Afin de donner un nouvel élan à l’économie du pays, le gouvernement chinois avait annoncé, courant mars 2015, la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie dénommée « Internet Plus ». Ce vaste projet numérique entend intégrer l’Internet, et notamment les technologies du Big Data, aux différents secteurs du pays, afin de favoriser les nouvelles industries et le développement du commerce en Chine. Il est vrai que le marché du Big Data connaît assurément une croissance plus rapide en Asie Pacifique qu’au sein des autres zones géographiques.
Littéralement, le terme Big Data signifie mégadonnées, grosses données ou encore données massives. Plus précisément, la notion se caractérise par sa capacité à traiter à très grande vitesse des quantités considérables de données issues de sources multiples et ce, de manière non perceptible pour l’individu.
Par ailleurs, l’utilisation du Big Data n’a pas seulement permis de donner un nouveau souffle à l’économie de la Chine. En effet, le marché de la surveillance constitue une parfaite illustration de cette prolifération de données. En Chine, ces données massives ont notamment permis au gouvernement de mettre en place un nouveau dispositif surprenant visant à attribuer aux citoyens du pays une « note de confiance ».
Big Brother is « wat-chine » you !
Prévu pour 2020, cette mesure baptisée « Social Credit System » est issue de la volonté du gouvernement chinois de promouvoir une culture de la « sincérité », permettant d’évaluer le niveau de confiance que l’on peut accorder à une personne.
Tout porte à croire que cette initiative s’oriente vers une infrastructure de type « Big Data ». Cette mesure s’appuie, en effet, sur la collecte des données personnelles des 700 millions d’internautes chinois. Allant de leur discours tenu sur les réseaux sociaux à l’engagement politique, en passant par le respect du code de la route. Tous les éléments sont bons pour déterminer leur « score ».
Selon le plan, les données fournies par les smartphones, les médias sociaux, les plates-formes d’e-commerce pourraient donc être exploitées. De même, les enregistrements des tribunaux, de la police, des banques, des impôts et des employeurs, seront utilisés par le gouvernement chinois afin d’alimenter son gigantesque algorithme.
Afin de promouvoir cette culture de la sincérité, le système de notation entend instaurer un certain nombre de sanctions et de récompenses. Les citoyens exemplaires pourront, par exemple, prétendre à l’obtention d’un prêt ou d’une promotion. Les moins dignes de confiance, quant à eux, se verront imposer des sanctions dont la liste est détaillée dans un document du gouvernement dévoilée par le Washington Post. Le score obtenu peut alors avoir une incidence considérable tant sur la vie professionnelle que personnelle des citoyens. En effet, un citoyen contrevenant pourra faire face à des restrictions bancaires et financières mais il pourra aussi se voir interdire de partir à l’étranger ou d’inscrire ses enfants dans les meilleures écoles du pays. Le contrevenant pourrait, de plus, être soumis à une surveillance renforcée, voire à des inspections inopinées.
Les citoyens, personnes physiques, ne sont pas les seuls concernés par cette mesure. Les entreprises, pourront, elles aussi se voir imposer des sanctions, notamment économiques, telles que l’interdiction d’émettre des obligations.
Le gouvernement présente ce dispositif comme un nouveau moyen de lutte contre la fraude, alors très en vogue dans le pays. Ces dernière années, les scandales de corruption impliquant de hauts responsable se sont, effectivement, multipliés.
Ce projet de notation, aussi inédit qu’il parait, n’est pourtant pas nouveau : une expérience similaire avait déjà été élaborée par le gouvernement dans la province de Jiangsu en 2010. Le gouvernement avait, à l’époque, jugé bon d’abandonner son système face à la protestation générale.
Ce système, fondé sur une base de données centralisées, pose alors un problème majeur : celui de la cybercriminalité. Un tel système pourrait devenir la cible de pirates informatiques. Dans ces conditions, les hackers pourront alors prendre un malin plaisir à récupérer ces données sensibles, à les revendre et même à les modifier.
Au-delà de cet enjeu, les autorités s’octroient ainsi un formidable moyen de pression sur les citoyens, laissant sous-entendre un certain nombre de problèmes à la fois moraux et juridiques. En effet, la surveillance affecterait alors près de 700 millions d’utilisateurs, posant alors la problématique de la protection de leurs données personnelles. En effet, si la Chine a entamé l’élaboration d’un cadre juridique précis, le pays ne dispose pas encore d’une loi consacrant la protection des données personnelles. Pour en savoir plus, un article de Nansa Ouattara à ce sujet est consultable ici.
Mais, en Chine, le Big Data n’a pas seulement pour vocation de surveiller les citoyens. En effet, le gouvernement entend valoriser ce volume massif de données dans de nombreux domaines.
