Si Amazon a déjà su s’imposer en tant que leader mondial en matière de e-commerce, la société a plus récemment laissé entrevoir son ambition de s’emparer du secteur alimentaire. Par le bais de plusieurs initiatives, telles que le lancement d’AmazonFresh, du bouton Dash ou encore du service de livraison Prime Now, la firme a déjà prouvé son intérêt pour le secteur. Mais cette dernière n’entend pas en rester là.
Afin de s’imposer davantage face à la concurrence et de diversifier son activité au profit du commerce physique, Amazon a dévoilé le 5 décembre 2016 son tout nouveau concept de supermarché dénommé Amazon Go.
Le concept innovant de supermarché connecté
Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, avait confié en 2012 qu’il « adorerait ouvrir des magasins physiques » à condition de trouver un concept qui soit « propre à Amazon ». C’est désormais chose faite.
Le tout premier magasin alimentaire d’Amazon présente, en effet, l’innovante particularité d’être dépourvu de caisse.
Le pari fou que s’est lancé la firme est alors de proposer à ses clients un supermarché dans lequel ces derniers n’auraient pas à faire la queue. Les mots d’ordre sont clairs : « No lines, no check out, no register » (« pas de files d’attentes, pas de règlement, pas de caisse »). Comme le montre la vidéo de présentation publiée sur Twitter, il est tout à fait possible d’entrer dans le magasin, de choisir ses produits et d’en ressortir.
Concrètement, pour profiter de ce système les clients doivent se rendre dans le magasin en étant muni de leur smartphone et en ayant auparavant téléchargé l’application gratuite Amazon Go. Il ne leur reste alors plus qu’à scanner le code barre affiché sur l’écran de leur téléphone à l’entrée du magasin afin d’être identifié.
Grâce à un certain nombre de technologies, Amazon détecte automatiquement les produits choisis par un client, qui sont alors automatiquement ajoutés à son panier virtuel. Lorsque celui-ci quitte le magasin, il reçoit son ticket de caisse par email et est, peu de temps après, facturé.
Nul doute qu’aux yeux des distributeurs du monde entier, le géant du e-commerce vient alors d’opérer un tournant majeur dans le secteur alimentaire. Même si le point de vente situé à Seattle n’est encore qu’en phase de test et n’est réservé qu’aux seuls employés de la firme, il devrait ouvrir ses portes au public en ce début d’année 2017.
De plus, Amazon Go pourrait arriver en Europe plus vite qu’il n’y parait. En effet, la marque a été déposée en Angleterre le même jour que la révélation du tout nouveau point de vente. Par cette démarche, Amazon entend indéniablement conquérir l’Europe, le Royaume-Uni se présentant alors comme un très bon point d’entrée pour parvenir à ses fins.
Une expérience shopping repoussant les frontières technologiques
La vraie question qui subsiste et dont la firme se garde bien d’y répondre est de savoir comment Amazon Go fonctionne technologiquement. Un début de réponse apparait sur USA Today grâce à une étude du bureau de dépôt des brevets de Seattle.
Il s’agit en réalité non pas d’une technologie mais de plusieurs technologies qui combinées donnent naissance au système révolutionnaire « Just Walk Out » développé en 2014 par Amazon. Ce système serait une combinaison de plusieurs technologies (similaires à celles utilisées pour les voitures autonomes) associées à des capteurs intelligents et des algorithmes. Cet ensemble de technologies, alors au cœur de ce que l’on appelle l’intelligence artificielle permet alors d’identifier les produits qui seraient effectivement retirés ou reposés par les consommateurs, et ce de manière quasi-instantanée.
Le géant du commerce en ligne reste cependant assez vague sur le fonctionnement de cette technologie et sur la manière dont les informations sont exploitées par l’intelligence artificielle.
Le brevet déposé en 2014 donne un début de réponse en ce qu’il comprendrait des caméras à reconnaissance faciale scannant et analysant des détails physiques du client et qui iraient jusqu’à détecter la couleur de la peau de sa main lors de la prise en main du produit.
Le brevet comprendrait également des capteurs sensitifs et des caméras à reconnaissance d’objet ainsi que des micros analysant le son du déplacement des consommateurs ; le tout étant ensuite analysé par des algorithmes et traité par le service Cloud Computing.
Évidemment il ne s’agit pas là d’une réponse définitive mais cela nous éclaire tout de même sur ce qu’il pourrait se passer dans le supermarché de Seattle.
Mais au-delà de son ingéniosité, ce système est riche de données collectées notamment grâce à l’identification des clients et des produits achetés par la reconnaissance faciale.
