“Le cinéma en tant que rêve, le cinéma en tant que musique. Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme“. Comme l’avait déclaré le réalisateur de cinéma Ingmar Bergman, le grand écran est certainement le support médiatique qui rend le public le plus réceptif au message qu’il contient. C’est la raison pour laquelle, c’est également un média aussi contrôlé. En effet, contrairement aux autres supports médiatiques en France, chaque œuvre cinématographique produite nécessite l’obtention d’une autorisation, par l’intermédiaire d’un visa d’exploitation, avant d’être diffusée dans les salles. Si le spectateur peut être si réceptif à ce genre d’œuvre, il est alors nécessaire de protéger le jeune public de l’accès à certaines œuvres. Pourtant, la limite d’âge de certains films est sujet à polémique, soit parce qu’elle est trop sévère, soit parce qu’elle ne l’est pas assez. C’est notamment le cas du film d’animation américain Sausage Party, sorti sur les écrans français le 30 novembre dernier. Alors que les Etats-Unis ont interdit l’entrée des mineurs de moins de dix-sept ans pour la représentation en salle de ce film, la France ne l’a interdit que pour les mineurs de moins de douze ans.
La classification des films avant leur représentation en salle : fonctionnement et enjeu
En vertu du premier alinéa de l’ article L. 211-1 du code du cinéma et de l’image animée : « la représentation des films cinématographiques est subordonnée à l’obtention de visas délivrés par le ministre de la culture ». Ce visa d’exploitation est transmis après deux examens. Le premier est effectué par le Comité de classification. Mais c’est la Commission de classification des œuvres cinématographiques qui émet l’avis transmis au ministre de la culture et de la communication.
Aux termes de l’article R. 211-12 du code du cinéma et de l’image animée, il existe cinq types de visas différents. Le premier autorise la représentation de l’œuvre pour tous publics. Les deux suivants interdisent la représentation d’une œuvre réciproquement aux mineurs âgés de douze et seize ans. Les deux derniers interdisent la représentation de l’œuvre pour les mineurs de dix-huit ans dans des conditions différentes.
Il est précisé dans ce code, les motifs de l’obtention du visa interdisant l’accès d’une œuvre pour les mineurs de dix huit ans, à savoir lorsque l’œuvre ou le document comporte des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence. Pourtant il n’y a pas de précision quant aux interdictions pour les mineurs de moins de douze ou moins de seize ans. Il s’agit alors d’une part de subjectivité pour émettre un avis de classification entre ces deux âges, puisqu’il n’existe pas de grille de lecture.
Cette différence de classification n’a pas de contraintes économiques légales, à l’instar du classement dit « X » pour les mineurs âgés de moins de dix-huit ans. Cela dit, si le visa interdit la représentation aux moins de seize ans, la perte de la clientèle se traduira par un manque à gagner. Il s’agit aussi de ne pas abusivement limiter la liberté d’expression à un certain public. Pourtant, un équilibre doit être trouvé entre ces critères avec la protection de l’enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine, en vertu du deuxième alinéa de l’article L. 211-1 du code du cinéma et de l’image animée.
Pour l’œuvre Sausage Party, le ministre a suivi l’avis émis par la commission, d’interdire la représentation en salle pour les mineurs de moins de douze ans au motif que ce film comporte : « de très nombreuses scènes à caractère sexuel et un langage cru qui, en dépit de leur second degré, ne sont pas appropriés à un jeune public ».
La polémique de l’exploitation en salles : les critiques d’une classification « trop basse »
La souplesse de cette classification est essentiellement dénoncée par plusieurs associations. A cet exemple, l’association Promouvoir assimile le film à un « film pornographique pour adulte » par le biais de son fondateur André Bonnet. En effet, s’il ne s’agit que d’un dessin animé, plusieurs scènes font explicitement référence à des scènes sexuelles entre aliments et à la consommation de stupéfiants.
A côté d’autres organisations, l’association Promouvoir a alors saisi le tribunal administratif de Paris dès le 1er décembre. Les partis contestaient alors la décision du 29 septembre 2016 du ministre en estimant notamment que le contenu du film vise à corrompre les mineurs en méconnaissance des dispositions de l’article 227-22 du code pénal. Elles demandaient que le film exploité obtienne un nouveau visa pour limiter l’entrée en salle au public âgé de seize ans.
