Mercredi 11 janvier 2017.
Cette date marquera surement l’histoire de la radiodiffusion Norvégienne. C’est à 11h11 que le gouvernement décide de débrancher la bande FM pour un passage au tout numérique de la radio devenant ainsi le premier pays au monde à diffuser la radio de manière digitale. En effet, l’objectif de la Norvège est un recouvrement total de son territoire avant la fin de l’année 2017.
Considérée comme un média familial qui s’écoute à la maison ou plus généralement en voiture, la radiodiffusion permet de transmettre un message sonore destiné à être reçu individuellement ou collectivement.
La Norvège n’est pas à son premier coup d’essai concernant ce mode de diffusion puisque dès 1995 le numérique est développé au sein de la nation en parallèle de la traditionnelle bande FM. Ce choix est effectué essentiellement pour des raisons géographiques qui tiennent au pays : des étendues très vastes où le déploiement de la bande FM était difficile et coutait cher au gouvernement Norvégien.
Une nouvelle ère est alors mise en place.
Le Digital Audio Broadcasting, une technologie émergente
Le DAB (Digital Audio Broadcasting) également appelé Radio Numérique Terrestre (RNT) en Français est un système de diffusion de programme radiophonique par voie hertzienne s’inscrivant dans le développement des technologies et notamment du numérique. Ainsi, le DAB marque peu à peu la fin de la bande FM, développée aux Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale.
Rappelons que la radio numérique possède une technique de diffusion particulière. Le son est envoyé de façon à être numérisé puis compressé selon des techniques diverses pour être par la suite transmise en optimisant au maximum la bande passante. A l’inverse, la diffusion analogique est la transmission d’un son sous forme de signal électrique qui est transporté tel quel dans l’onde porteuse.
Cette technologie de radiodiffusion numérique ne date pas d’aujourd’hui : elle est bien connue à travers le monde depuis plus de 30 ans et représente l’avenir de la radiophonie tentant alors de s’imposer comme un standard de diffusion.
En effet, dès les années 80 apparait la première forme de radio numérique appelée la RDS (radio data system) qui est un système de communication numérique avec une modulation de l’onde analogique. La RDS permet d’émettre le message audio en modulation de fréquence, c’est-à-dire sur la bande FM tout en identifiant des messages, le nom de la radio, des informations ponctuelles ou encore le changement automatique d’une fréquence à une autre.
Il faut attendre les années 90 pour que le numérique commence à émerger intégralement concernant cette fois-ci le message audio lui-même, qui ne sera alors plus transmis sur la bande FM. Le DAB connait même une version améliorée en 2007 avec la naissance du DAB+.
Cette technologie de diffusion entièrement digitale d’un message n’est pas à confondre avec la radio par IP (Internet Protocol), une notion différente. La radio par IP signifie simplement les webradio, une diffusion de message via le réseau internet qui est plus simple et moins couteuse et qui peut être réceptionnée par n’importe quel terminal de réception connecté au WiFi.
Toutefois, ce bouleversement radiophonique ne s’est pas fait en une journée. Le DAB a d’abord été appliqué aux stations nationales et aux stations radios locales commerciales qui diffusaient dans les grandes agglomérations de la Norvège. Les stations de radio communautaires et les toutes petites stations locales continueront elles à diffuser par la bande FM pendant 5 ans.
En décidant de passer sa radiodiffusion au 100% digital, la Norvège réalise un grand pas en avant et se positionne alors en harmonie avec un environnement numérique qui se déploie de plus en plus.
La radio terrestre numérique un passage important pour l’industrie de la radiophonie : entre avantages et inconvénients
La radio numérique terrestre est à la radio ce que la TNT est à la télévision : c’est la même logique. De ce fait, décider de diffuser des messages audio via le numérique promet de nombreux avantages tant pour les professionnels du secteur que pour les gouvernants et pour les auditeurs.
Lors du passage à la radio numérique, deux objectifs essentiels ont été avancés : une baisse des couts de diffusion et une qualité sonore améliorée. En réalité, diffuser via le DAB permet bien plus que cela.
En effet, la mise en place d’une telle technologie permet d’après les professionnels Norvégiens de diffuser pour l’ensemble de la population même dans des endroits reculés où la radiophonie diffusée par bande FM était mal réceptionnée. Bien entendu, ces professionnels connaitront une réduction des prix puisque le numérique couterait huit fois moins cher selon le Gouvernement que la diffusion par modulation de fréquence. De plus, la radio numérique terrestre est vue comme un média de flux qui est très associé aux phénomènes de l’actualité et du direct, ce qui permet alors de diffuser au mieux les messages d’alertes à l’ensemble de la population.
