Panique sur les réseaux sociaux – Le 28 novembre dernier, la gendarmerie nationale a annoncé via son compte twitter la fermeture du site de téléchargement illégal : Zone Téléchargement. Il s’agit du plus important site français de téléchargement avec pas moins de 3,7 millions de visites par mois. Selon le classement Alexa, Zone Téléchargement était le 11ème site le plus visité de France. De quoi inquiéter fortement les internautes adeptes du téléchargement d’autant plus qu’il ne s’agit pas du seul site fermé ces dernières semaines. En effet, les sites pirates What.cd, KickassTorrents ou encore Wawa-mania ont, eux aussi, dû lever l’ancre.
Face à cette série de fermetures et au développement assez fulgurant de plateformes de téléchargement légal, on est en droit de se demander si les industries culturelles – toujours soucieuses de la protection de leur droit d’auteur – ne seraient pas en passe de remporter la bataille contre les sites de téléchargement illégaux ? Ou bien ces derniers ont-ils toujours de beaux jours devant eux ?
L’apparition d’un système mafieux : la conséquence logique de la loi Hadopi
Avec l’apparition et la démocratisation d’internet, les internautes ont eu la possibilité d’accèder de plus en plus facilement et rapidement à des contenus protégés par le droit d’auteur. A ses tous débuts, le piratage ne consistait qu’en un échange de fichiers en peer to peer, c’est-à-dire un échange de contenus entre internautes via un logiciel dont le plus connu reste eMule. Ce système était décentralisé et ne nécessitait aucun intermédiaire.
Mais face à la montée de ce téléchargement illégal, il est apparu nécessaire de trouver une solution pour protéger les droits d’auteur sur internet. C’est ainsi qu’a été adoptée en 2009 la loi dite Hadopi visant essentiellement à sanctionner le recours au téléchargement en peer to peer.
Cependant avec le « boom » des séries américaines, l’indisponibilité de certains contenus et surtout l’absence d’une offre légale attractive pour un public relativement jeune, la demande d’accès aux contenus protégés par le droit d’auteur n’a cessé d’augmenter. Afin de contrer le système répressif mis en place par la loi hadopi, des sites de téléchargement direct et de streaming comme MégaUpload et Zone Téléchargement sont apparus. Plus besoin de passer par le peer to peer, désormais un simple clic sur les liens proposés par ces sites permet le visionnage illicite d’un contenu. Or ces sites intermédiaires n’hésitent pas à placer de la publicité voir même proposer des offres « premium » aux internautes dans le but de récupérer des recettes financières.
C’est ainsi qu’en voulant lutter contre le téléchargement en peer to peer sans prendre en compte un usage bien installé, le système hadopi a indirectement contibué à la naissance d’une dérive mafieuse et frauduleuse. Comme on peut l’observer à travers l’enquête relative à Zone Téléchargement, le site réalisait environ 1,5 millions de chiffre d’affaire annuel et ses administrateurs détenaient plusieurs comptes offshore dans des paradis fiscaux.
Les associations de défense des libertés sur internet regrettent également l’apparition de ces sites de contrefaçon commerciale. Pour elles, la faute revient surtout au lobbying des industries culturelles qui ont soutenu l’instauration du système Hadopi au détriment d’une légalisation du partage.
La fermeture des sites de téléchargement : un moyen de lutte contre le piratage inopérant
La gendarmerie et le C3N (le centre de lutte contre les criminalités numériques) ont beau se réjouir d’avoir réussi à fermer le site Zone Téléchargement, cette fermeture semble pourtant n’être qu’un énième épisode d’une guerre contre le piratage qui dure depuis une quinzaine d’années maintenant. En effet, les fermetures de sites de téléchargement direct ou de streaming sont légions et ne semblent pas régler le problème du téléchargement illicite. En réalité, d’autres sites vont apparaître. Les plateformes de téléchargement, se sachant menacées, mettent en place des techniques pour pouvoir continuer d’exister comme la création de sites miroirs. C’est-à-dire une copie du site attaqué mais placée sous une autre adresse.