L’intégration des données massives dans le secteur public
Avec une population avoisinant les 1,3 milliards d’habitants, dont la moitié environ est connectée à Internet, la Chine génère chaque année un gigantesque volume de données. Le gouvernement a alors pris conscience de la richesse que ces données pouvaient générer. C’est pourquoi, le Conseil des Affaires d’État (gouvernement central chinois) a publié à la fin de l’année 2015 une série de directives qui entrent dans le cadre du projet « Internet Plus », et ce dans le but de promouvoir ces données massives et d’explorer les potentialités du Big Data.
L’idée est de mettre en place deux plateformes permettant aux citoyens d’accéder aux ressources de données publiques. La gestion du Big Data devrait s’appliquer à l’ensemble du secteur public, à savoir les crédits, les transports, la santé publique, l’emploi, la culture, l’éducation, la science, l’agriculture, la finance et les services météorologiques. Mais deux domaines sont particulièrement concernés par ce nouveau protocole.
Dans le secteur de l’agriculture, d’avantage d’efforts seront, en effet, déployés pour promouvoir la mise en œuvre des technologies numériques afin de relancer l’économie rurale. Le gouvernement entend, à ce titre, améliorer l’infrastructure d’Internet et la logistique rurale, former des agriculteurs, et encourager l’utilisation des mégadonnées dans l’agriculture.
Le Big Data est également apparu comme une aubaine à l’heure où le système de santé est encore inaccessible au plus grand nombre. Les nouvelles directives devraient alors proposer la mise en place des dossiers médicaux numériques, l’intensification des échanges statistiques entre les hôpitaux, ou l’utilisation des moteurs de recherche pour traquer les épidémies. Plusieurs hôpitaux sont également autorisés à réaliser des diagnostics en ligne, sur la base d’algorithmes utilisant le Big Data médical.
Pour arriver à ses fins, la Chine doit encore accélérer le partage des données publiques et promouvoir l’innovation industrielle. Mais il est évident que le pays a déjà réussi à se hisser au rang de géant du numérique par la digitalisation de son économie et par le développement de véritables écosystèmes numériques.
Une seule question reste alors en suspens, celle de savoir si l’exploitation du Big Data à des fins de surveillance ne risque pas de faire passer le projet « Internet Plus » comme une sorte de Police d’État du XXIème siècle. Le plan d’action du gouvernement, censé être un tremplin pour l’économie du pays, peut effectivement être perçu comme un moyen de renforcer les contrôle sur la population.
Si l’exploitation du Big Data permet, via le stockage et l’analyse des données, d’en faire ressortir des informations pertinentes et utiles pour les entreprises, il n’en demeure pas moins que ces informations restent des données sensibles.
Et l’utilisation qui en est fait par le parti communiste chinois ne fait que mettre à jour un système qui n’a pas totalement renoncé à ses réflexes totalitaires.
La Chine évolue alors vers une société dans laquelle le gouvernement a la capacité de contrôler et d’affecter la vie privée des individus ; à tel point que l’écrivain Murong Xuecun est allé jusqu’à comparer le système chinois au célèbre régime totalitaire imaginé par George Orwell : « C’est comme Big Brother, qui détient toute les informations qui vous concernent, et peut vous faire du tort de la manière qu’il le souhaite ».
Reste que la mise en place de ces outils extrêmement puissants de suivi de la population tend à faire évoluer le pays vers une forme de « cybertotlitarisme » de plus en plus sévère et contraignants pour la population.
Sources :
ANONYME, « La Chine dévoile son plan d’action “Internet Plus” pour stimuler la croissance », french.xinhuanet.com, publié le 04/072015, consulté le 12/11/2016, <http://french.xinhuanet.com/economie/2015-07/04/c_134381460.htm>
CATALON (J.-C.), « Chine : le Big Data pour noter les citoyens… et sanctionner les déviants », latribune.fr, publié le 24/10/2016, consulté le 10/11/2016, <http://www.latribune.fr/economie/international/chine-le-big-data-pour-noter-les-citoyens-et-sanctionner-les-deviants-610374.html>
DENYER (S.), « China’s plan to organize its society relies on « big data to rate everyone », washingtonpost.com, publié le 22/10/2016, consulté le 10/11/2016,<https://www.washingtonpost.com/world/asia_pacific/chinas-plan-to-organize-its-whole-society-around-big-data-a-rating-for-everyone/2016/10/20/1cd0dd9c-9516-11e6-ae9d-0030ac1899cd_story.html>
GUIOT-ZIMMERMANN (A.), « Chine : le grand bond en avant du big data », diplomatie.gouv.fr, publié le 25/10/2015, consulté le 12/11/2016,<http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-scientifique/veille-scientifique-et-technologique/chine/article/chine-le-grand-bond-en-avant-du-big-data>
KALLENBORN (G.), « Comment la Chine veut instaurer une surveillance totale de la société », hightech.bfm.com, publiée de 16/11/2016, consulté le 17/11/2016, <http://hightech.bfmtv.com/securite/comment-la-chine-veut-instaurer-une-surveillance-totale-de-la-societe-1060061.html>