Par un arrêt du 7 février 2017, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris qui avait jugé que l’opération de réactivation d’un site internet, avec le même contenu, ne constituait pas un nouvel acte de publication. En l’espèce, une société avait déposé plainte avec constitution de partie civile, en raison d’un article au contenu diffamatoire publié sur un site internet. Elle avait alors déjà déposé plainte après la publication, les 1er, 7 et 9 décembre 2010, de ce même article sur ce site et après avoir fait établir, par acte d’huissier de justice du 15 juin 2012, qu’il n’était plus en ligne. Le 24 avril 2013, elle avait fait constater, par acte d’huissier, qu’avec le même contenu, le site était de nouveau en ligne, ce qui constituait une réédition des propos. La société a estimé alors sa plainte recevable. D’ailleurs, une information judiciaire avait été ouverte et le directeur de publication du site en cause avait été mis en examen. Ce dernier avait fait valoir qu’il avait désactivé le site en juin 2012, avant de le réactiver avec le même contenu, en septembre ou octobre 2012. Le juge d’instruction, considérant que les faits étaient prescrits, avait rendu une ordonnance de non-lieu. La partie civile en a relevé appel. Pour confirmer l’ordonnance entreprise, l’arrêt d’appel a retenu que l’opération de réactivation du site litigieux ne constituait pas un nouvel acte de publication, la première mise à disposition du public étant les 1er, 7 et 9 décembre 2010, l’action publique était prescrite au jour du dépôt de plainte. Le pourvoi a ete forme et il s’est pose alors devant la Cour de cassation la question de savoir si la réactivation d’un site internet constituait une reproduction au sens de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 permettant d’engager la responsabilité pénale du directeur de publication. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé l’ appréciation des juges d’appel erronée. Au visa de l’article 65 de la loi de 1881, elle énonce le principe selon lequel la réactivation d’un site internet constitue une publication nouvelle et censure l’arrêt des juges d’appel en ce qu’ils avaient considéré comme prescrite l’action publique.
Délai de prescription de la Loi sur la liberté de la presse trop court pour le domaine du numérique
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse affirme le principe de liberté de la communication publique en général, qu’elle s’effectue par l’imprimerie ou la librairie ou par la presse. Tout en affirmant cette liberté, la loi du 29 juillet 1881 fixe également le cadre de la répression de ces abus. En effet, l’équilibre de la loi du 29 juillet 1881 repose sur la conciliation de deux impératifs : la liberté d’expression, consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la nécessaire répression des abus commis dans le cadre de cette expression. Au fur et à mesure de l’évolution des techniques et de leurs usages, la loi a vu son champ d’application progressivement étendu à tous les moyens de « publication », par quelque support de communication ou média que ce soit, de l’imprimé jusqu’à l’internet. D’ailleurs, la Loi sur la liberté de la presse du 29 Juillet 1881 n’est pas seulement applicable à la communication papier mais également à celle diffusée sur internet, et notamment les blogs, et les réseaux sociaux. La loi LCEN du 21 Juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique soumet en effet les publications sur internet à loi de la presse de 1881.
L’article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse rend punissable la publication directe ou par voie de reproduction d’un message diffamatoire. La poursuite des infractions définies dans la loi du 29 juillet 1881 est soumise au délai très court de trois mois, dérogatoire au droit commun selon lequel il est de trois ans pour les délits. Ce délai est alors réduit tant en ce qui concerne la prescription de l’action, que le jugement, ou le pourvoi en cassation. L’article 65 de la loi de 1881 pose que « l’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis, ou du jour du dernier acte de poursuite s’il en a été fait ». Il a ete jugé qu’en matière d’internet le point de départ de la prescription est la date du premier acte de publication, qui correspond à celle à laquelle le message a été mis à la disposition des utilisateurs du réseau. (Cass. crim., 16 Oct 2001 n° 00-85728). Par la suite l’article 65-3 de la loi de 1881, issu de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite « Perben II » a étendu de trois mois à un an le délai de prescription concernant, d’une part, les provocations à la discrimination, d’autre part, les diffamations et les injures prononcées en raison de l’origine ou de la religion, quel que soit le support. Mais cet allongement du délai de prescription n’a concerné que les cas énoncés. D’ailleurs, passé le délai de prescription de trois mois, a compter de la date de la publication ou du dernier acte de procédure regulierement fait, la prescription est acquise. Plus aucune action en justice, ni civile ni pénale, ne peut, alors, etre engagée ou reprise contre une de ces infractions à la loi de 1881 ou le dommage qui en résulte.
