Alors que les enfants âgés de 4 à 14 ans passent près de trois heures devant la télévision chaque jour, le gouvernement est venu se préoccuper de ce mass-média, par une loi du 20 décembre 2016 afin de limiter la diffusion de publicité lors de la diffusion d’émissions destinées à un jeune public.
Désormais, à compter du 1er janvier 2018 les chaines publiques de télévision et les sites internet associés auront une interdiction de diffuser des spots publicitaires durant les émissions jeunesses, principalement destinées à des enfants de moins de 12 ans, une interdiction allant même jusqu’à 15 minutes avant la diffusion et 15 minutes après la diffusion du programme concerné. Toutefois, cela ne concerne pas les messages génériques pour des biens ou services relatifs à la santé et au développement des enfants ou des campagnes d’intérêt général.
C’est en juillet 2015 que le Sénateur André Gattolin d’Europe Ecologie-Les Verts dépose une proposition de loi relative à la suppression des publicités commerciales sur l’ensemble des chaînes publiques de télévision lors de la diffusion de programmes jeunesse. Après deux lectures au Sénat et quelques amendements, le texte a définitivement été adopté à l’unanimité le 7 décembre dernier par cette même chambre.
Dans un premier temps, le gouvernement s’y oppose par peur du coût important de cette disposition, mais à l’arrivée d’Audrey Azoulay en tant que Ministre de la Culture et la réécriture de certains points de la loi de manière à protéger l’animation française, les réserves des socialistes ont été écartées.
Un enjeu primordial au cœur de la loi : la protection de l’enfance et de l’adolescence
Rappelons que la protection de l’enfance et de l’adolescence est une mission issue des articles 1er et 15 de la loi de 1986 relative à la liberté de communication, dont le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel est chargé de veiller à ce que l’ensemble des médias la respecte. Par-là, comprenons que les services de média audiovisuel sont libres dans leur programmation à condition toutefois de respecter cette mission qui leur est confiée.
De la sorte, le sénateur décide de proposer une suppression des publicités au sein des programmes jeunesse après un constat faramineux : on remarque que 8,3 millions d’enfants âgés de 4 à 14 ans sont le principal marché « enfants » pour les annonceurs publicitaires en France, plaçant ainsi notre pays devant la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Ici, le souhait est donc de limiter strictement les effets de la publicité dans les programmes jeunesses diffusés sur les chaines publiques puisque les enfants et les adolescents forment un public vulnérable qu’on se doit de protéger. C’est notamment le cas de la télévision : un mass-média ayant une forte influence.
Ils sont donc la cible privilégiée des publicitaires. Parfois des effets positifs peuvent leur être trouvés mais ce sont les effets négatifs qui ressortent le plus et qui sont décriés. Effectivement, nous avons conscience que la télévision est néfaste pour la santé ou le développement personnel des enfants. D’après le sénateur à l’origine de la proposition de cette loi « On s’adresse de plus en plus à eux en tant que futurs consommateurs, en essayant de créer une fidélisation … ». C’est pourquoi, on peut remarquer une influence sur leur choix alimentaire qui peut provoquer une obésité infantile. Il faut savoir que les enfants sont des prescripteurs d’achat et donc une cible très appréciée par les publicitaires : ce sont les enfants qui vont le plus souvent faire acheter à leurs parents le produit qu’ils ont vu à la publicité entre deux dessins animés. Ce n’est pas tout : à côté des publicités alimentaires, les annonceurs sont souvent pointés du doigt du fait du monde idéal qu’il représente à la télévision et font croire par-là aux enfants que c’est la vie réelle.
Sans contestation, cette loi s’inscrit dans l’optique d’une protection de santé publique de nos enfants et adolescents, surtout dans le cadre de cette société de consommation dans laquelle nous vivons.
Cette mesure prise par le gouvernement permettant un encadrement des pratiques publicitaires envers les mineurs n’est pas isolée. Des recommandations du CSA existent déjà envers ce public fragile. Le 7 juin 2006 , le Conseil fait part d’une recommandation « aux éditeurs de services de télévision relative à des pratiques publicitaires liées à la diffusion d’œuvres d’animation et de fiction à destination des mineurs ». Il souhaite encadrer deux cas spécifiques. Dans un premier temps les cas de l’œuvre ayant donné naissance à des produits ou services dérivés, qui ne peut pas « être interrompue ni précédée ou suivie de messages publicitaires en faveur de produits ou de services utilisant l’image de ses protagonistes. Ainsi, le message ne peut être diffusé en dernière position dans l’écran publicitaire précédant le début de l’œuvre ni en première position dans l’écran suivant la fin de l’œuvre ». Puis le CSA décide d’encadrer le cas de l’œuvre qui met en scène des personnes issus de produits ou de services préexistants. Ici, « un délai d’au moins quarante-cinq minutes doit s’écouler entre la diffusion des messages publicitaires d’une part, et le début et la fin de l’œuvre d’autre part ».
