étrangères à celles du spectacle, – que les groupements soient constitués en associations loi 1901, qu’ils soient agréés par une commission spécifique et que leurs statuts et règlements intérieurs fassent apparaître le caractère désintéressé et non concurrentiel de l’activité, – que les spectacles soient exclusivement présentés dans l’académie où est fixée l’association,que les groupements ne produisent pas plus de 3 spectacles par an (avec 10 représentations maximum dans les agglomérations fréquentées par des groupements professionnels). Il n’est pas fait mention dans ce décret d’éventuels frais de déplacements pouvant être remboursés par l’organisateur du concert ». D’ailleurs, la circulaire n’était pas une mesure suffisante.
En 2008 l’idée de reconstruire un cadre juridique applicable aux artistes amateurs du spectacle vivant a été reprise avec un avant-projet de loi qui a été abandonné après l’intervention de certains organisateurs et artistes bénévoles craignant les pratiques déloyales du fait que les organisateurs de spectacles à but lucratif ont obtenu la possibilité de récourir à ces artistes amateurs, sans les payer. Une forme de « dumping social » a été dénonce par les organisations syndicales des artistes bénévoles.
La question s’est posée de nouveau avec le projet de la loi « liberté de la création » L’objectif de la loi était d’affirmer le statut d’un artiste amateur juridiquement encadré et le consilier avec un artiste professionnel en assurant une coexistance des deux pratiques en harmonie.
Les apports de la loi « liberté de création » sur le statut d’artiste amateur
La définition d’un artiste amateur est présentée dans le paragraphe I de l’article 32 : «Est artiste amateur dans le domaine de la création artistique toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n’en tire aucune rémunération ». La définition prévoit un groupe de personnes aussi bien qu’un seul individu. La première critère faisant la différence entre un artiste amateur et celui professionnel est liée à l’absence d’une rémunération des amateurs, la condition qui n’a pas été prévue par le decret de 1953.
Le paragraphe II de l’article 32 du texte, soustrayant « l’artiste amateur ou le groupement d’artistes amateurs » à la présomption de salariat édicté par l’article L. 7121-3 et L. 7121-4, a pour but de limiter les risques de requalification dont on a parlé précédemment. Pour autant, si le cadre de l’activité d’un artiste amateur n’est pas délimité, les structures professionnelles pourraient profiter de cette soustraction à la presomption de salariat pour bénéficier des préstations gratuites aux depenses des artistes professionnels. C’est la raison pour laquelle l’éviction de la présomption est limitée par la disposition aux pratiques amateurs exercées dans un cadre « non-lucratif » et dont l’activité doit être canalisée.
On a donné le role central au caractère non-lucratif de l’activité d’un artiste amateur dans le paragraphe II : « La représentation en public d’une oeuvre de l’ésprit par un artiste amateur ou par un groupement d’artistes amateurs et organisée dans un cadre non-lucratif, y compris dans le cadre de festivals de pratique en amateur, ne releve pas des articles L. 7121-3 et L. 7121-4 du code du travail ». Il s’agit de l’exception à la présomption de salariat. Pourtant le caractère non-lucratif n’exclut pas le cas de billeterie payante dont les recettes pourraient être utilisées à d’autres fins que le strict recouvrement des frais occasionnés par les productions artistiques. La question qui se pose est de savoir si ces recettes, utilisées à d’autres fins sont susceptibles d’être qualifiées en tant qu’une rémunération.
Artiste amateur : vers une concurrence déloyale ?
La participation des artistes amateurs est possible pas que dans le cadre non-lucratif. Le paragraphe III de l’article 32 prévoit la participation des artistes amateurs dans un cadre lucratif : « Sans préjudice de la présomption de salariat prévue aux articles L. 7121-3 et L. 7121-4 du Code du travail, les structures de création, de production, de diffusion, d’exploitation de lieux de spectacles mentionnées aux articles L. 7122-1 et L. 7122-2 du même code dont les missions prévoient l’accompagnement de la pratique amateur et la valorisation des groupements d’artistes amateurs peuvent faire participer des artistes amateurs et des groupements d’artistes amateurs à des représentations en public d’une œuvre de l’esprit sans être tenues de les rémunérer, dans la limite d’un nombre annuel de représentations défini par voie réglementaire, et dans le cadre d’un accompagnement de la pratique amateur ou d’actions pédagogiques et culturelles ». D’ailleurs, les artistes amateurs, étant toujours éxemptés de la présomption du salariat, pourront être invités à participer dans un spectacle vivant par les entrepreneurs sans être rémunerés, ce qui crée une situation de concurrence deloyale à l’égard des artistes professionnels. C’est pour ca que plusieurs artistes professionnels aussi bien que les organisations syndicales se sont opposés à ce paragraphe dans sa version du projet de loi. Néanmoins, le legislateur a réduit le nombre autorisé de recours aux artistes amateurs au cours de l’année.
Malgré que le texte fasse poser des questions, il a pu accomplir deux objectifs importants : attirer dans le cadre culturel la catégorie d’artistes amateurs enrichissant le domaine du spectacle vivant en faisant echapper un artiste amateur au probleme de requalification.