La reconnaissance faciale, une menace pour la vie privée ?
Le système développé par Amazon se révèle à ce titre extrêmement performant notamment lorsque l’on sait qu’il peut détecter la couleur et le grain de la peau afin de déterminer si le produit est bien dans la main de telle ou telle personne.
Permettre à une intelligence artificielle de reconnaitre automatiquement un visage, c’est donc permettre à des robots d’analyser des images hautement complexes.
Amazon devra cependant rester prudent, notamment en matière de protection des données personnelles. En effet, si les données biométriques sont plus généralement le problème des médias sociaux, Amazon n’échappera pas à la règlementation en la matière. Le réseau social Facebook fait d’ailleurs l’objet d’un nouveau procès aux États-Unis pour avoir créé une base de données biométriques sans demander assez explicitement le consentement des internautes.
Par ailleurs, il n’existe pas encore aux États-Unis de loi fédérale régissant l’utilisation de la reconnaissance faciale et encore trop peu d’États (tels que l’Illinois et le Texas) interdisent l’utilisation de cet outil sans le « consentement éclairé » des utilisateurs. C’est donc avec vigilance qu’Amazon devra étendre son concept aux autres États du pays.
Se pose enfin la question de la législation applicable dans l’hypothèse où Amazon Go s’exporterait en Europe.
Un début de réponse apparaît à l’occasion d’un litige ayant récemment opposé Amazon à une association de consommateurs Autrichiens. L’affaire concernait les Conditions Générales d’Utilisation d’Amazon qui imposaient la législation luxembourgeoise (c’est-à-dire la législation du siège de l’entreprise) comme seul droit applicable aux contrats passés avec les internautes européens. La Cour de Justice de l’Union Européenne est donc venue préciser qu’en matière de e-commerce et de traitement des données à caractère personnel, le droit applicable est celui de l’État membre sur le territoire duquel est situé l’établissement. Amazon ne peut donc ignorer la loi du pays du consommateur dans le cadre des activités.
Selon ce raisonnement, il en va de même pour les supermarchés connectés qu’Amazon a l’intention d’exporter en Europe. La firme devra donc se plier à la législation de chacun des pays de l’Union Européenne dans lesquels elle a l’intention de développer ses activités. Et sachant que les garanties de protection varient d’un État à l’autre, Amazon devra donc redoubler de vigilance.
Une certaine harmonisation des règles applicables entre États membres est cependant prévue par le règlement européen sur la protection des données personnelles. Ce dernier devrait être applicable au printemps 2018. Ayant vocation à étendre le champ d’application de la règlementation à de nombreuses entités situées hors de l’Union Européenne, cette réforme a notamment pour objet de renforcer les droits des personnes concernées et d’augmenter les sanctions en cas de non-conformité.
Les principales inquiétudes résident également dans le fait que le public n’est pas vigilant face à la généralisation de la reconnaissance faciale ; un peu comme la diffusion des données personnelles sur les réseaux sociaux. À défaut de législation régissant l’utilisation de la reconnaissance faciale ou en cas de non-conformité à la règlementation existante, les bases de données pourraient alors mettre à mal la confidentialité biométrique des usagers.
Sources :
GAVOIS (S.), « Supermarché Amazon Go : les caisses remplacées par l’intelligence artificielle », nextimpact.com, publié le 06 décembre 2016, consulté le 18 décembre 2016 : <https://www.nextinpact.com/news/102388-supermache-amazon-go-caisses-remplacees-par-intelligence-artificielle.htm>
LENTSCHNER (K.), « Amazon lance un premier supermarché sans caisse aux Etats-Unis », lefigaro.fr, publié le 16 décembre 2016, consulté le 17 décembre 2016 : <http://www.lefigaro.fr/conso/2016/12/05/20010-20161205ARTFIG00281-amazon-lance-un-premier-supermarche-sans-caisse-aux-etats-unis.php>
PETTINEO (C.), « Reconnaissance faciale, une menace pour la vie privée ? », liberation.fr, publié le 26 juin 2015, consulté le 03 janvier 2017 : <http://www.liberation.fr/ecrans/2015/06/26/reconnaissance-faciale-une-menace-pour-la-vie-privee_1337015>
ROSENBUSH (S.), « The morning download : Amazon Go store makes retail check-out things of the past », wsj.com, publié le 06 décembre 2016, consulté le 17 décembre 2016 : <http://blogs.wsj.com/cio/2016/12/06/the-morning-download-amazon-go-store-makes-retail-check-out-thing-of-the-past>