Les stations de radio numériques se verront toujours allouer une fréquence qui sera la même pour l’ensemble du pays à la différence de la radio FM, où chaque région possède une fréquence distincte.
Dans le même sens, décider de passer à une diffusion numérique élargit considérablement l’offre radiophonique : plus de radios pourront émettre dès lors qu’une station numérique permet de transmettre plus d’un signal sur la même fréquence contrairement à la radiodiffusion par analogie. Les cinq stations nationales Norvégiennes qui émettaient sur la bande FM vont devenir petit à petit 22 stations grâce à la RNT avec un objectif de 42 stations de radio d’ici la fin de l’année.
Outre une qualité sonore bien meilleure que sur la bande FM, la RNT a l’avantage de pouvoir se synchroniser avec d’autres médias. En d’autres termes, une connexion est possible pour transmettre des données en même temps que la diffusion du message audio : les titres des chansons, des informations, la météo, des images pourront apparaitre simultanément au son.
Enfin, la possibilité de podcaster peut être également vu comme un avantage. Cela signifie que l’émission transmise à la radio peut être enregistrée afin d’être écoutée plus tard.
Ainsi, intégrer la radio numérique terrestre dans le quotidien de cette population a donc été un choix financier et technologique. Pour autant, ce média comporte quelques inconvénients pour les professionnels et notamment la contrainte de faire appel au multiplexage. Nécessairement, les éditeurs de radio devront passer par des multiplexeurs qui ont pour mission d’assurer la coordination des diffusions de plusieurs programmes sur une même fréquence. Les radios devront alors s’allier entre elles pour diffuser.
Possédant tout de même de nombreux avantages, cette transition numérique n’est pourtant pas bien acceptée par certains.
Le basculement imposé par le gouvernement Norvégien désapprouvé par la population
Si ce passage de l’analogie au numérique a été rendu possible grâce à la collaboration des gouvernants et des diffuseurs de radio, cette décision n’est pas au gout de la population Norvégienne.
En effet, ce choix réalisé par le gouvernement est largement critiqué par les Norvégiens estimant ce passage prématuré. Près de 66% de la population ne voulaient pas de ce changement de radiodiffusion et c’est seulement 1 Norvégien sur 4 qui est convaincu par la mise en place de la radio numérique terrestre.
Même si cette technique de diffusion de la radio était déjà présente sur le territoire Norvégien, ce passage imposé en ce début d’année risque de corser les choses du côté du consommateur : la radio numérique représente une dépense supplémentaire pour les foyers. Certes, une grande majorité des habitants sont équipés d’un tel matériel mais puisque le gouvernement a décidé de s’équiper entièrement de la radio numérique avec un objectif de 100% d’ici la fin de l’année 2017, cela signifie que tous les auditeurs de radiophonie devront renouveler leur équipement s’ils souhaitent continuer à écouter la radio. Ce n’est pas tant le matériel de réception dans le foyer qui représente la plus grosse dépense, mais c’est bien au sein des véhicules que cela pose problème. En effet, les Norvégiens devront acquérir un adaptateur coutant près de 200€ ou remplacer leur autoradio à un coût beaucoup plus important.
Cela signifie donc que les fabricants de voiture devront dans les prochaines années intégrer le matériel nécessaire afin que la RNT puisse être réceptionnée. Une obligation qui n’est pas approuvée pour le moment par les leader du secteur.
Et il ne fallait pas plus attendre pour que les premières désillusions tombent. En effet, ce n’est que quelques jours après le débranchement symbolique de la traditionnelle bande FM que des désagréments se sont faire ressentir : les habitants d’Oslo se sont vus priver de la radio pendant quelques heures à cause de rupture de câble. Certes le signal radio a été rétabli quelques heures après cet incident, mais l’hostilité des Norvégiens reste encore présente et peut-être même accentuée par cet accident.
Par ailleurs, d’autres pays expérimentent déjà la radio numérique mais pas sur la totalité de leur territoire. C’est notamment le cas de l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie ou encore la Suisse. En étant le premier pays Européen à franchir le pas de la radiodiffusion digitale dans son entier, la Norvège apparait alors comme la région test du DAB.
Mais qu’en est-il du côté de la France ?