La décision de la Cour de cassation en tant que moyen d’écarter le délai applicable dans le numérique
Ce délai, a été à l’origine créé pour la presse écrite, et il est devenu inadapté à l’heure du numérique. La loi de 1881 avait fait, par ses particularités de procédure, largement obstacle à la sanction des abus de la liberté d’expression surtout dans le domaine de l’internet. La solution, pour ceux qui s’en estimaient victimes et qui ne parvenaient pas, par cette voie ou sur ce fondement, à obtenir réparation des dommages qu’ils disaient subir ainsi, auraient pu être dans la mise en jeu du régime général de responsabilité civile de l’article 1382 du Code civil, selon les règles de procédure civile de droit commun. Cependant, la Cour de cassation, après avoir progressivement imposé le respect des règles de procédure pénale très particulières de la loi de 1881 aux actions civiles en réparation des abus de la liberté d’expression déterminés par cette loi, a posé depuis juillet 2000, que « les abus de la liberté d’expression, prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil » (Cour de cassation, 2e ch. civ., 25 novembre 2004, T. Pfister, Sté Éditions Albin Michel et autres c/G. Kiejman).
L’auteur de l’infraction sur internet est devenu ainsi impunissable : le délai de prescription écoulait trop vite pour que la victime puisse avoir la possibilité d’agir en justice. Que ce soit sur twitter ou sur facebook, les internautes se sentent parfois intouchables, cachés derrière l’anonymat de leur clavier. Ainsi, il n’est pas rare que des injures, des diffamations, des insultes y soient proférées. On aurait pu se poser la question devant le legislateur sur la prolongation du délai de prescription par rapport au domaine de l’internet. Serait-elle possible du point de vue constitutionnel ? Les opposants à une telle réforme invoquent comme un argument « contre » un manquement au principe d’égalité entre presse papier et numérique. Néanmoins, contrairement à l’argument des opposants en ce qui concerne le principe fondamental d’égalité, le Conseil constitutionnel a déja souligné que « la prise en compte de différences dans les conditions d’accessibilité d’un message dans le temps, selon qu’il est publié sur un support papier, ou qu’il est disponible sur un support informatique, n’est pas contraire au principe d’égalité». (Conseil constitutionnel, 10 juin 2004, n°2004-496 DC, Considérant n°14). Le projet de loi sur la réforme de l’article 65 de la loi de 1881 qui a prévu d’allonger la durée du délai de prescription de trois mois à un an pour le domaine du numérique a été rejeté début janvier alors que le délai d’un an peut être cohérent par rapport à l’extension du délai à un an reconnue pour d’autres infranctions dans l’article 65-3 de la loi de 1881.
En attendant d’autres eventuelles tentatives d’allonger la durée du délai de prescription dans le numérique, la décision de la Cour de cassation prise dans l’arrêt du 7 février 2017, transposée aux réseaux sociaux permettra de plaider que celui qui partage sur Facebook ou retweete un message diffamatoire, d’un autre membre du même réseau, se rend coupable d’une nouvelle publication diffamatoire, faisant courir le délai de prescription durant lequel il pourra être poursuivi.
Sources :
DERIEUX (E.), Droit des media, LGDJ, 2015, 1006p.
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