Par exemple, les administrateurs du site Cpasbien, devenu le premier site français de piratage suite à la fermeture de Zone Téléchargement, ont décidé de déménager vers un site miroir : Torrent9 et ce afin de perdre en visibilité et d’empêcher une éventuelle fermeture.
Aujourd’hui la consommation d’œuvres illicites étant entrée dans les mœurs, nul doute que les internautes vont se déplacer vers un autre site de téléchargement pour continuer à avoir accès aux contenus qu’ils demandent.
La montée de l’offre légale : vers un changement des comportements des internautes ?
L’existence du téléchargement illicite repose principalement sur le fait que les internautes exigent un accès à des œuvres protégées. Or celles ci sont souvent indisponibles notamment en raison de la réglementation sur la chronologie des médias qui impose un certain délai avant l’accès au contenu. Le problème est qu’avec internet, les internautes ont pris l’habitude de ne plus attendre pour avoir accès au contenu de leur choix.
Les industries culturelles ont mis énormément de temps à s’adapter aux usages et à proposer une offre légale à coût attractif. En effet les premières offres légales proposaient des contenus au même prix que les CD et DVD. Forcement pour un public majoritairement jeune qui n’a pas une forte capacité financière mais qui est friand de films, de séries américaines et de musiques le choix du téléchargement illicite, rapide et gratuit s’est vite imposé.
Cependant, depuis quelques années on constate l’explosion des offres à la demande comme Netflix ou OCS qui proposent un accès à un catalogue de contenus de façon illimitée et ce moyennant un abonnement mensuel plutôt attractif – une dizaine d’euros environ. De fait, ces nouveaux services apparaissent plus en phase avec la réalité des usages des consommateurs tout en utilisant au maximum les progrès du numérique. On a en effet la possibilité d’avoir accès facilement et rapidement à ces contenus et ce sur plusieurs écrans permettant par la même de partager les frais entre plusieurs personnes. Fortes de leur succès, ces plateformes ont su capter une partie des consommateurs et ainsi réduire le piratage.
Néanmoins, en France subsiste toujours la problématique des contenus indisponibles en raison de la réglementation sur la chronologie des médias. Les catalogues des plateformes de vidéo à la demande s’avèrent particulièrement pauvres. Les films les plus récents ont trois ans quant aux séries, certaines, ont quelques saisons de retard.
Par ailleurs, les plateformes disposent d’une exclusivité sur l’accès à certains contenus. La série la plus téléchargée au monde, Game of Thrones, est disponible sur OCS et non sur le populaire Netflix. Or il apparaît peu probable qu’un foyer d’internautes puisse financièrement s’abonner à toutes les plateformes d’offre à la demande uniquement pour avoir accès à la totalité des contenus qu’il désire.
Par conséquent on peut penser que le téléchargement illicite est parti pour rester encore un certain temps – du moins tant que l’offre ne se sera pas adaptée totalement aux usages de la société.
SOURCES :
AUDUREAU (W.), « De Napster à Zone Téléchargement, une petite histoire du piratage sur internet », lemonde.fr, mis en ligne le 30.11.2016, consultée le 10.12.2016, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/11/30/de-napster-a-zone-telechargement-petite-histoire-du-piratage-sur-internet_5040900_4408996.html
TUAL (M.), «Zone Téléchargement : ” Les industries culturelles luttent contre des monstres qu’elles ont elles-mêmes créés”», lemonde.fr, mis en ligne le 5.12.2016, consulté le 10.12.2016, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/12/05/zone-telechargement-les-industries-culturelles-luttent-contre-des-monstres-qu-elles-ont-elles-memes-crees_5043773_4408996.html
DURAND (C.), «Zone Téléchargement, PME pirate : les dessous d’une enquête internationale», numerama.com, mis en ligne le 29.11.2016, consulté le 10.12.2016, http://www.numerama.com/politique/212734-zone-telechargement-pme-pirate-les-dessous-dune-enquete-internationale.html
MAIRE (J.), «Les fermetures de sites pirates sonnent-elles le glas du téléchargement illégal?», télérama.fr, mis en ligne le 3.12.2016, consulté le 10.12.2016, http://www.telerama.fr/medias/les-fermetures-de-sites-pirates-sonnent-elles-le-glas-du-telechargement-illegal,150917.php