De l’analogie vers le numérique, un passage qui peine à se déployer en France
Alors que les bandes FM sont de plus en plus saturées en France, la technologie DAB a du mal à se développer. Pour exemple, l’équivalent pour la télévision (la TNT) est largement entré dans les mœurs des français alors que le DAB reste encore pour beaucoup une notion étrangère.
C’est en 2008 que l’ex Président de la République Nicolas Sarkozy souhaite étendre la RNT sur l’ensemble du territoire Français en lançant un appel d’offre. Mais depuis les choses n’ont que très peu bougé. En effet, le CSA est encore réticent à ouvrir cette technologie à la totalité des radios Françaises. Considérant que le paysage radiophonique est pour l’heure plutôt stable, aucun des acteurs de ce marché n’est prêt à un passage numérique que ce soit du côté des pouvoirs publics que des grands groupes de radios privées. Ces derniers freinent l’apparition de la RNT en arguant un cout trop élevé ce qui est vrai à court terme, mais l’important c’est de voir sur du long terme où les prix seront considérablement réduits. Ils invoquent également le fait qu’à l’étranger cela ne fonctionne pas correctement : ce qui est en partie faux puisque des pays comme l’Allemagne l’ont partiellement adopté et c’est un résultat plutôt positif qui en ressort : un bon nombre d’Allemands sont dotés de la RNT.
Malgré cette réticence, c’est en 2014 que le CSA se lance et autorise la diffusion de radios numériques terrestres sélectionnées dans les villes de Marseille, Paris, Nice. Puis deux ans plus tard à la fin de l’année 2016, le CSA vient autoriser la diffusion en RNT de 96 radios dont des radios publiques dans les régions de Lille, Strasbourg et Lyon dont Mouv’, FIP et RFI. Cela est dû à une forte demande de ce type de radio qui sont pour la plupart absentes de certaines zones du territoire. Grâce à la RNT, partout en France ces radios pourront être écoutées.
Nous pouvons voir que le CSA entreprend des expérimentations dans plusieurs villes et pas qu’en Ile-de-France, mais un peu plus de 15% seulement du territoire était couvert par cette radio numérique en 2016.
Certes, cette diffusion est moins couteuse que la bande FM mais pour un ancien membre du CSA, Patrice Gélinet : « il faut bien comprendre que la RNT ne doit pas être une alternative à la bande FM mais plutôt comme un complément ». Cela signifie donc que si une radio est présente dans telles ou telles régions, pourquoi déployer cette radio en RNT si la couverture est suffisante ? A ce moment-là, la RNT deviendrait un inconvénient pour les éditeurs de radio puisqu’ils devront assumer un double financement. De cette manière, il ne faut pas passer à la RNT parce que c’est l’évolution de la technologie qui le dicterait mais plutôt parce que cela semble nécessaire pour le confort des auditeurs et des radios elles-mêmes.
Si pendant longtemps les pouvoirs publics étaient réticents au passage du numérique, c’est tout en douceur que la RNT commence à s’implanter partout dans les régions. Même s’il reste beaucoup de progrès à réaliser, il serait dommage que la France reste sur le banc de touche du passage au tout numérique de la radiodiffusion par rapport à ses voisins Européens, bien avancés en la matière.
SOURCES :
– VINOGRADOFF (L.), http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/01/11/la-norvege-a-commence-a-debrancher-sa-radio-fm_5061007_4832693.html, mis en ligne le 10 janvier 2017, consulté le 22 janvier 2017
– ANONYME, http://www.courrierinternational.com/article/societe-la-norvege-abandonne-la-radio-fm, mis en ligne le 9 janvier 2017, consulté le 22 janvier 2017
– ANONYME, http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/01/19/97002-20170119FILWWW00132-la-radio-numerique-connait-ses-premiers-deboires-en-norvege.php, mis en ligne le 19 janvier 2017, consulté le 22 janvier 2017
– DASSONVILLE (A.), http://www.telerama.fr/radio/patrice-gelinet-contrairement-a-internet-la-radio-numerique-terrestre-est-gratuite-et-anonyme,150992.php, mis en ligne le 5 décembre 2016, consulté le 22 janvier 2017
– CARMARANS (C.), http://www.rfi.fr/france/20160213-radio-numerique-terrestre-rnt-france-retard-csa-gelinet-digital-dab-rfi-bbc, mis en ligne le 13 février 2016, consulté le 22 janvier 2017