Après avoir réussi à obtenir l’annulation de visas d’exploitation de plusieurs films, pour l’instant, l’association Promouvoir n’aura pas eu gain de cause. Le 14 décembre dernier, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes de ces associations. Compte tenu de la dimension humoristique du film, il a été estimé que l’absence d’interdiction aux jeunes adolescents ne méconnaissait pas l’exigence de protection de l’enfance et de la jeunesse. Pour compléter son raisonnement, le juge fait remarquer que plusieurs indices, notamment, le titre, l’affiche et la bande annonce du film mettaient suffisamment en relief le caractère subversif et l’omniprésence des connotations sexuelles.
S’il est vrai que le dessin animé réalisé par Greg Tiernan et Conrad Vernon semble être assez « trash », il est clairement tourné dans l’esprit parodique. Il aurait été difficile de croire que le juge des référés allait reconnaître la tentative de corruption de mineurs par ce film. Si une interdiction pour les moins de seize ans aurait semblé trop sévère pour ce film, on peut néanmoins rester perplexe face à la souplesse de la limite d’âge de douze ans.
Une polémique parmi d’autres : perspectives d’évolution de la classification
L’actuel président de la classification des films Jean François Mary recommandait dans un rapport rendu à la ministre de la culture et de la communication, publié le 29 février 2016, la création d’une nouvelle classification. Un visa d’exploitation intermédiaire, qui limiterait l’entrée en salle pour la représentation de certains films pour les mineurs de moins de quatorze ans. Cela aurait pour mérite de disposer d’une plus grande liberté d’appréciation pour protéger les adolescents.
Pourtant il faut rappeler, que ces dernières années la justice n’a annulé le visa d’exploitation que d’une poignée de films : Love, La Vie d’Adèle, Antichrist, Baise-moi, Saw 3D, Ken Park, Nymphomaniac : Volume 1, Nymphomaniac : Volume 2. Ce nombre étant très faible, le système de classification semble bien fonctionner. Il est également difficile de croire que la sortie du film Sausage Party puisse remettre en cause cette classification puisque les films polémiques font essentiellement débat autour d’un interdiction pour les mineurs de moins de seize ans ou pour les moins de dix-huit ans.
Il existe également la possibilité d’utiliser un outil dans le code du cinéma et de l’image animée à l’article R. 211-13, qui est celui de l’avertissement. Il s’agit d’une possibilité d’accompagner le visa d’exploitation cinématographique pour informer au mieux le spectateur du contenu de l’œuvre. Il serait alors préférable d’utiliser plus cet outil pour informer le mieux possible le public susceptible de voir une œuvre au cinéma pouvant comporter certaines chaînes choquantes. A la place de passer systématiquement par un procédé de censure, cet outil serait certainement plus efficace dans la prévention de notre société actuelle. En effet, avec les possibilités qu’offre internet, un mineur très jeune pourrait visionner ce film, sans même qu’il ne soit question de lui demander son âge. Alors aujourd’hui, la question d’une modification de cette classification pourrait revenir mais cette perspective semble perdre de plus en plus de son intérêt.
Sources :
LE ROY (M.), « Sausage Party : le sexe, la violence et le film d’animation », Dalloz actualité, 23 décembre 2016 < http://www.dalloz-actualite.fr/chronique/sausage-party-sexe-violence-et-film-d-animation#.WFze6cRPfCQa >, consulté le 24 décembre 2016
MARY (J-F.), « La classification des œuvres cinématographiques relatives aux mineurs de seize à dix-huit ans », rapport remis au ministre de la culture et de la communication, p.23, février 2016, consulté le 20 décembre 2016
ANONYME, « Faut-il laisser ses enfants voir Sausage Party ? », site Première, 30 novembre 2016, < http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Faut-il-laisser-ses-enfants-voir-Sausage-Party >, consulté le 3 décembre 2016
Site du CNC < www.cnc.fr >, consulté le 13 décembre 2016