L’interdiction des publicités lors de la diffusion des programmes jeunesse, une cohérence au plus près des missions du service public ?
Outre la volonté de protéger les mineurs devant nos écrans et surtout face à des annonceurs virulents, le sénateur André Gattolin a exprimé le fait que cette disposition prise permettra à France Télévision « de se distinguer par la nature de son offre, en cohérence avec ses missions de service public ».
En effet, depuis quelques années et surtout depuis l’arrivée de la publicité en 1967 sur les chaines publiques, nous remarquons une sorte de convergence du paysage audiovisuel : une frontière de plus en plus étroite entre le secteur public et le secteur privé de l’audiovisuel. Alors que le secteur public est présumé se démarquer par la mise en place de programmes portant sur l’éducation permanente, le développement culturel, l’information et le divertissement nous savons que depuis la loi relative à la liberté de communication de 1986, les chaines publiques de télévision tendent à se rapprocher des chaines privées. Ainsi, le législateur soumet les entreprises privées de télévision aux missions de prime abord de service public organisant par-là un certain rapprochement de ces deux secteurs.
Les gouvernants cherchent alors à conserver la particularité du service public audiovisuel. Déjà en 2008, l’ex-Président de la République Nicolas Sarkozy avait fait part de la volonté de supprimer la totalité des publicités commerciales au sein des chaines publiques de télévision. Cette intention se concrétise par une loi du 5 mars 2009 puisque les publicités commerciales sont désormais interdites entre les programmes diffusés après 20h sur les chaines appartenant au groupe France Télévision.
On retrouve l’idée de rendre le secteur public de l’audiovisuel plus alternatif que le secteur privé ce qui permettra de singulariser au mieux les chaines publiques.
Ainsi, derrière cette disposition récemment adoptée il y a l’intention de créer à nouveau une télévision publique de qualité et non pas entrer dans une course à l’audience, ce que le téléspectateur est en droit d’attendre d’un service financé par des fonds publics.
La multiplication des canaux de diffusion : une limite au texte adopté
De nos jours, nous ne sommes plus dans une logique d’un seul écran par foyer mais plutôt deux-trois en moyenne. La télévision n’est plus le seul média regardé par les enfants puisque les écrans de téléphones portables de leurs parents, frères et sœurs ou même leur propre téléphone devient un média comme la télévision sur lesquels des vidéos peuvent être diffusées. Mais c’est surtout avec le développement d’Internet que les pratiques changent. Certes la loi précise que l’interdiction des publicités commerciales s’appliquera « également à tous les messages diffusés sur les sites internet de ces mêmes services nationaux de télévision qui proposent des programmes prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans », mais l’arrivée des plateformes en ligne comme YouTube limitera fortement l’objet de ce texte.
YouTube propose la diffusion de certaines œuvres d’animations, des dessins-animés de très courte durée et facilement accessibles. Depuis quelques temps, il y a l’apparition de contenus directement destinés aux enfants (et à leurs parents au passage) tels que la découverte de cadeaux, des dégustations de nourriture réalisées par les parents avec leurs enfants incitant clairement à la consommation. On peut alors considérer que ces vidéos sont de la publicité directe pour les marques qui sont précédées et interrompues par des publicités alors même qu’elles visent un public jeune. Or, n’oublions pas qu’une régulation de la part du CSA ne peut avoir lieu pour ce type de plateforme et donc aucune de ces recommandations n’est applicable.
En adoptant cette nouvelle disposition à destination des chaines de télévision publiques exclusivement, cela restreindra considérablement les effets voulus par le législateur dès lors que les canaux de diffusion de contenus destinés à des enfants de moins de 12 ans s’amplifient.
La suppression des recettes publicitaires lors de la diffusion des programmes jeunesse, un manque à gagner pour le groupe public France Télévision ?
En imposant une interdiction des publicités commerciales, le groupe France Télévision se voit amputer de 20 millions d’euros provenant des recettes publicitaires lors de la diffusion de programmes jeunesses. Ce sont des conséquences financières qui peuvent s’avérer lourdes pour le groupe public. Pour autant, le ministre de la Culture soutient que le contrat d’objectifs et de moyens de France Télévision qui a été négocié pour la période 2016-2020 prend en compte cette baisse de finance et assure que les chaines publiques auront les moyens pour atteindre les objectifs qui ont été fixés. Ici, c’est l’animation qui est visée et il y a une crainte d’un impact négatif de la part du secteur de l’animation Française suite à ce vote.
Cependant, cette baisse de financement due à la suppression des publicités permet de rappeler que France Télévision vit essentiellement grâce à la redevance de l’audiovisuel public versée par les contribuables propriétaires d’un écran de télévision et le sentiment que le service public de l’audiovisuel doit être indépendant de l’argent. Pour autant, ce manque à gagner rappel un autre débat soulevé par plusieurs parlementaires : la contribution de l’audiovisuel public étendue aux « foyers connectés ».
Les chaines privées pour l’heure épargnées : une mise à l’écart paradoxale
En visant uniquement les chaines publiques cette nouvelle loi manque d’ambition. En effet, ces chaines ne proposent pas autant de programmes destinés à la jeunesse que les chaines privées. Surtout, les annonceurs du marché des jeux et jouets ne réalisent pas les investissements les plus importants auprès des chaines publiques puisqu’elles ne représentent que 6% de leur placement.
Les annonceurs misent plutôt sur des chaines privées dites « jeunesses et familiales » comme il en existe des dizaines. C’est l’exemple type de la chaine disponible gratuitement sur la TNT : Gulli. Principalement destinée aux enfants de moins de 12 ans, Gulli représente 41 % du marché des annonceurs publicitaires et ne se verra pas soumis à l’interdiction de diffuser des publicités lors de programmation destinés à la jeunesse alors qu’elle en diffuse toute la journée. De même, pour les chaines privées spécialisées dans un public jeune telle que Disney Channel représentant 11% du marché publicitaire contre 10 % pour TF1.
La question d’un possible report de cette disposition nouvelle à l’égard des chaines privées est donc légitime et même conseillée puisque ce sont les programmes diffusés sur ces chaines qui sont le plus à même d’influencer la jeunesse.
Sur ce point, la France a du retard par rapport à d’autres pays du continent Européen qui sont plus strictes. C’est le cas notamment de la Grande-Bretagne qui, depuis longtemps, a exclu les publicités diffusées à la télévision concernant les aliments trop gras, trop sucrés et trop salés visant particulièrement les jeunes Anglais. Ce pays va même plus loin puisqu’à compter de juillet 2017 ces publicités seront interdites dans la presse et sur internet.
Cette banalisation des publicités alimentaires dans tous les médias s’adressant aux jeunes britanniques de moins de 16 ans prend en compte les nouveaux modes de consommation des médias de la part des jeunes puisque sont visés ici le cinéma, la presse, les réseaux sociaux et internet. On souhaite alors à la France de suivre cet exemple ….
SOURCES :
– ANONYME, http://www.cbnews.fr/medias/france-televisions-suppression-de-la-pub-dans-les-programmes-pour-enfants-en-2018-a1032289, mis en ligne le 8 décembre 2016, consulté le 20 janvier 2017
– Marina Alcaraz, http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0211576360701-suppression-de-la-publicite-dans-les-emissions-jeunesse-de-france-televisions-2049148.php, mis en ligne le 9 décembre 2016, consulté le 20 janvier 2017
SENAT,https://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201510/suppression_de_la_publicite_pour_les_programmes_jeunesse_a_la_television_publique.html#c604818, mis en ligne le 21 décembre 2016, consulté le 20 janvier 2017
– Sandra Franrenet, http://www.lemonde.fr/m-moyen-format/article/2016/12/16/la-fin-de-la-pub-dans-les-programmes-jeunesse-inquiete-le-secteur-de-l-animation_5050229_4497271.html, mis en ligne le 16 décembre 2016, consulté le 20 janvier 2017
– Eugénie Bastié, http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/12/07/01016-20161207ARTFIG00009-l-interdiction-de-la-publicite-dans-les-programmes-pour-enfants-revient-au-senat.php, mis en ligne le 8 décembre 2016, consulté le 20 janvier 2017